Côte d’Ivoire : Laurent Pokou, sur les traces d’un Éléphant breton

Laurent Pokou a marqué sa génération. Cet ancien international ivoirien reste une légende dans son pays, mais aussi au Stade rennais. Retour sur le parcours d’un joueur inclassable, reconnu comme l’un des plus grands attaquants de l’Histoire, même si sa carrière n’a jamais décollé comme elle l’aurait mérité.

Laurent Pokou a effectué l’essentiel de sa carrière pro sous les couleurs rennaises. © DR

Laurent Pokou a effectué l’essentiel de sa carrière pro sous les couleurs rennaises. © DR

Publié le 24 juin 2014 Lecture : 6 minutes.

L’ivoirien Laurent Pokou, né en 1947, est une star du foot comme il n’y en a plus aujourd’hui. La star d’une époque pas si lointaine où, avec 15 000 francs par mois, on avait le plus gros salaire d’une équipe de D1 française.

Issu de la banlieue d’Abidjan, à Treichville, Laurent Pokou a d’abord dû faire face aux réticences de son père, cadre dans la fonction publique, à le voir jouer au football. Repéré par l’Usfran de Bouaké et par l’Asec Abidjan, c’est avec eux qu’il obtient ses premiers succès. Et se forge déjà son style rapide, agressif, mais aussi complètement fantaisiste, qui fera le bonheur du public pendant de longues années.

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L’homme d’Asmara

À l’âge de 20 ans, en 1968, il participe à sa première Coupe d’Afrique des nations, en Éthiopie. Il y obtient une belle troisième place, et un surnom : "l’homme d’Asmara", pour un fait d’arme lors de la demi-finale contre le Ghana, le 19 janvier 1968. Alors que les Éléphants sont menés 2 buts à 1, il se déchaîne et inscrit deux buts en à peine cinq minutes de jeu. Complètement survolté, il élimine les défenseurs des Black Stars les uns après les autres, et les laisse médusés par tant d’adresse. La Côte d’Ivoire mène alors 3 à 2, mais ça ne suffit malheureusement pas. Le match se finit sur une victoire du Ghana par 4 buts à 3. Sa légende naît de cette défaite pleine de panache.

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Après les 6 buts inscrits lors de la CAN 1968, Laurent Pokou récidive en en mettant 8 autres lors de l’édition soudanaise de 1970, après avoir inscrit un quintuplé face à l’Éthiopie, ratatinée 6 à 1, offrant à son équipe la qualification en phase finale. Les Eléphants échouent cependant au pied du podium, éliminés encore une fois par le Ghana en demi-finale, puis défaits par l’Égypte lors du match pour la troisième place, 3 à 1 (but de Pokou). En deux participations à la CAN, "l’homme d’Asmara" met 14 fois la balle au fond des filets. Un record qui fait de lui le meilleur buteur de l’histoire de la compétition entre 1970 et 2008, jusqu’à ce qu’un certain Samuel Eto’o ne le dépasse de deux buts.  

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Une carrière internationale qui tarde à démarrer

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Blessé en 1971, il part se faire soigner à Lyon, où il se lie d’amitié avec Salif Keita, qui joue à Saint-Étienne. Le Malien avait été élu Ballon d’or africain en 1970, juste devant Pokou, peut-être parce que ce dernier ne jouait pas dans un grand club européen… Ce n’était pourtant pas faute d’y avoir été invité. Depuis 1968, l’Olympique de Marseille, Saint-Étienne, Monaco et d’autres, tentaient de le faire venir chez eux. À l’époque, les Africains qui évoluent en France se comptent sur les doigts de la main. Mais voilà : "Ballon Fatché" (le "père du ballon", en dioula), ne peut pas quitter la Côte d’Ivoire aussi facilement ! Il faut dire qu’au sein de l’Asec Mimosa, avec lequell il a remporté trois championnats nationaux et six coupes de Côte d’Ivoire, il est devenu une sorte de symbole national. Le président Houphouët Boigny en fait une affaire d’État, jusqu’à lui envoyer les gendarmes pour l’empêcher de prendre l’avion pour Nantes, le 5 décembre 1973. Mais le temps presse. Laurent Pokou a déjà 26 ans, sa carrière risque de lui échapper.

Un showman chez les Bretons

Sur l’intervention de l’homme d’affaire François Pinault, Pokou signe à Rennes. Il est le premier joueur ivoirien à quitter le pays pour jouer dans une division professionnelle, lui qui avait toujours joué sous licence amateur en Côte d’Ivoire. Rennes est un club modeste, qui peine à se maintenir en D1. Dès ses premiers pas en rouge et noir en janvier 1974, Laurent Pokou conquiert le public du Stade de la route de Lorient. Il enchaîne les réalisations, ridiculise toutes les défenses, et permet à Rennes d’éviter la relégation.

Un match avec Pokou, c’est toujours quelque chose de spectaculaire, d’imprévisible. Ses coéquipiers se souviennent de son côté "je-m’en-foutiste", qui faisait tout le sel du personnage. Laurent Pokou, fantasque, fait ce qu’il veut. Quand il décide de jouer, il est irrésistible. Autrement, il n’en fait qu’à sa tête. Une touche de folie créatrice dont on se souvient encore, près de 40 ans après son parcours en rouge et noir. Il aime jouer avec les nerfs de ses adversaire et passe maître dans l’art de chambrer les défenseurs : "Je l’ai vu parfois monter sur le ballon en mettant la main en visière sur son front pour attendre les défenseurs, ou encore faire un petit tour dans un sens, puis dans l’autre ", raconte Alain Cosnard, un ancien de Rennes, interrogé par le site du Stade Rennais.

"C’était un showman, pas un travailleur", explique encore son ancien compagnon de route Bertrand Marchand. Devenu entraîneur, ce dernier s’est dit qu’il devait être possible de trouver d’autres Pokou en Afrique. Peine perdue. "J’ai connu d’autres grands joueurs, mais je n’ai jamais retrouvé quelqu’un qui avait ce talent-là", affirme-t-il lors de la semaine d’hommage à Laurent Pokou à Rennes, en 2011.

Banderole en l'honneur de Laurent Pokou, venu donner le coup d'envoi du match Rennes-Nancy, le 21 ma

Banderole en l’honneur de Laurent Pokou, venu donner le coup d’envoi du match Rennes-Nancy, le 21 mai 2011. © Stade Rennais F.C.

Blessures et oppotunités manquées

Par fidélité envers le "club de son cœur" qui a su l’adopter, il décline les offres les plus alléchantes. Même lorsque, blessé pour sa deuxième saison, il ne parvient pas à enrayer la descente des Rennais en D2. Il a beau être approché par les stéphanois, qui alignent les titres de champion de France, il décide de rempiler en Bretagne. Peu lui importe la D2. Peu lui importe que toute la Côte d’Ivoire aimerait le voir briller ailleurs, dans un grand club. Le début de saison 1975-1976 est explosif : 17 buts en 11 matchs. Mais il se blesse encore. Dix-sept mois d’arrêt. Entre temps, Rennes a fait un nouveau yo-yo, et retourne en deuxième division. Nous sommes déjà en 1977. À 30 ans, "l’homme d’Asmara" quitte la Bretagne, direction AS Nancy Loraine, où Michel Platini se réjouit de l’avoir comme coéquipier. 

C’est la déception. Il n’y passe qu’un an, déprime, ne marque pas de buts. Quand Nancy gagne la Coupe de France en 1978, il n’est pas sur le terrain, à nouveau victime d’un sévère claquage musculaire. Il se sentait si bien à Rennes, qu’il finit par y retourner, faisant fi du contrat qui le liait à Nancy. Les supporteers du stade de la route de Lorient, qui ont participé financièrement à son rachat, lui font la fête. Il joue en D2, mais dans une équipe qu’il aime. Le 24 décembre 1978, lors d’un match de Coupe de France à Saint-Pol-de-Léon, il conteste une décision arbitrale. Expulsé, il envoie un coup de pied à l’homme en noir, en l’insultant. Six mois de suspension, plus 18 avec sursis. C’en est trop. Laurent Pokou met fin à l’expérience européenne et retourne en Côte d’Ivoire, où il rejoue quelques temps à l’Asec Mimosa. Avant de mettre un terme à sa carrière sportive, il participe à une dernière Coupe d’Afrique, en 1980. Puis il se lance dans l’industrie textile, tout en gardant un pied dans le football en tant que sélectionneur, avec de bons résultats, comme avec l’US Yamoussoukro, jusqu’en 1988.

En suivant les matchs de la sélection ivoirienne emmenée par Drogba, Laurent Pokou se souviendra de son propre passage au Brésil, en 1972. Lors de la Coupe de l’Indépendance du Brésil, sa performance au sein de la sélection africaine avait tellement impressionné Pelé, que celui-ci avait déclaré avoir trouvé son "successeur africain".

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