André Nzapayeké : « La Centrafrique est dans une situation de conflit communautaire »
Le Premier ministre centrafricain André Nzapayeké fait le point sur les avancées réalisées par son pays au cours des derniers mois. Même si la situation sécuritaire demeure critique. Interview.
Jeune Afrique : Le gouvernement centrafricain de transition devra théoriquement se retirer en février 2015 pour laisser la place à un gouvernement élu. Quelles sont les difficultés structurelles auxquelles vous faites face, et les mesures que vous pensez pouvoir amorcer ?
André Nzapayeké : Nous avons trouvé un pays à l’administration inexistante, qui repose sur un système incroyable de prévarication des ressources. Les racines du mal sont profondes. Nous essayons d’identifier les problèmes, de les gérer peu à peu, et de faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de résistance de l’administration contre la politique gouvernementale. Il faut essayer d’augmenter nos ressources intérieures, mais pour cela il faut réformer la gestion des finances publiques, pour que chaque centime entre enfin dans la caisse de l’État, qui perçoit très peu de recettes. L’administration doit cesser d’être au service d’un petit groupe. Et à cause de la situation sécuritaire, et des préparatifs des élections, la période n’est pas favorable aux investissements et importations. En parallèle, nous faisons face à des problèmes de décaissement : le retard des aides promises par la communauté internationale nous met en position difficile. En dépit de ces difficultés, les fonctionnaires sont payés. Et le FMI a approuvé notre programme, signe que le gouvernement a fait de gros efforts.
Les élections sont programmées pour février 2015. Pensez-vous avoir le temps de réformer, dans des délais si courts ?
Tout le monde sait que les problèmes de ce pays ne seront pas réglés durant cette transition, nous ne sommes pas dupes. Les autres continueront. On ne va pas se dire que notre mandat doit être prolongé : d’autres prendront la suite. Cette transition est une chance pour ce pays : c’est la première fois qu’un chef de gouvernement accède au pouvoir sans renverser personne…
Il est possible de se procurer une grenade pour moins d’un euro. La population n’est pas décidée à poser les armes. Comment espérez-vous ramener la sécurité ?
Nous avons déjà lancé cette initiative de désarmement volontaire, le 8 juin, première véritable action en ce sens depuis l’arrivée de la Séléka. La paix ne vient pas de l’étranger. Il n’y aura pas de sécurité sans que la population accepte cette idée. Nous sommes dans un pays extrêmement fragile, les gens ont tellement souffert. Tout le monde est sur les nerfs. Des stocks d’armes sont entrés dans ce pays depuis très longtemps. On a eu la rébellion de Jean-Pierre Bemba au nord de la RDC. Ce sont aussi ses armes qui continuent d’entrer, vendues à vil prix. Il faut que la population comprenne que ce ne sont pas des jouets, qu’il est inutile de se procurer des grenades, et l’amener à se couper des sources d’approvisionnement.
À Bambari, dans l’est du pays, dans le nord, ce sont toujours les groupes armés qui perçoivent les recettes de l’État.
Certaines régions du pays sont encore sous le contrôle des groupes armés. Comment faire revenir l’État ?
C’est l’autorité de l’État qu’il faut rétablir. À Bambari, dans l’est du pays, dans le nord, ce sont toujours les groupes armés qui perçoivent les recettes de l’État. Dans l’ouest, les anti-balakas contrôlent tout, tout est détruit, les fonctionnaires ont fui. Nous ne sommes pas encore capables de collecter les ressources pour gérer un certain nombre de choses. Mais globalement, le pays tend vers une certaine stabilisation.
Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire ?
Les agressions ont changé de forme. Avant, c’étaient des hordes d’anti-balaka et d’ex-Séléka qui dévastaient tout sur leur passage. On va vers des actes criminels, des gangs, mais aussi vers certaines actions à caractère terroriste, perpétrées par des groupes qui ont des liens avec certains mouvements politiques et orientées pour fragiliser la transition.
Toutes les trois semaines environ, une action est menée par des gens qui veulent accéder au pouvoir tout de suite, sans attendre la fin de la transition. Ils créent la zizanie pour apparaître ensuite comme les sauveurs de la nation. Les marches qui ont suivi l’attaque de Notre-Dame de Fatima, certains habitants y ont exprimé une colère légitime, mais on perçoit une volonté de manipulation derrière la manière dont elles ont été organisées, avec de l’argent distribué à des jeunes…
Les ex-Séléka et anti-balaka semblent s’engager dans un processus politique et s’organiser pour faire leur place en vue des élections. Qu’en pensez-vous ?
Que les ex-Séléka et les anti-balaka se transforment en partis politiques : très bien ! Qu’ils arrêtent de perdre temps et argent dans de l’armement. Qu’ils fassent des actions, essaient de montrer un autre visage à la population ! Si les ex-Séléka se prennent pour les défenseurs de la communauté musulmane, qu’ils aident à reconstruire les mosquées, qu’ils nous aident à assister les musulmans de Carnot, Boda, Berbérati qui sont en difficulté, plutôt qu’à prôner des idées rétrogrades telles que la partition du pays.
Il n’y a pas que les ex-Séléka et les anti-balakas. D’autres groupes armés existent toujours dans ce pays : celui du général Miskine, du commandant Sayo, et d’autres encore. Le gouvernement de transition a pour but de ramener tous ces gens autour d’une même table. La RCA a 16 préfectures, une soixantaine d’ethnies… Il n’y a pas deux parties en conflit. Nous avons une situation où on a eu les Séléka qui ont pris le pouvoir. Il y a eu une réaction contre leur manière de gérer le pouvoir. On a trouvé la solution à travers la transition. Aujourd’hui nous sommes passés à un autre stade. Nous sommes dans une situation de conflit communautaire : ce ne sont pas deux parties claires qui sont en conflit aujourd’hui. Il n’y a plus de règles, plus de valeurs. Cette logique qui a entraîné cette affaire chrétiens/musulmans : qui en RCA n’a pas de musulmans dans sa famille, et inversement ? Laissons chrétiens et musulmans tranquilles !
Beaucoup de Centrafricains ont eu des raisons de se révolter. Mais ces raisons ne sont plus valables aujourd’hui, car la transition n’est plus l’émanation d’un groupe donné.
Vous recevez les responsables de ces groupes ?
Je reçois tout le monde, tout comme madame la présidente Samba-Panza. Ils doivent comprendre qu’ils n’ont plus besoin de tirer de coups de feu pour se faire entendre. À un moment donné dans l’histoire de ce pays, beaucoup de Centrafricains ont eu des raisons de se révolter. Mais ces raisons ne sont plus valables aujourd’hui, à partir du moment où la transition n’est plus l’émanation d’un groupe donné, mais une gestion neutre de la crise. Avec la manière dont ce pays a été géré depuis l’indépendance, il y a des raisons pour que les habitants soient révoltés. Au sein de l’armée, il y a eu des tueries, des mutineries. La réduction de notre armée nationale en garde présidentielle, excluant d’office ceux qui n’étaient pas de la région des dirigeants, a provoqué la colère de beaucoup de citoyens. L’arrivée de la Séléka, suivie de la dissolution de nos forces armées, a fait que beaucoup de nos militaires ont intégré les anti-balaka. Tous ces acteurs doivent se retrouver autour d’une table.
L’armée nationale centrafricaine est privée d’armes. Vous réclamez un assouplissement de l’embargo. Où en sont vos discussions avec la communauté internationale ?
Le dialogue avance : nous avons à peu près 6 000 militaires que nous rassemblons pour les renvoyer dans leurs corps d’origine. Ce dialogue dépend de notre propre capacité à nous organiser et à travailler dans la transparence. Nous ne pourrons pas tenir longtemps sans nos propres forces de sécurité. Il faut que cela aille vite.
La présidente a annoncé un remaniement gouvernemental. Où en êtes-vous ?
Ce remaniement répond à un besoin, celui de redynamiser l’action gouvernementale. La première phase était davantage portée sur les urgences. Nous passons à une phase d’action : toutes les grandes résolutions prises les trois premiers mois doivent maintenant se concrétiser. Il y a déjà une liste quasi établie. Mais certaines personnes se sont désistées au tout dernier moment : la règle étant que ceux qui participent à ce gouvernement ne pourront pas être candidats en 2015. Il a fallu retravailler la liste pour parvenir à un équilibre régional satisfaisant. Chacune des 16 préfectures sera représentée au gouvernement. Ces ministres, résidents de leur préfecture, feront remonter vers le gouvernement central les préoccupations régionales. Les régions ne se sentiront plus oubliées. Nous avons aussi jugé utile de consulter ceux qui nous aident dans la sous-région, et avons rencontré quelques problèmes de calendrier. Je ne peux pas donner de délai, mais nous sommes optimistes.
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Dorothée Thiénot, à Bangui
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