Sénégal – Procès Khalifa Sall : retour sur la première journée d’audience

Reporté deux fois déjà, le procès du député et maire de Dakar Khalifa Sall doit s’ouvrir ce mardi dans la capitale sénégalaise. Avec sept coaccusés, il est accusé de « détournement de fonds » dans l’affaire dite de la caisse d’avance. Retrouvez ici le déroulé de cette audience, heure par heure.

Khalifa Sall, député et maire de Dakar, lors de l’audience du 3 janvier au palais de justice de Dakar. © Clément Tardif pour Jeune Afrique

Khalifa Sall, député et maire de Dakar, lors de l’audience du 3 janvier au palais de justice de Dakar. © Clément Tardif pour Jeune Afrique

Publié le 23 janvier 2018 Lecture : 12 minutes.

Khalifa Sall se rendant à la convocation du doyen des juges d’instruction au palais de justice de Dakar, le 7 mars 2017. © Youri Lenquette/JA
Issu du dossier

Sénégal : retour sur la chute de Khalifa Sall

Un an, jour pour jour, après le placement en détention de Khalifa Sall, le 7 mars 2017, Jeune Afrique vous propose de retrouver ici les moments clefs de cette descente aux enfers.

Sommaire

Après deux reports successifs les 14 décembre 2017 et 3 janvier 2018, le procès du maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall et des sept autres agents de la ville va reprendre ce mardi matin au palais de justice de Dakar. Ils sont notamment poursuivis pour « détournement de deniers publics », « blanchiment ». Si l’on en croit le juge Malick Lamotte, il n’y aura pas de troisième report.

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Les débats qui vont s’ouvrir ce 23 janvier risquent fort d’être très techniques. Les avocats des différentes parties viendront soumettre aux juges les exceptions préjudicielles, de nullité et de fin de non-recevoir « in limine litis« , c’est à à dire avant tout débat au fond. On ne sait pas encore quelles seront les contenus de ces exceptions, mais il faut s’attendre à une longue bataille juridique, avec parfois des plaidoiries fleuves.

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La semaine dernière, Khalifa Sall a saisi la cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aux fins d’obtenir sa libération immédiate et un dédommagement de cinquante milliards de francs CFA, dénonçant notamment ce qu’il qualifie de « détention abusive ». L’affaire sera entendue à Abuja, au Nigeria, le mardi 30 janvier. Les avocats de la défense pourraient donc, ce matin encore, réclamer un autre report jusqu’à la délibération de la Cour de justice de la CEDEAO. Cette procédure ne peut pas obliger le juge sénégalais à reporter le procès.

18h30 – « Ce procès ne doit pas avoir lieu »

Me Doudou Ndoye : « Ce procès ne doit pas avoir lieu et je vais le démontrer dans ce tribunal ». Pour l’ancien garde des Sceaux qui défend Mme Sow, née Fatou Traoré, seule femme faisant partie des prévenus, le tribunal n’a pas le droit de juger Khalifa Sall.

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Selon lui, l’instruction n’a pas été faite dans les règles de l’art, l’Assemblée nationale n’a pas levé l’immunité de Khalifa Sall, l’Agent judiciaire de l’État n’a pas le droit de se constituer… Telles sont les conclusions de Me Doudou Ndoye. Il cite également des courriers de l’AJE devant répondre à des citations, expliquant ne pas pouvoir le faire, son décret de création le lui interdisant.

Après Me Doudou Ndoye, Me Borso Pouye, de la défense, devait prendre la parole mais celle-ci a demandé à attendre jusqu’à demain, ne souhaitant pas intervenir 15 minutes avant la suspension de l’audience.

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Le juge Lamotte le lui a accordé, avant de suspendre l’audience jusqu’à demain 9h.

17h30 – Les parties réclament de statuer rapidement sur cette question

« L’État est entré dans cette affaire par effraction ». C’est ainsi que Me Ciré Clédor Ly, avocat de Khalifa Sall, résume son intervention à la barre. Il estime que le décret qui crée l’Agence Judiciaire de l’État ne lui permet pas d’intervenir dans cette affaire. Les missions qui lui sont assignées sont de protéger les intérêts de l’État, choisit, si nécessaire, des avocats ou des mandataires, et suit les procès, représentant la défense des intérêts de l’État.

« Nulle part il n’est dit qu’il peut intervenir dans un procès », explique Me Ly, avant d’ajouter que leurs « clients ne peuvent pas intervenir pendant les exceptions et lui, il intervient avec ses avocats ». C’est une rupture dans l’égalité des armes. Le Code des collectivités locales (CCL) interdit également à l’État de se constituer partie civile au nom de la Ville de Dakar. Le CCL précise ainsi que le maire ou le membre du Conseil municipal, désigné sur délibération, peuvent représenter la collectivité locale en justice.

À sa suite, Me Bamba Cissé, toujours de la défense, joint à leur cause des observations de l’AJE dans une autre affaire, où il avait estimé ne pas avoir le droit de se constituer partie civile, l’Université de Bambey, dont il s’agissait, étant une administration autonome ayant une personnalité juridique, comme l’est la Ville de Dakar.

Me Khassimou Touré, après avoir appuyé les argumentaires de ses précédents confrères, a demandé au juge de ne pas joindre ces exceptions au fond (permettant de reporter la décision du juge jusqu’à sa décision finale au procès).

Selon lui, le juge doit statuer « in limine litis » sur les questions de constitution de partie civile, autrement les parties auront le loisir d’intervenir et d’influer sur le cours du procès avant qu’on ne décide s’ils avaient le droit de le faire ou non.

16h10 – « Quand un État devient fou, il en oublie les notions de droit »

Me El Hadji Diouf est de retour dans le prétoire pour défendre la recevabilité de la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. Cette fois, il appuie sa cause en citant le code des collectivités locales. Pour lui, la Ville n’a « pas besoin d’attendre l’autorisation de l’autorité administrative pour aller en justice ».

Mais « quand un État devient fou, il en oublie les notions de droit ». L’avocat n’a pas manqué d’égratigner les avocats de l’État et l’agent judiciaire de l’État, multipliant les piques. Sa plaidoirie clôt les débats sur la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. Les parties vont maintenant débattre de la recevabilité de la constitution de l’État du Sénégal.


15h19 – Les avocats de l’État évoquent un problème déontologique

Reprise de l’audience. La parole est toujours aux avocats de l’État avec Me Yérim Thiam au prétoire.

« Nous ne disons pas que les avocats n’ont pas le droit de se constituer pour la Ville. Nous disons que le mandat qui permet à M. Sow de constituer des avocats pour la Ville n’est pas exécutoire », argue-t-il.

Il n’a pas manqué de rappeler que la constitution de Me El Hadji Diouf pose un problème déontologique et qu’ils attendent la décision du bâtonnier.

13h50 – Constitution de partie civile irrecevable

Les avocats de l’État continuent de se prononcer sur la constitution de partie civile de la Ville de Dakar. « Je suis d’accord pour la constitution de la Ville de Dakar dans le principe », indique Me Samba Bitèye, qui reste néanmoins sceptique quant à sa forme. Selon lui, la Ville n’a pas la qualité juridique nécessaire pour se constituer.

Le préfet ayant demandé une seconde lecture, le Conseil municipal n’a d’autre choix que de s’exécuter. Le « mandat donnant mandat » aux avocats de se constituer ne peut plus être valable.

À sa suite, Me Moussa Félix Sow signale que la délibération du 15 janvier dernier ne peut être exécutoire que 15 jours après la réception de l’accusé de réception venant du préfet. Ce délai de 15 jours n’étant pas écoulé, la constitution de partie civile ne peut être recevable. Il ajoute que ce n’est pas le rôle de Mme Wardini, première adjointe au maire, de répondre au préfet mais au Conseil municipal, après la seconde lecture.

Il termine sa plaidoirie en citant un communiqué de la Ville de Dakar, datant de mars 2017, dans lequel elle refusait de se constituer partie civile et déclarait n’avoir subi aucun préjudice.

Dernière remarque des avocats de la défense : ils souhaitent prendre la parole pour réagir. Le juge renvoie la demande après la pause déjeuner. L’audience reprendra à 15h UTC.

13h40 – Me El Hadji Diouf plaide pour la Ville de Dakar

​Dans sa plaidoirie, Me El Hadji Diouf, engagé par la Ville de Dakar comme partie civile, exhibe la réponse du Conseil municipal au préfet de Dakar. Dans ce courrier, la Ville de Dakar rappelle au représentant de l’État que les fonds visés dans cette affaire sont « exclusivement des fonds propres » de la collectivité locale. De ce fait, la municipalité est fondée à se constituer partie civile.

Dans le même courrier, la Ville de Dakar ajoute que le maire étant poursuivi dans cette même affaire, il ne ​peut valablement pas y représenter la mairie. « Par conséquent, le conseil municipal ne procédera pas à une seconde lecture de la délibération », assène le courrier.

Le seul recours qui reste au préfet de Dakar est donc la Cour Suprême, affirme l’avocat.

Et Me Diouf d’enchaîner ensuite en demandant au juge de ne pas donner la parole aux avocats de l’État parce que Antoine Félix Diome, l’agent judicaire de l’État (AJE) « a plaidé sa propre cause lui même ». Pour l’avocat, si une partie civile souhaite plaider sa propre cause, ses avocats ne peuvent plus prendre la parole.

Le juge ne tient visiblement pas compte de cette demande : Me Baboucar Cissé, avocat de l’État, prend la parole immédiatement après. L’avocat s’étonne que, sur les quatre avocats représentants la Ville de Dakar, seul Me Diouf s’est effectivement présenté à la barre pour plaider leur cause.

Il cite les neuf avocats de la défense qui ont plaidé pour que la Ville de Dakar se constitue partie civile. « C’est la première fois que je vois une défense appuyer une constitution de partie civile dans un procès », tonne l’avocat d’une voix forte, à son habitude.

Pour lui, la Ville de Dakar cherche à repossuer l’examen au fond de l’affaire par des procédures dilatoires. Il en veut pour preuve que, plutôt que de se constituer partie civile dès le mois de mars, la Ville avait alors préféré sortir un communiqué pour soutenir les prévenus.

12h35 – La défense plaide le « bon sens »

Reprise de l’audience après la suspension décidée par le juge. Les avocats de la défense continuent à plaider sur la recevabilité de la constitution de partie civile de la Ville de Dakar.

Pour Me Ciré Clédor Ly, avocat de Khalifa Sall, « il n’y a plus de tutelle entre l’État et les collectivités locales. L’État a juste une mission de contrôle ».

Me Issa Diop, qui intervient pour la défense également, estime pour sa part qu’un refus du tribunal de la constitution de partie civile serait « une façon de préjuger du préjudice subi par la partie en question, avant même les débats au fonds ».

Les avocats de la défense estiment par ailleurs que la demande de seconde lecture adressée par le préfet au Conseil municipal de Dakar ne doit pas s’imposer au juge. Dans le cas contraire, celui-ci serait « obligé alors de surseoir à ce procès jusqu’à ce que la seconde relecture demandée soit acceptée par le préfet de Dakar », poursuit Me Issa Diop.

Quant-à Me Francois Sarr, il plaide le « bon sens » qui aurait dû, selon lui, commander au tribunal de convoquer la Ville si celle-ci ne s’était pas présentée d’elle-même comme partie civile.

11h30 – La bataille des parties civiles

Me Khassimou Touré, avocat de Khalifa Sall, également frère de l'un des prévenus - Mbaye Touré, le 3 janvier au palais de justice de Dakar. © Clément Tardif pour Jeune Afrique

Me Khassimou Touré, avocat de Khalifa Sall, également frère de l'un des prévenus - Mbaye Touré, le 3 janvier au palais de justice de Dakar. © Clément Tardif pour Jeune Afrique

La stratégie de l’agent judiciaire de l’État (AJE) et du parquet est simple : obliger la Ville a avouer qu’elle a subi un préjudice qui lui a été causée par Khalifa Sall est ses co-prévenus.

De l’autre côté, la Ville et la défense ne veulent qu’une chose : le retrait de l’AJE, et donc de l’État comme partie civile.

Antoine Félix Diome, l’AJE soutient toujours que la demande d’une seconde lecture du préfet de Dakar de la délibération de la Ville suspend aussi bien l’exécution que les procédures déjà engagées se basant sur cette délibération (voir ci-dessous).

Il remet aussi en cause la présence de l’un des avocats : Me El Hadj Diouf. Ce dernier s’était déjà constitué pour défendre les prévenus. Constitution qui avait été invalidée par le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal pour une question déontologique : Me Diouf était en effet déjà constitué pour l’État dans la traque des biens mal acquis (l’affaire Karim Wade devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite). Il ne peut pas donc, dans un délai de 3 ans, plaider contre l’État, son ancien client.

Le parquet soutient totalement cette démarche de l’AJE et ajoute que Moussa Sow, désigné par la délibération pour représenter la Ville, ne peut assurer cette mission car « le Maire continue à exercer des fonctions puisqu’il bénéficie d’une main-levée sur sa signature comme maire ».

« C’est plutôt l’État qui n’a pas subi de préjudice. L’État ne peut pas justifier avoir mis un franc dans la caisse d’avance », rétorque de son côté Me Khassimou Touré, avocat de Khalifa Sall.

A peine l’avocat a-t-il terminé qu’un chahut au balcon oblige le juge a suspendre l’audience pour 15 minutes, le temps de calmer la salle.

10h25 – La Ville de Dakar dépose sa constitution de partie civile

La constitution de partie civile de la Ville de Dakar est déposée par Me El Hadj Diouf. Le juge, considérant que la constitution de partie civile fait partie du fond de l’affaire, demande à ce que les débats sur la questions se tiennent après l’interrogatoire d’identification des prévenus.

L’agent judiciaire de l’État (AJE), Antoine Félix Diome, exhibe un courrier du préfet de Dakar, envoyé au Conseil municipal de Dakar pour exiger une nouvelle lecture de la délibération du 15 janvier autorisant la constitution de partie civile dans ce dossier.

Le préfet invoque deux entorses à la loi dans la délibération : « Le code des collectivités locales ne permet la constitution de la Ville comme partie civile que si la Ville reconnait avoir subi un dommage suite à un délit ou un crime, ce que l’article premier de la délibération ne dit pas », déclare d’abord Antoine Félix Diome.

Deuxième raison invoquée par le préfet dans son courrier : « La désignation d’une personne autre que le maire pour représenter la Ville [ne peut se faire] que si les intérêts sont contraires à ceux du maire dans l’affaire en question ».

Pour l’AJE, le document sur lequel se fonde Me El Hadj Diouf pour se présenter à la barre ne lui permet pas de le faire parce que le renvoi du Préfet suspend l’exécution de la délibération. L’AJe demande par la même occasion au juge d’interdire la parole à tout représentant de la Ville et avocat désigné par la délibération en question.

Une intervention qui a immédiatement provoqué l’ire de Me Diouf et Me Doudou Ndoye qui trouvent « anormal » que l’agent judiciaire de l’État prennent lui-même la parole alors qu’il a des avocats. « Il vient de plaider une exception devant vous, alors que vous l’avez interdit à tout le monde ! », s’emporte Me Ndoye. Les deux avocats demandent à ce que Antoine Félix Diome soit entendu comme témoin s’il veut prendre la parole.

Le tribunal renvoie ce débat au stade des débats sur le fond, après avoir sermonné les avocats sur leur réaction qualifiée « d’excessive ».

10h00 – Le tribunal accepte 20 des 70 témoins proposés par la défense

Dès l’ouverture, les débats tournent autour de la possibilité ou non pour la défense de citer des témoins. Le parquet et la partie civile restent su leur position du 3 janvier : la défense n’a pas le droit de citer des témoins au vu de la loi sénégalaise. La défense fonde sa demande sur le principe du respect de l’égalité des forces et sur sa liberté de choisir ses moyens de défense.

Elle trouve anormale que le parquet et la partie civile soient les seuls à avoir le droit de citer des témoins (deux témoins à charge).

Le tribunal accepte sur le principe le droit à la défense de faire citer des témoins durant le procès mais il se donne le droit d’en fixer le nombre. Au total le tribunal leur accorde 20 témoins au lieu des 70 demandés. Le tribunal laisse à la défense la charge de choisir ses témoins dans la liste déjà déposée.

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