Tchad – Saleh Kebzabo : « L’objectif de l’opposition est de remporter un tiers bloquant à l’Assemblée en 2015 »

Président de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR) et fervent détracteur du chef de l’État Idriss Déby Itno, Saleh Kebzabo affirme son ambition de voir l’opposition tchadienne gagner du terrain aux prochaines élections législatives et présidentielle, en 2015 et 2016. Interview.

L’opposant tchadien Saleh Kebzabo à Paris, le 11 juin 2014. © Vincent Fournier/J.A.

L’opposant tchadien Saleh Kebzabo à Paris, le 11 juin 2014. © Vincent Fournier/J.A.

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 20 juin 2014 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : L’opposition dispose actuellement de 32 sièges à l’Assemblée nationale sur 188. Votre parti lui-même compte 10 députés. Pensez-vous pouvoir faire mieux lors des législatives de l’année prochaine ?

Saleh Kebzabo : Bien sûr ! Notre objectif, et c’est un objectif commun à toute l’opposition, est de remporter en 2015 un tiers bloquant, c’est à dire de 60 à 80 de sièges, parce que tant que le président Déby Itno aura avec lui les deux tiers des élus, il fera ce qu’il voudra. La question maintenant est de savoir si les élections seront transparentes et si elles seront organisées dans les temps. Or il reste beaucoup à faire, la commission électorale n’est pas prête, les financements nécessaires ne sont pas encore réunis… Un exemple : nous nous sommes entendus avec le gouvernement sur la nécessité d’utiliser la biométrie pour le recensement qui doit permettre l’actualisation des listes électorales. C’est pour nous un acquis irréversible. Mais comment va-t-on procéder ? Quel opérateur sera choisi ? Rien n’a encore été décidé.

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Approuveriez-vous un report des législatives ?

Un léger report du scrutin est envisageable. Mais nous ne voulons pas que l’élection soit reprogrammée après la présidentielle, qui est prévue l’année suivante, en 2016. Ce serait malsain et il n’en est pas question.

Serez-vous candidat à la présidentielle ?

Il est trop tôt pour le dire ; nous n’en sommes pas là.

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>> Voir l’interview vidéo de Saleh Kebzabo :

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Mais pouvez-vous déjà affirmer que l’opposition ira unie à l’élection ?

Au sein de la CPDC [Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution, NDLR], nous savons que nous y avons intérêt. Nous avons suffisamment d’expérience électorale pour savoir que rien ne peut se faire sans l’unité. Nous savons que nous ne pouvons pas prendre le risque d’arriver à vingt le jour du scrutin et que, pour des questions de lisibilité et de cohérence, il nous faut annoncer notre décision et notre stratégie avant la présidentielle. Sans doute le ferons-nous dans le courant de l’année prochaine.

En 1996, vous étiez arrivé troisième à la présidentielle et aviez appelé à voter Idriss Déby au second tour. Par la suite, vous avez été plusieurs fois ministre. Ne craignez-vous pas que cela vous handicape dans les urnes ?

On ne va pas en parler pendant vingt ans ! J’ai été ministre c’est vrai. J’ai eu la charge des portefeuilles des Affaires étrangères, des Travaux publics et des Transports, et de l’Énergie et des Mines. Mais à chaque fois, je ne suis resté que quelques mois. Cela ne fait pas de moi un ancien pilier du système Déby. J’ajoute qu’il n’y a pas de mal à mettre ses compétences au service de son pays.

Je ne fais pas de ma propre candidature une condition.

Et si l’opposition parvenait à s’unir derrière une figure de l’opposition autre que vous, comme Ngarledji Yorongar par exemple. Vous rangeriez-vous derrière lui ?

Pourquoi pas ? Je ne fais pas de ma propre candidature une condition. D’ailleurs, je n’ai déjà pas été candidat en 2006 et 2011. La dernière fois que je l’ai été, c’était en 2001. C’est bien la preuve que ce n’est pas une question de personne.

Vous êtes connu pour avoir des mots parfois très durs envers le gouvernement et le chef de l’État. Estimez-vous vraiment que rien n’a été fait ces dernières années grâce à l’argent du pétrole ?

Il ne suffit pas d’avoir une belle route bitumée pour aller à l’aéroport pour dire que l’on a su se doter d’infrastructures modernes. Dans ma région du Mayo-Kebbi, les écoliers et les collégiens sont assis sur des troncs d’arbre. Dans mon quartier à N’Djamena, il n’y a quasiment pas d’électricité. L’argent du pétrole dont vous parlez n’a pas permis une amélioration des conditions de vie des Tchadiens. Pis : le Tchad connaît aujourd’hui de très sérieuses difficultés financières. Nous avons gagé des revenus que nous n’avons pas encore. Et pourquoi ? Pour acheter deux Mig27 à l’Ukraine ou pour construire des hôtels de luxe pour accueillir le sommet de l’Union africaine en 2015 ! C’est dans ce type de dépenses que va en ce moment tout notre argent.

Le Tchad est tout de même confronté à de réels problèmes sécuritaires avec notamment les extrémistes de la secte nigériane Boko Haram. Le contestez-vous ?

Bien sûr que non. Boko Haram représente une menace et ce n’est pas nouveau. Le président et le gouvernement nigérians n’ont pas pris les mesures nécessaires pour en contrôler l’expansion tant qu’il était encore temps. Maintenant, c’est aux pays limitrophes de prendre leurs responsabilités. Prenons l’exemple du Cameroun. Si l’extrême-Nord est aujourd’hui vulnérable, c’est parce qu’il a été abandonné par l’État. Quant au Tchad, lui aussi doit se prémunir contre le risque terroriste, mais nous n’avons pas besoin d’avions de chasse pour traquer les éléments de cette secte qui s’infiltrent à moto sur notre territoire ! À quoi vont-ils servir ces Mig27 ? À quoi bon s’équiper ainsi puisqu’il n’y a plus de mouvements rebelles sur notre sol ? Pour le reste, nous espérons que les menaces sécuritaires réelles qui pèsent sur notre pays ne seront pas un argument pour restreindre les libertés individuelles.

Les soldats tchadiens se sont retirés de la force sous-régionale de maintien de la paix en Centrafrique, mi avril. Est-ce une bonne chose ?

Dans l’absolu, oui, même si c’est un mouvement d’humeur qui a poussé le président Déby à prendre cette décision [l’ONU avait accusé des soldats tchadiens d’avoir tiré sur des civils à Bangui, NDLR]. Ce n’était pas très élégant. Mais il faut s’interroger sur ce que nous faisions vraiment dans ce pays : pourquoi envoyer nos troupes à l’étranger pour y faire la loi, alors que cela s’est fait sans vision politique et que nous n’en avions pas les moyens ? Et pour quels résultats ? De nombreux soldats sont morts là-bas, quant à ceux de nos concitoyens qui y vivaient, leurs biens ont été pillés, ils sont persécutés, ils ont du fuir sous la menace… Plusieurs milliers d’entre eux ont été tués.

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Propos recueillis par Anne Kappès-Grangé

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Ancien de Jeune Afrique, il a fondé le premier journal privé du pays, N’Djamena Hebdo, en 1989. © Vincent Fournier/J.A.

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