Commissions Vérité : à quoi servent-elles ?
Depuis le 9 juin dernier, l’Instance Vérité et Dignité est en marche en Tunisie. Une dizaine d’autres commissions du même genre ont déjà été mises en place sur le continent. Le processus est en vogue, mais savez-vous réellement de quoi il s’agit ? Jeune Afrique fait le point.
Qu’est-ce que la justice transitionnelle ?
Principe de base des "commissions vérité", la justice transitionnelle englobe divers mécanismes qui visent à établir des responsabilités, rendre la justice et permettre surtout la réconciliation dans des pays qui ont connu des exactions massives. Ces commissions ont pour mandat d’enquêter sur les violations des droits humains et d’indemniser les victimes. Ce mode de justice novateur se veut plus proche de la population et connait un grand succès. Pionnière en la matière, la Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine a été mise en place en 1999. Son succès et son écho international l’ont érigée en exemple à suivre, ouvrant la voie à la création d’une dizaine d’autres commissions en Afrique.
Quelles sont les sanctions et les réparations prévues par la justice transitionnelle ?
La justice transitionnelle repose avant tout sur les témoignages des victimes mais aussi – et c’est sa particularité – sur ceux des persécuteurs. Pour favoriser les confessions, la commission sud-africaine avait émis des menaces de poursuites judiciaires en cas de refus d’aveu des crimes commis. En échange de leurs repentance, les auteurs des crimes échappent à une éventuelle condamnation. Ce dernier point, repris dans de nombreuses commissions, est à l’origine de critiques acerbes de la part des victimes qui se sentent parfois flouées par ce processus d’amnistie.
Concernant les réparations, la tendance est davantage aux actes commémoratifs et symboliques plutôt qu’aux compensations financières. Mais malgré le manque d’incitations matérielles pour se manifester, près de 150 000 victimes ont déjà pu témoigner de leurs histoires au sein des six commissions présentées dans le graphique ci-dessous. Cela sans compter les témoignages issus des commissions en cours au Rwanda, en Côte d’Ivoire ou encore au Mali.
Les commissions sont-elles indépendantes du pouvoir en place ?
Les commissions sont bien souvent mises en place par le pouvoir installé après la crise qu’elles vont devoir traiter. Mais elles sont aussi en charge de déterminer la responsabilité des organismes d’État dans les violations en question. Leur indépendance représente alors un enjeu crucial pour la fiabilité des enquêtes : en cas de connivence avec le gouvernement, la crédibilité du processus est fortement entachée.
Au Maroc, le fait que le budget de fonctionnement de l’Instance Equité et Réconciliation soit prélevé sur une ligne de crédit du palais royal a suscité de vives protestations. Dans d’autres commissions, comme celles du Kenya ou de Côte d’Ivoire par exemple, la confiance n’est pas réellement acquise et l’impartialité des commissaires est questionnée. D’après les enquêtes, les victimes des forces pro-Ouattara n’osent pas témoigner devant la commission ivoirienne de peur d’être considérées comme des opposants au régime en place.
La critique pèse aussi sur l’instance tunisienne, dont les membres ont été désignés par l’Assemblée nationale constituante. La présidente de l’Instance, Sihem Bensédrine, est une farouche opposante à Ben Ali. Elle est notamment accusée de vouloir se venger de certains cadres de l’ancien régime.
Les ambitions des commissions vérité sont-elles démesurées ?
Les commissions se trouvent souvent handicapées par leur trop grande ambition. C’est pourquoi des Tribunaux spéciaux ont été mis en place lorsque les violences étaient d’une gravité hors-normes, comme au Rwanda ou en Sierra Leone. En complément des commissions, ces Tribunaux sont chargés de juger les plus importants responsables des crimes commis et ont le pouvoir de leur infliger de lourdes peines.
En moyenne, les commissions enquêtent sur 36 ans de violences : 34 ans pour l’Afrique du Sud, 47 ans pour le Togo, 43 ans pour le Maroc, la République démocratique du Congo et le Mali, 45 ans pour le Kenya, 36 ans pour le Ghana, 24 ans pour le Liberia et 21 ans pour la Côte d’Ivoire.
La Commission sierra-leonaise est la plus modeste sur ce point, chargée d’enquêter sur la période 1991-1999.
A l’opposé, l’Instance Vérité et Dignité tunisienne bat tous les records avec une période de couverture s’étalant sur… 58 ans ! De 1955 à 2013, l’éventail laisse deviner l’ampleur du travail à fournir. D’autant plus que l’instance est aussi chargée de traiter les crimes économiques commis pendant cette période.
Le défi de l’Instance reste pour le moment de convaincre la population tunisienne, encore sceptique sur ce processus mal identifié.
>> Lire aussi : Mali, quand la réconciliation nationale piétine
>> Lire aussi : "La commission va peut-être durer des années", interview de Sihem Bensédrine en 2011
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