Sénégal – Procès Khalifa Sall : « L’État, ici, c’est Benno Bokk Yaakaar »

Le procès pour « détournement de fonds » de Khalifa Babacar Sall, député et maire de Dakar, en est à son troisième jour d’audience, ce jeudi. Les débats sur le fond n’ont pas encore commencé : les différentes parties au procès se concentrant sur les aspects de procédures. Suivez ici les débats, heure par heure.

Khalifa Sall, député et maire de Dakar, lors de l’audience du 3 janvier au palais de justice de Dakar. © Clément Tardif pour Jeune Afrique

Khalifa Sall, député et maire de Dakar, lors de l’audience du 3 janvier au palais de justice de Dakar. © Clément Tardif pour Jeune Afrique

Publié le 25 janvier 2018 Lecture : 7 minutes.

Après deux jours de débats sur la recevabilité des constitutions de partie civile de la Ville de Dakar et de l’État du Sénégal, le procès du maire de Dakar et de ses 7 co-prévenus a repris devant le tribunal de grande instance de Dakar. Les avocats de la défense et ceux de la Ville de Dakar soutiennent que l’État du Sénégal ne doit pas être partie civile dans le procès, affirmant qu’il n’a subi aucun préjudice. Pour le parquet et l’État du Sénégal, représenté par l’agent judiciaire de l’État (AJE), l’Etat a bien subi un dommage et affirme être en capacité de le prouver durant le procès.

Suivez ici les moments clés des audiences : 

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18h40 – « On ne peut pas avoir un traitement différent pour des faits similaires »

Un nouveau argument de nullité est venu s’ajouter dans la besace des avocats de la défense : l’incompétence du Tribunal de grande instance de Dakar pour juger Khalifa Sall. Outre le non-respect de son immunité de député, Me Amadou Aly Kane soutient que Khalifa Sall est justiciable de la chambre de discipline financière de la Cour des comptes.

Me Kane s’est d’abord évertué à démontrer que les faits reprochés au maire de Dakar et à ses agents sont des fautes de gestion. « Selon la loi organique de la Cour des comptes, les fautes de gestion doivent être déférées devant la chambre de discipline financière de la Cour des comptes. Figurez-vous que ce que vous reprochez à ces prévenus, ce sont des fautes de gestion », a-t-il ainsi souligné. Cette loi organique rend en effet le tribunal incompétent.

Me Kane a aussi froissé la coalition présidentielle, en rappelant que les mêmes fautes de gestion ont été reprochées au maire de la Ville de Pikine, dans un rapport de l’Inspection générale d’État. Des fautes qui avaient été transmises précisément à cette chambre. « Pourquoi refuser à Khalifa Sall ce qu’on a accordé à monsieur Cousin [le maire de Pikine, Abdoulaye Thimbo, l’oncle de Macky Sall]? », a-t-il ainsi soulevé.

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13h40 – Le rapport de l’IGE : l’absent le plus présent

La base de l’enquête du procureur, et donc de toute l’instruction, est un rapport de l’Inspection générale d’État (IGE). Ce corps contrôlé directement par la présidence de la République, n’agit que sur sa saisine.

Mais le rapport sur lequel est basé l’accusation est resté, jusqu’à ce jour, confidentiel. Les avocats de la défense disent n’en avoir reçu qu’une partie, transmise par le juge d’instruction.

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Personne – en dehors des auteurs et des destinataires directs de ce document confidentiel – ne sait d’ailleurs dire exactement combien de pages fait le rapport de l’IGE. Les avocats extrapolent. Il ferait entre 500 et 700 pages, selon les spéculations des uns et des autres…

Les avocats de la défense estiment en tout cas que la confidentialité de ce document est une violation de l’égalité dans ce procès, le parquet ayant eu accès à l’intégralité du rapport, alors qu’eux n’en ont reçu que la partie censée parler de la caisse d’avance.

En outre les avocats de la défense se plaignent de l’interdiction qui leur est faite, depuis l’ouverture du procès, de voir leurs clients. Le procureur a expliqué qu’il s’agissait d’un « problème de sécurité » et les a conviés à une réunion lors de la pause déjeuner, pour choisir les créneaux horaires pendant lesquels ils pourront s’entretenir avec leurs clients. Ce dernier point abordé, le juge a suspendu l’audience, pour une reprise en début d’après-midi.

12h55 – La défense plaide pour une annulation de procédure

Toujours dans les exceptions, MMe Bamba Cissé, Aliou Cissé, Youssou Camara, Khassimou Touré et El Hadji Seydou Diagne de la défense ont tous plaidé pour l’annulation pure et simple de toute la procédure. Leur argument principal : au stade de l’enquête préliminaire, il n’a pas été notifié aux prévenus qu’ils avaient le droit de se faire assister par un avocat.

Le droit des prévenus à se faire assister par un avocat lors de l’enquête préliminaire n’existe au Sénégal que depuis le mois de novembre 2016. Le code de procédure pénal, révisé à cette date, dit que « l’officier de police judiciaire informe la personne interpellée de son droit de constituer conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis en stage. Mention de cette formalité est faite obligatoirement sur le procès-verbal d’audition à peine de nullité ».

Le ministre de la Justice, Ismael Madior Fall, a d’ailleurs diffusé une circulaire, ce 11 janvier, pour dire aux enquêteurs qu’ils doivent notifier ce droit aux personnes interpellées.

11h05 – « L’État, ici, c’est Benno Bokk Yaakaar »

Me Moustapha Ndoye (défense) met les pieds dans le plat et parle de « l’immixtion de l’exécutif » dans la présente affaire. « Cet État ici est un État partisan ! C’est l’État Benno Bokk Yaakaar », la coalition présidentielle au Sénégal.

Pour l’avocat, ce procès n’est que l’une des « nombreuses tentatives » de contrecarrer les activités de la Ville de Dakar. Pour preuve, il cite plusieurs affaires « État du Sénégal contre Ville de Dakar pour abus de pouvoir » qui sont allées devant la Cour Suprême.

Il n’est pas le premier avocat à adopter cette ligne de défense offensive. Mercredi, déjà, Me Ousseynou Fall, toujours de la défense, accusait les avocats de l’État d’être « commandités par des représentants de l’État qui seront jugés ici un jour ». Pour lui ce procès n’est « rien d’autre qu’un moyen d’éliminer un adversaire politique ».

Avant lui Me El Hadji Diouf, avocat de la Ville de Dakar, avait lâché que « le procureur et l’AJE ont reçu l’ordre de couper la tête de Khalifa Sall », et en cas d’échec, « ils seront virés ! ».

10h15 – Me Doudou Ndoye (défense) : « Ce procès ne doit pas avoir lieu »

Aujourd’hui les parties vont présenter leurs « exceptions » et « incidents de procédure ».

Détention provisoire

C’est la défense qui commence, avec Me Doudou Ndoye. Il présente une exception sur la détention des personnes poursuivies pour complicité. Me Ndoye, ancien Garde des Sceaux, s’appuie sur un hiatus entre code pénal et code de procédure pénale pour appuyer son argumentaire.

Le code de procédure pénal ne parle pas de détention provisoire pour les complices mais uniquement pour l’auteur présumé du détournement ou de l’escroquerie. « Ce n’est que le code pénal qui dit que l’auteur et le complice sont soumis à la même peine. Et nous n’en sommes pas encore à la peine », ajoute-t-il.

Conclusion, pour l’avocat : le tribunal doit suspendre et statuer rapidement sur cette exception parce qu’un « jour de plus en prison pour les personnes inculpées de complicité serait une détention arbitraire et illégale ».

Ordonnance de renvoi

Me Ndoye a ensuite réclamé l’annulation de l’ordonnance de renvoi – document par lequel le juge d’instruction ordonne que les personnes inculpées soient présentées devant un tribunal – « a été rendue dans l’irrespect des procédures ». L’avocat affirme n’avoir jamais jamais reçu l’avertissement par le juge de l’émission de cette ordonnance, alors qu’il était déjà constitué pour Mme Fatou Traoré, qui figure parmi les sept coaccusés de Khalifa Sall. « Ce manquement rend l’ordonnance de renvoi nulle et non avenue et donc ce procès ne doit pas avoir lieu », tonne l’ancien Garde des Sceaux.

Immunité parlementaire

La troisième exception soulevée par Me Ndoye porte sur la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall. L’avocat estime d’abord que le maire de Dakar aurait dû être libéré dès qu’il a été élu député, en août 2017. Un argument déjà rejeté par la Cour Suprême.

L’avocat affirme également que le document transmis par l’Assemblée nationale à la justice portant sur la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall n’est « pas authentique ». L’Assemblée nationale n’a pas envoyé le procès-verbal de la séance signé par le président de séance mais un « extrait du procès-verbal signé par Marie Joséphine Diallo, secrétaire générale de l’Assemblée nationale qui n’a aucun pouvoir ». Il conclut que le tribunal doit suspendre jusqu’à ce que les documents originaux lui soit amenés.

Réquisitoire introductif

Quatrième vice de procédure présenté par « l’avocat le plus ancien de ce procès », comme il aime se présenter : le réquisitoire de renvoi, rédigé par le procureur de la République lorsqu’il saisi le juge d’instruction. Celui-ci est « dépourvu de faits, comme l’exige la loi ».

9h07 – Début de l’audience dans le calme

Arrivée dans la salle de Khalifa Sall et de ses co-prévenus encore en détention provisoire – deux, sur les sept autre accusés, comparaissent libres. Cette fois, la salle reste calme ayant retenu les avertissements du juge, la veille, qui menace de sévir au moindre signe troublant les débats. Comme d’habitude, Khalifa Sall va serrer les mains des avocats de l’État et de l’agent judiciaire de l’État.

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