Comment le narcotrafic met en péril le développement de l’Afrique de l’Ouest
Pedro Pires est ancien président du Cap-Vert et membre de la Commission ouest-africaine sur les drogue.
Le trafic des drogues parvenant sur le marché européen emprunte plusieurs routes. Alors que certaines sont anciennes, d’autres gagnent en importance à mesure que les cartels cherchent des filières plus fiables pour mener à bien leurs affaires très lucratives.
L’Afrique de l’Ouest a le malheur d’être de plus en plus concernée par cette activité criminelle internationale. La région est devenue un lieu de transit entre les régions productrices de drogues situées en Amérique latine et en Asie et les régions consommatrices de drogues en Europe et aux États-Unis d’Amérique.
Mais ces drogues ne font pas que traverser l’Afrique de l’Ouest. Elles menacent également le tissu social, économique et politique de la région et remettent en cause les progrès obtenus de haute lutte au cours des dernières années.
Comme nous l’avons observé en Amérique centrale, le trafic de drogue et l’argent qui l’accompagne, portent préjudice aux pays de transit, en nourrissant la violence, le crime, l’instabilité et la consommation de drogue au sein de leurs sociétés. Par exemple, sept des huit pays ayant le taux de meurtre le plus élevés se trouvent sur la principale route du trafic de cocaïne située entre d’une part l’Amérique du sud et d’autre part les États-Unis et l’Europe.
La valeur de la cocaïne transitant chaque année par l’Afrique de l’Ouest est largement supérieure au budget national de plusieurs pays de la région.
Jusqu’à présent, notre région a échappé à la terrible violence à laquelle sont confrontés au quotidien le Mexique et d’autres pays. Heureusement, les principales nouvelles concernant l’Afrique de l’Ouest sont plus portées à se concentrer sur son impressionnante croissance économique et ses avancées sociales.
Mais cet état d’esprit positif peut occulter la taille de la menace constituée par le narcotrafic. Nous savons déjà que ce trafic de drogue a joué un rôle direct ou indirect dans l’instabilité politique de pays comme la Guinée Bissau et le Mali. Quand on estime que la valeur de la cocaïne transitant chaque année par l’Afrique de l’Ouest est largement supérieure au budget national de plusieurs pays de la région, on mesure l’ampleur des enjeux.
Dans son rapport publié le 12 juin et intitulé "Pas seulement une zone de transit. Drogues, État et société en Afrique de l’Ouest", la Commission Ouest-Africaine sur les Drogues appel à d’importants efforts aux niveaux national, régional et mondial pour faire face à cette menace. Constituée par Kofi Annan, la Commission dont je suis membre appelle à une volonté partagée de répondre à ce défi – qu’elle vienne des gouvernements, de la société civile et de partenaires étrangers.
Nous appelons les agences chargées de la répression du trafic à adopter une nouvelle approche ciblant les trafiquants de haut niveau, quels qu’ils soient, plutôt que les petits trafiquants de drogue qui représentent des cibles faciles. Une action résolue est également nécessaire pour empêcher l’infiltration et la subversion de nos institutions politiques et juridiques par les trafiquants de drogues. Cette action inclue une plus grande transparence en matière de financement des partis politiques ainsi que la mise en place d’unités spéciales au personnel rigoureusement triés sur le volet afin de mener la lutte contre les drogues et la corruption qui les accompagne inévitablement.
Cependant, quoiqu’on ne puisse faire l’économie d’une répression plus ciblée et plus efficace, seule, elle ne parviendra pas à annihiler la menace que représente le trafic de drogue pour la région et ses gains en matière de développement. Nous avons également besoin de nouvelles politiques protégeant les personnes vulnérables et les principaux problèmes sociaux que les drogues provoquent et aggravent.
Le taux de chômage élevé en Afrique de l’Ouest fait du trafic illicite de drogue une source tentante de revenus, en particulier pour les jeunes. Nombre de ces petits dealers et des mules sont payés en nature, par une partie des drogues qu’ils trafiquent. Cette situation accroît tant la consommation locale de drogues que les problèmes sanitaires.
Peu de pays de la région disposent de l’expertise et des locaux requis pour traiter les risques pour la santé en relation avec la consommation de drogue.
Cette tendance représente un coût additionnel pour des systèmes de santé déjà débordés. Les taux d’infection au VIH des personnes consommatrices de drogues augmentent. Peu de pays de la région disposent de l’expertise et des locaux requis pour traiter les risques pour la santé en relation avec la consommation de drogue ou du financement d’initiatives pour prévenir la consommation de drogues.
Les pays d’Afrique de l’Ouest doivent être en première place pour répondre à ces défis. Mais le trafic de drogue est un phénomène mondial. Certains pays de l’Union Européenne, comme la France – qui représente un des principaux marchés de la consommation de drogue – doivent également financer de nouveaux programmes de santé ainsi que des efforts en matière de respect de la loi.
Les régions de production, de transit et de consommation doivent également travailler ensemble – pour échanger des expériences, développer des stratégies opérationnelles reflétant la responsabilité partagée des pays affectés par le phénomène de par le monde. Plutôt que d’opter pour une approche "militaire", la répression doit être renforcée au moyen du renforcement des capacités et du partage d’informations.
Réformer les lois concernant la drogue, améliorer la gouvernance et poursuivre les trafiquants de drogue de haut niveau ne feront pas entièrement disparaître les drogues illégales d’Afrique de l’Ouest. Ils représenteront cependant une importante avancée pour garantir que l’impact des drogues soit diminué de façon significative pour garantir que notre développement économique et notre progrès démocratique ne soient pas mis en danger.
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