« Il n’existe pas d’esclaves en Libye », affirme le ministre libyen des Affaires étrangères

Les résultats de l’enquête sur les scènes de migrants subsahariens réduits en esclavage diffusées par CNN en novembre dernier seront prêts « dans un mois », a assuré Mohamed Tahar Siala, ministre libyen des Affaires étrangères, dans une interview à Jeune Afrique. D’ici là, il considère que « ce reportage n’est pas fiable ».

Le ministre des Affaires étrangères libyen, Mohamed Tahar Siala, le  12 décembre 2017 à Moscou. © Pavel Golovkin/AP/SIPA

Le ministre des Affaires étrangères libyen, Mohamed Tahar Siala, le 12 décembre 2017 à Moscou. © Pavel Golovkin/AP/SIPA

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Publié le 30 janvier 2018 Lecture : 5 minutes.

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Les enjeux du 30e sommet de l’UA : corruption, financement, gouvernance

L’organisation africaine entend accélérer sa réforme lors du sommet qui se tient en Éthiopie jusqu’au 29 janvier. Retrouvez tous nos articles sur ce 30e sommet, qui verra notammen t l’arrivée de Paul Kagame à la présidence de l’UA.

Sommaire

Le 30e sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) a clôturé ses travaux le lundi 29 janvier à Addis-Abeba, en Éthiopie. Si le projet de réforme de l’organisation piloté par le Rwandais Paul Kagame a été au centre des débats, d’autres sujets non moins importants ont été abordés. Parmi ces derniers, la question libyenne, qui devait faire l’objet d’une réunion du Comité de haut niveau de l’UA, dirigé par le président congolais, Denis Sassou Nguesso.

Prévue lundi, la réunion a été finalement reportée, mais le président congolais a quand même présenté son rapport. Il a appelé ses pairs africains à renforcer le rôle de l’UA dans la résolution du conflit libyen et à prendre une position commune sur le thème de la migration.

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Des propositions qui interviennent deux mois et demi après la diffusion par la chaîne CNN d’un reportage montrant des migrants clandestins réduits en esclavage.

Dans une interview accordée à Jeune Afrique en marge de ce sommet, le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Taher Siala, a commenté ces actes qui ont suscité une indignation mondiale. Il a aussi fait le point sur le règlement de la crise libyenne.

Jeune Afrique : Une réunion du comité de haut niveau de l’UA sur la Libye devait avoir lieu ce lundi. Pourquoi a t-elle été reportée ?

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Mohamed Tahar Siala : Elle n’a pas pu se tenir parce que certains chefs d’État devaient quitter Addis Abeba. Mais le président du Comité, Denis Sassou Nguessou, a présenté un rapport sur la situation en Libye au Sommet.

De notre côté, nous avons informé les chefs d’État de la situation sur le terrain, de l’amélioration du climat sécuritaire et économique et des préparatifs aux élections législatives et présidentielle ainsi que du référendum visant à doter la Libye d’une nouvelle Constitution.

Un migrant subsaharien dans une geôle libyenne, en 2013. © Manu Brabo/AP/SIPA

Un migrant subsaharien dans une geôle libyenne, en 2013. © Manu Brabo/AP/SIPA

Dans nos lois, l’esclavage est un crime. Il ne fait partie ni de notre religion, ni de notre culture

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En novembre, la Libye a été vivement critiquée suite à la diffusion des scènes d’esclavage des migrants clandestins diffusées par la chaîne CNN. Comment avez-vous réagi ?

Nous avons aussitôt condamné ces scènes et ouvert une enquête judiciaire pour identifier les criminels et les punir. Mais, pour nous, ce reportage n’est pas fiable tant que les actes qui y figurent n’ont pas encore été authentifiés. Il faut attendre l’enquête de la justice libyenne pour en juger.

Si jamais ces crimes se confirment, leurs auteurs seront sanctionnés. Dans nos lois, l’esclavage est un crime. Il ne fait partie ni de notre religion musulmane, ni de notre culture. Par conséquent, il n’existe pas d’esclaves en Libye, peut-être des mafias qui exploitent la détresse de ces migrants pour les revendre à d’autres mafias, mais les libyens ne sont pas des esclavagistes.

Connaissez-vous ces mafias ?

Attendons le résultat de notre enquête judiciaire ! Il y a quelques jours, nous avons pu arrêter les membres d’un gang armé qui avait atrocement torturé des migrants soudanais. Nous avons pu accéder à leur lieu de détention, à 500 kilomètres de Tripoli, dans le village de Qadahiya, près de Syrte, et avons libérés les migrants qui s’y trouvaient.

Cela montre que notre pouvoir ne se limite pas à Tripoli comme disent certains ou que la situation nous échappe. Les membres de ce gang ont été capturés et ils seront traduits en justice.

Près de l'aéroport de Dakar, mardi 14 novembre 2017, où 136 migrants de retour de Libye ont été accueillis par les autorités sénégalaises et l'OIM. © Olivier Liffran pour Jeune Afrique

Près de l'aéroport de Dakar, mardi 14 novembre 2017, où 136 migrants de retour de Libye ont été accueillis par les autorités sénégalaises et l'OIM. © Olivier Liffran pour Jeune Afrique

Nous avons reçu la visite de responsables africains qui voulaient s’assurer eux-même du démarrage du rapatriement

À quand espère-t-on les résultats de votre enquête sur les scènes d’esclavage ?

Ils seront prêts dans un mois. Les criminels seront identifiés et ensuite jugés.

La diffusion de ces scènes a été suivie par une grosse opération de rapatriement des migrants clandestins. Où en est-on ?

Ce rapatriement a été décidé lors du sommet UA-UE à Abidjan, sur une initiative du président français, Emmanuel Macron. La partie libyenne s’est entretenue avec les chefs d’État africains et européens. Ils ont demandé à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de superviser cette opération que l’UE a bien voulu financer.

Pour notre part, nous avons reçu la visite de responsables africains, dont le ministre des Affaires étrangères nigérien, qui voulaient s’assurer eux-même du démarrage du rapatriement.

Quelques 300 migrants sur un bateau qui accoste en Libye, après avoir été interceptés par les garde-côtes libyens. © Mohame Ben Khalifa/AP/SIPA

Quelques 300 migrants sur un bateau qui accoste en Libye, après avoir été interceptés par les garde-côtes libyens. © Mohame Ben Khalifa/AP/SIPA

 Il existe plus de 25 000 dans les centres de détention que nous contrôlons. Mais l’ensemble des migrants en Libye dépasse les 750 000

Quel en est le bilan ?

Au départ, le problème que nous avons rencontré est que certains pays d’origine ne voulaient pas accueillir leurs ressortissants. Mais les choses ont évolué. Plus de 9000 migrants clandestins sont retournés chez eux (lors de ce sommet, le président de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, avait, quant à lui, parlé de 13.000 migrants rapatriés, ndlr).

À combien estimez-vous le nombre de migrants en Libye ?

Dans les centres de détention qui sont directement sous notre contrôle (Il y en a d’autres qui sont contrôlés par les milices), on a recensé plus de 25 000 migrants. Mais l’ensemble des migrants en Libye dépasse les 750 000.

Beaucoup de pays évoquent le risque d’infiltration de jihadistes parmi les migrants rapatriés. Comment gérez-vous ce problème ?

Le risque sera toujours là, qu’on le veuille ou non. Terrorisme et migration sont devenus interdépendants. À Syrte, nous avons pu arrêter des migrants clandestins qui ont été embrigadés par Daesh. On ne sait pas s’ils combattaient avec cette organisation de force ou par conviction. Mais nous faisons tout notre possible pour y faire face.

Y a-t-il du nouveau sur les élections législatives et présidentielle demandées par l’ONU ?

La Commission électorale a été dotée des moyens nécessaires et elle a commencé son travail. Jusqu’à maintenant, près de 2 millions de Libyens se sont inscrits aux listes électorales. Et le nombre continue d’augmenter.

En même temps, le Parlement libyen va adopter les deux projets de loi : le premier est relatif aux élections législatives et présidentielle et le deuxième sur l’organisation d’un référendum en vue d’une nouvelle Constitution. Si tout va bien, nous espérons tenir ces deux échéances cette année.

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