Israël-Palestine : impossible « coming out » arabe

À l’heure où les dirigeants nationalistes d’Israël déploient une politique de colonisation qui hypothèque la possibilité d’un État palestinien, les réactions des pouvoirs arabes sont aussi rares que maigres, parfois ineptes.

Manifestation contre l’annonce du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, le 15 décembre 2017 au Brésil (photo d’illustration). © Cris Faga/Shutterstock/SIPA

Manifestation contre l’annonce du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, le 15 décembre 2017 au Brésil (photo d’illustration). © Cris Faga/Shutterstock/SIPA

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  • Laurent de Saint Perier

    Laurent de Saint-Périer est journaliste spécialiste du Maghreb/Moyen-Orient, couvrant notamment la Syrie, l’Égypte et l’Iran. Il est aussi spécialiste du Gabon.

Publié le 7 février 2018 Lecture : 3 minutes.

La Palestine a de nombreux amis. Mais Israël revêt aussi pour ces derniers un intérêt certain. Les avances de moins en moins discrètes de régimes arabes à l’État hébreu trahissent leurs désirs latents. Certes, en paroles, les dirigeants arabes répètent leur soutien indéfectible aux Palestiniens. Mais, à l’heure où les dirigeants nationalistes d’Israël déploient une politique de colonisation qui hypothèque la possibilité d’un État palestinien, les réactions des pouvoirs arabes sont aussi rares que maigres, parfois ineptes.

En juin 2017, le Liban, l’Algérie, la Tunisie et le Qatar décidaient d’interdire la projection du film américain Wonder Woman, dont le premier rôle est tenu par une Israélienne. À Tel-Aviv, la mesure a fait plus sourire que frémir. En octobre, aux Émirats arabes unis, l’organisateur du tournoi de judo d’Abou Dhabi refusait de hisser le drapeau d’Israël et de jouer son hymne quand le médaillé d’or Tal Flicker est monté sur le podium. Point trop n’en faut : les Émiratis ont fini par présenter leurs plus plates excuses car des judokas arabes avaient refusé de serrer la main des sportifs israéliens.

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Quelques semaines plus tard, les condamnations des capitales arabes ont été timides quand le président américain, Donald Trump, a confirmé le déménagement de son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem. Et c’est une puissance musulmane non arabe, la Turquie, qui s’est placée au premier rang des protestataires en organisant un sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) sur la question.

La question iranienne

Dans le même temps, les monarchies du Golfe font, sous la table, du pied à l’État dont l’hostilité envers l’Iran est en phase avec leur frayeur face à l’expansion régionale de l’« axe chiite ». Ministre israélien de l’Énergie et membre du cabinet de sécurité du Premier ministre Benyamin Netanyahou, Yuval Steinitz est un agent de ce rapprochement.

En janvier 2016, il effectue une visite secrète dans les Émirats pour discuter de la question iranienne et révèle, en mai de la même année, que son pays fournit aux Émiratis comme aux Saoudiens des systèmes de surveillance informatique. En novembre 2017, il confesse : « Nous avons des liens qui sont en effet en partie cachés avec de nombreux États arabes et musulmans, et en général nous sommes la partie qui n’en a pas honte. »

Soutien historique ?

Sous la menace de l’arc chiite tendu par l’Iran, les priorités des puissances arabes sunnites ont changé. Mais la cause palestinienne en a-t‑elle réellement fait partie ? À bien examiner l’Histoire, la défense du peuple palestinien est restée bien théorique. Dès la grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine, l’Irak, la Transjordanie et l’Arabie saoudite font pression pour que cessent les violences.

Si le nom de Palestine reste un cri de ralliement dans la bouche des dirigeants arabes, la réalité a montré le peu de cas qu’ils font des Palestiniens

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À l’issue de la guerre de 1948, les Jordaniens s’emparent de la Cisjordanie, et les Égyptiens de Gaza, qu’ils gouvernent d’une main de fer. En 1971, l’OLP est chassée de Jordanie dans le sang et s’exile au Liban, où l’armée syrienne l’attaque en 1976. En 1982, nouvel exode de l’OLP, en Tunisie.

En Égypte, la paix signée avec Israël en 1979 a décomplexé le régime, qui se targue d’un rôle médiateur tout en participant de son côté de la frontière au blocus drastique imposé depuis 2007 à la bande de Gaza. Les Palestiniens n’auraient-ils pas autant souffert des balles arabes que des balles israéliennes ? Si le nom de Palestine reste un cri de ralliement dans la bouche des dirigeants arabes, la réalité a montré le peu de cas qu’ils font des Palestiniens.

Manifestation Palestinienne contre le déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem. Le roi Saoudien, Ben Salman a aussi été mis à l'honneur. © Khalil Hamra/AP/SIPA

Manifestation Palestinienne contre le déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem. Le roi Saoudien, Ben Salman a aussi été mis à l'honneur. © Khalil Hamra/AP/SIPA

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Les peuples eux-mêmes se lassent des discours officiels utilisés à des fins de diversion interne. Mais les nations du Printemps arabe ont aussi rappelé à leurs dirigeants leurs propres priorités, loin de l’indépendance palestinienne : « Plutôt Al Hoceima que Ramallah, Béjaïa que Gaza, Kasserine que Jénine », semblent-elles leur dire.

« Coming out » impossible

Opportunément, Israël profite de ces contradictions flagrantes, jouant volontiers à l’amante indiscrète face aux pudeurs timorées des capitales arabes. « L’Arabie saoudite […] considère Israël comme un allié plus que comme un ennemi », se félicitait Netanyahou en janvier 2016. Combien de capitales arabes font-elles le rêve inavouable de pouvoir commercer avec Israël et s’abriter, face à l’Iran, derrière sa puissance militaire ?

Le « coming out » est impossible, car la cause reste populaire, et une normalisation en l’absence de solution au conflit israélo-palestinien serait ressentie comme la pire des trahisons. Le traité léonin que voudrait imposer Washington à l’Autorité palestinienne leur apparaîtra-t‑il comme une porte de sortie bien pratique, à défaut d’être honorable ?

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