Grand Format Bénin : les ressorts de l’exception démocratique béninoise

Si le Bénin fait figure de modèle démocratique, aux côtés par exemple du Sénégal, la faiblesse de ses partis le place cependant dans une situation paradoxale. Au point que l’on parle même d’« énigme politique ». C’est le constat que dresse Prudent Victor Topanou, ancien garde des Sceaux du Bénin.

Bureau de vote à Seme Podji, au Bénin, pour le premier tour de l’élection présidentielle le 6 mars 2016. © Virgile Ahissou/AP/SIPA

Bureau de vote à Seme Podji, au Bénin, pour le premier tour de l’élection présidentielle le 6 mars 2016. © Virgile Ahissou/AP/SIPA

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  • Prudent Victor Topanou

    Professeur de sciences politiques à l’Université d’Abomey-Calavi, ancien ministre de la Justice et Garde des Sceaux du Bénin (2009-2011), membre de la commission chargée des réformes politiques et institutionnelles, mise en place par le président Patrice Talon en 2016. Auteur, notamment, de « Boni Yayi ou le grand malentendu. Le quatrième président du renouveau démocratique béninois », paru en septembre 2012 aux éditions L’Harmattan.

Publié le 2 février 2018 Lecture : 3 minutes.

Dans le quartier commercial de Ganhi à Cotonou, au Bénin, en février 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique
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Grand Format – Vers un autre Bénin ?

Vie politique, économie, société,… Ce qui a changé depuis l’élection de Patrice Talon, en 2016. Ce qui va changer en 2018. Et ce qu’en pensent les Béninois.

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Le modèle démocratique du Bénin est régulièrement cité en exemple en Afrique noire francophone avec celui du Sénégal. Il offre une alternance régulière et sans heurts au sommet de l’État, ainsi qu’une régularité satisfaisante dans l’organisation des élections, qu’elles soient nationales, communales, municipales ou locales.

La Constitution n’a jamais été révisée, offrant ainsi aux acteurs politiques, économiques, sociaux et culturels, nationaux comme étrangers, un cadre juridique stable et sécurisé. Cette stabilité profite également au pouvoir judiciaire, qui a eu le temps d’imposer ses jurisprudences en matière constitutionnelle, judiciaire et administrative.

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« La faiblesse du système partisan »

Mais, dans le même temps, tous les analystes et observateurs sont unanimes pour souligner la faiblesse du système partisan qui constitue le principal point noir de la démocratie béninoise. En effet, depuis 1991 que les Béninois élisent leur président de la République, aucun parti politique, aussi connu et structuré soit-il, n’a jamais réussi seul à faire élire son candidat à la magistrature suprême.

Il s’agit d’une véritable « énigme politique », en même temps que d’une véritable « exception démocratique béninoise »

Tous les présidents de la République élus ont été des candidats indépendants, soutenus par des coalitions hétéroclites. Il s’agit d’une véritable « énigme politique », en même temps que d’une véritable « exception démocratique béninoise ».

De même, aucun parti politique n’a jamais gagné les élections législatives sur la base d’un programme de législature. Tous les députés élus l’ont été dans le cadre d’alliances de partis, formées à la veille des élections, sur la base d’affinités personnelles qui disparaissent au lendemain des scrutins. Pis, ils le sont plus à titre individuel qu’à titre partisan et donc, collectif.

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Patrice Talon est le premier président de la République à fixer comme priorité la résolution de cette énigme politique en vue du renforcement de la démocratie béninoise. Il est très tôt apparu que l’absence de financement public a mis les partis politiques dans une situation de subordination, voire de mendicité, vis-à-vis des bailleurs privés, qui ne sont ni des mécènes ni des philanthropes.

Les partis politiques [ont été placé] sous la tutelle des bailleurs privés, avec pour résultat une certaine criminalisation de la vie politique

Les circonstances historiques et les difficultés économiques dans lesquelles la démocratisation a débuté au Bénin ont eu pour conséquence de placer les partis politiques sous la tutelle des bailleurs privés, avec pour résultat une certaine criminalisation de la vie politique

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Dans ce contexte, le financement public, sous certaines conditions, apparaissait comme la solution miracle, et des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées au milieu des années 2000 pour en demander l’instauration. Jusqu’au milieu des années 2010, un tel financement était encore perçu comme un approfondissement même de la vie démocratique du pays.

Depuis 2016 et l’entrée en politique de certains des principaux bailleurs privés des partis, elle apparaît désormais comme une vieille recette, déjà dépassée par le contexte en vigueur.

L’État […] n’était pas préparé à une mutation aussi profonde

Aujourd’hui devenus des acteurs politiques, ni Patrice Talon ni Sébastien Ajavon n’ont besoin de l’argent public pour financer et entretenir les partis politiques qu’ils seront amenés à créer. Idem pour l’ancien président de la République Boni Yayi, si jamais ce dernier voulait continuer à être influent dans la vie politique nationale. D’autres personnes, toutes aussi fortunées, pourraient leur emboîter le pas.

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L’État, il faut bien l’admettre, n’était pas préparé à une mutation aussi profonde. La problématique du renforcement du système partisan béninois ne se pose plus aujourd’hui en termes de financement public, mais bien davantage en termes de lutte contre les conflits d’intérêts au sommet de l’État.

Un champ nouveau de réflexion s’ouvre ainsi, auquel il convient de trouver des solutions pratiques si l’on veut éviter le risque d’un affaiblissement durable de l’État.

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