Défense : où en sont les Forces armées maliennes ?

Deux ans après les événements qui se sont déroulés dans le Nord du Mali, de son invasion par les jihadistes à sa reconquête par les troupes franco-africaines, où en sont les Forces armées maliennes (Fama) dans leur reconstruction ? Éléments de réponse.

Des militaires maliens patrouillent entre Gao et Kidal. © AFP

Des militaires maliens patrouillent entre Gao et Kidal. © AFP

Publié le 11 juin 2014 Lecture : 11 minutes.

* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

Voici un peu plus de deux ans, les 4×4 armés des rebelles du MNLA, des islamistes d’Ansar Eddine, des jihadistes d’Aqmi et du Mujao, fonçaient dans le désert malien. Les insurgés s’emparaient du nord du pays. En dépit d’efforts et d’actes d’héroïsme, les forces gouvernementales s’effondraient. Un an plus tard, en janvier 2013, commençait la reconquête à laquelle participaient moins de 3 000 soldats nationaux vaguement aptes au combat. Tout – ou presque – était à reconstruire pour l’EUTM Mali, programme d’instruction décidé par l’Europe au profit des Forces armées maliennes (Fama).
 

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Prolongement de la mission de l’EUTM

Prévue pour une durée de quinze mois, l’EUTM Mali accomplit parfaitement sa tâche : quatre groupements tactiques interarmes (GTIA, d’une taille équivalente à un bataillon d’infanterie motorisée renforcé) sont formés à l’École militaire interarmes (Emia) de Koulikoro. L’ensemble représente environ 3 000 hommes qui, eux, sont relativement bien commandés, bien entraînés et mieux équipés que le reste de l’armée. Le général Lecointre, premier chef du dispositif, prône rapidement un prolongement de la mission afin de permettre l’organisation de quatre autres GTIA. Recommandation entendue : le programme d’instruction se poursuivra donc jusqu’en mai 2016, avec au bout du compte, la mise sur pied de quatre nouveaux bataillons.

Une armée à deux vitesses dans un État encore bien loin de la convalescence.

Cette extension de la mission EUTM vise aussi à ne pas entériner un principe d’"armée à deux vitesse" avec, d’une part, les bataillons formés par l’Europe, correctement équipés et, d’autre part, les éléments qui ont survécu à la débâcle de janvier 2012, qui pour l’heure n’ont été ni réorganisés, ni véritablement repris en main. C’est à dire au moins 11 000 hommes répartis en 1 régiment para-commando (35e), jusqu’à 6 bataillons d’infanterie motorisée (21e, 22e, 32e, 41e, 61e et peut-être 62e s’il n’a pas été amalgamé aux bataillons EUTM), 2 bataillons du génie (26ème et 34ème), 1 bataillon d’artillerie (36e) et enfin, un bataillon de commandement et de soutien (31e). Une "armée à deux vitesses" qui pourrait bien représenter, dans la durée, un facteur d’instabilité supplémentaire dans un État encore bien loin de la convalescence.

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La réforme du secteur de la sécurité (RSS) malien

Le volet "entraînement" de la mission militaire européenne est le plus connu. Cependant, il en est un autre. En effet, pour aider le Mali dans sa RSS, le pays bénéficie des conseils de l’Advisory Task Force (ATF), composante de l’EUTM. L’organisme se compose de 18 officiers issus de 6 nations européennes. Outre d’encourager à l’avènement d’une loi de programmation militaire (LPM), l’ATF suggère l’abolition des huit régions militaires au profit d’une structure plus cohérente de trois zones de défense. De plus, un centre de planification et de conduite des opérations, fortement doté en moyens de communications, devrait être implanté à Bamako. Une fois en place, il contribuerait à éviter les cafouillages dans la coordination des unités comme ceux vécus début 2012, début 2013 à Konna et Diabali, à Kidal le 21 mai 2014…

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Avant la crise de 2012, personne n’était en mesure de citer précisément les effectifs des forces maliennes. Dès lors, comment planifier des budgets, prévoir des équipements, organiser des programmes sociaux en faveur des militaires et de leur famille ? Comment gérer en toute équité les avancements, la progression des carrières des uns et des autres et ainsi, contribuer à lutter contre la corruption ? Pour répondre à cette question, toujours sur recommandation de l’ATF, est validée l’implémentation d’un logiciel de gestion des personnels, le Système d’information des ressources humaines (Sirh) avec une aide financière canadienne (à hauteur de 1 million de dollars canadiens). Le 13 février, le contrat est signé avec la société Maliteck Plus. L’élaboration de ce dispositif, moins visible que des livraisons de tonnes d’armes, constitue pourtant une étape importante dans le long cheminement vers l’avènement d’une armée plus solide.

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Prépondérance de la formation

Un autre des aspects prépondérants du renouveau tient à l’entraînement assuré par des Maliens eux-mêmes. Des actions nationales dans ce sens sont entamées début 2014. Elles concernent l’infanterie, l’arme blindée cavalerie ainsi que les transmissions. En principe, 8 000 hommes doivent en bénéficier jusqu’en janvier 2015. Simultanément, à Koulikoro, sous l’égide de l’EUTM, sont formés les futurs instructeurs des Fama. Le 27 mars 2014, 14 officiers et sous-officiers reçoivent ainsi leur diplôme, pour un stage de quinze semaines accompli dans le cadre du programme Train the Trainers (TTT, former les formateurs). Stage pas uniquement théorique, puisque ces hommes s’impliquent dans l’instruction du 4e GTIA aux côtés de leurs homologues de l’EUTM.

Par ailleurs, avec huit "bataillons EUTM", les unités qui ne seront pas en opération pourront parfaire leur préparation par le biais de cours, d’exercices, travailler sur l’expérience acquise… Elles pourront aussi contribuer à l’instruction des soldats des autres unités. Afin d’inculquer cette  "culture de la formation continue"  et afin de ne pas voir ces GTIA sombrer dans la routine destructrice des casernes, des sessions de  "rafraîchissement" seront organisées, encouragées dans un premier temps par des équipes de l’EUTM. Dans l’immédiat, ce "rafraîchissement" du 1er GTIA Waraba a lieu à Koulikoro. L’Eucap Sahel va également s’impliquer en parallèle à l’EUTM pour la formation des policiers, gendarmes, gardes nationaux et douaniers.

Derrière cet investissement diplomatico-militaire se cache le souhait marocain de contrebalancer l’influence d’Alger dans le Sahara.

L’aide marocaine ou lutte d’influence larvée Algérie – Maroc

Par ailleurs, l’entraînement de la Garde nationale, de la garde présidentielle et d’éventuelles forces spéciales (issues du 33e Régiment para ?) incomberont en partie au Maroc, tandis que les portes des académies militaires du royaume chérifien devraient s’ouvrir aux officiers maliens. Enfin, Rabat est disposé à fournir des équipements divers à Bamako, mais aussi à faciliter la construction de cantonnements.

Derrière cet investissement diplomatico-militaire se cache le souhait marocain de contrebalancer l’influence d’Alger dans le Sahara. Si cette générosité ne va pas sans susciter des craintes en Mauritanie, en revanche, elle satisfait discrètement le Mali qui, début 2014, se montre méfiant vis-à-vis de l’Algérie. Méfiance pourtant injustifiée : l’intérêt algérien réside dans un Mali stable, avec l’enjeu de ne pas voir une insécurité grandissante sur deux frontières (Mali et Libye). Gage de bonne volonté, le pays s’est dit prêt à recevoir sur son sol les délégations des autorités maliennes et des rebelles.

Les bataillons "qualifiés EUTM"

Pour l’heure, les Fama alignent donc un noyau totalement opérationnel d’environ 3 000 hommes structurés en quatre GTIA. L’ordre de bataille de ce "corps d’intervention" est le suivant   :

–  GTIA Waraba (Lions, opérationnel en juin 2013)

– GTIA Elou (Éléphants, opérationnel en septembre 2013)

– GTIA Sigui (Buffles, opérationnel en décembre 2013)

– GTIA Balanzan (du nom d’un arbre sacré, opérationnel en mars 2014)

Chaque bataillon regroupe de 700 à 720 hommes et de 60 à 80 véhicules. Il s’articule en un détachement commando (de la taille d’une section, 36 hommes), un escadron blindé (une cinquantaine d’hommes et jusqu’à une dizaine de BTR-60PB), trois compagnies d’infanterie (140 hommes avec plusieurs sections d’infanterie et une section d’appui dotée de canons sans-recul SPG9 ainsi que de mortiers de 60 mm M57 croates), d’une compagnie du génie, d’une batterie d’artillerie (avec des lance-roquettes monotube Grad-2M) et enfin, une compagnie de soutien et de logistique (80 hommes). L’armement léger se compose sans surprise de différentes variantes de fusils d’assaut Kalachnikov (ex-Soviétiques, chinois, roumains), de mitrailleuses légères PKM, du versatile lance-roquette antichar RPG-7…

Des innovations tactiques importantes sont à signaler par rapport à l’armée "An 2012". D’une part, les GTIA alignent désormais des tireurs de précision armés de fusils semi-automatiques SVD Dragunov. Ces tireurs sont en mesure de mener des missions d’observation, de neutraliser des adversaires à des distances de 600 à 800 mètres. D’autre part, ils comprennent trois équipes TACP (Tactical Air Control Party) de quatre hommes chacune (issus de l’armée de l’air malienne), dédiées au guidage des frappes aériennes. S’ils travaillent en priorité avec les Mi-24 nationaux, des exercices ont également été menés avec des Mirage 2000D français.

La constitution de bataillons spécialisés est, elle aussi, envisageable. L’idée d’un GTIA formé à partir du 33e régiment para-commando a circulé. Actuellement, des éléments de ce régiment sont affectés aux détachements commandos dans les GTIA existants. Démarche qui contribue à la réconciliation entre bérets verts et bérets rouges… Autre facteur de réconciliation, l’intégration d’un pourcentage de membres des communautés nomades du Nord. Comme nous le rappelions ici et contrairement à une idée reçue, tous n’ont pas choisi la sédition début 2012.

Problèmes ataviques   ?

Malgré des avancées significatives, problèmes et lacunes persistent ; les uns structurels qui s’estomperont à mesure que les Fama gagnent en professionnalisme, les autres malheureusement plus ataviques et de fait, plus difficiles à corriger. Ces derniers touchent notamment à l’état d’esprit, pas toujours compatible avec celui qui doit primer au sein d’une armée démocratique. Esprit "syndicaliste" dont l’expression a par exemple entaché la cérémonie de fin de  formation du GTIA Waraba, en juin 2013, à propos du montant des soldes et de primes… Revendications conduisant à l’annulation de la prise d’armes prévues. Autant dire quelque chose d’incroyable et, plutôt mauvais signe même si l’incident a été minimisé.

Attitude qui a pour corollaire un manque de confiance envers la hiérarchie, les chefs militaires et, tout aussi grave, les décideurs politiques. Cette défiance est bien antérieure à la crise de 2012. Des situations comme l’antagonisme à mots couverts entre le Premier ministre et le ministre de la Défense au sujet de l’accord avec la France, comme l’offensive ratée du 21 mai 2014 la renforcent nécessairement. Au bilan, les militaires ne peuvent que percevoir leurs chefs comme des irresponsables (voire des incapables) qui ne savent pas ce qu’ils font. Perception qui exacerbe l’indiscipline et l’insubordination tout en amenant des officiers aux dents longues à vouloir prendre en mains le destin de leur pays…

… et problèmes structurels

Structurellement, l’action de l’EUTM contribue en principe à améliorer l’efficacité opérationnelle du noyau des forces maliennes. Les GTIA sont instruits dans la tactique des petites unités (notamment pour le combat dans le désert et en localités), à la maîtrise de l’armement léger, des communications (avec des procédures strictes de sécurité), du renseignement tactique, des explosifs (mines et engins explosifs improvisés), des armes d’appui légères, de la conduite de véhicules, ainsi qu’en droit international humanitaire. Plus généralement, une prise de conscience quant au caractère crucial de la formation, de l’entraînement régulier, solidifie la volonté malienne d’aller plus loin que de bonnes intentions.

Les exercices qui se déroulent lors des périodes d’instruction des "bataillons EUTM", impliquent leurs différents éléments organiques dans des scénari variés : les commandos s’infiltrent, reconnaissent, renseignent, empêchent le repli des "ennemis" qu’attaque le gros des forces tandis qu’évoluent habilement les blindés et que les Grad de la batterie d’artillerie effectuent des tirs d’appui… Exercices qui permettent de roder l’ensemble ensuite mis à l’épreuve des déploiements dans le Nord. À l’issue de ces opérations s’ensuivent les travaux sur cette expérience, les "retours d’expérience" (Retex) quant à ce qui a été affronté, les stages de "rafraîchissement" essentiels pour ne pas perdre les bons réflexes, rester affûté intellectuellement et physiquement.

Manquent néanmoins des "grandes manœuvres" au cours desquels seraient engagés simultanément deux ou trois bataillons au complet. L’absence de coordination des unités engagées dans l’offensive de Kidal du 21 mai souligne à quel point il ne suffit pas d’entraîner des compagnies à travailler entre elles au sein d’un même bataillon   : elles doivent aussi savoir comment oeuvrer de concert avec les éléments d’autres unités, dans des actions beaucoup plus complexes. Actions qui exigent une chaîne de commandement encore plus robuste. Actions qui contribueraient à créer une confiance non pas juste au sein d’un même bataillon, mais plus globalement. Or, celle-ci se restructure à peine… Illustration de ce laborieux cheminement : IBK affirme qu’il n’a pas donné l’ordre d’attaquer Kidal le 21 mai. Mais alors qui ? Encore quelque chose d’incroyable, encore un mauvais signe qui conduit d’ailleurs à la démission du ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga. Fusible plutôt que responsable ?

En guise de conclusion  : de la prépondérance de l’approche globale

Les Fama semblent condamnées à répéter leurs erreurs sous l’impulsion d’une politique nationale qui cherche ses marques.

Un peu plus de deux ans après l’effondrement, les Fama semblent condamnées à répéter leurs erreurs sous l’impulsion d’une politique nationale qui cherche ses marques, handicapée par le manque de moyens. En réalité, l’erreur serait de ne considérer l’armée malienne qu’à l’aulne de la sanglante raclée du 21 mai. Évidemment, celle-ci ne peut être ignorée. Évidemment, les Fama n’ont pas été à la hauteur. Cependant, il importe de considérer que ces forces sont encore immatures. Elles ont à grandir à mesure que s’affirmera la politique malienne.

La résolution d’IBK à mettre fin aux tensions dans le nord en définissant une feuille de route focalisée sur la sécurité, sur le développement économique, sur la paix entre tous ceux qui y vivent sous une bonne gouvernance locale (à savoir, une vraie administration visible et "en bon état de marche") va dans ce sens. Désormais, il ne s’agit plus de disputer les villes aux activistes nomades avec l’armée et de se demander ensuite quoi faire, mais de réfléchir d’abord à ce qui peut être fait pour le nord, comment cela peut être fait.

Les Fama ont une place importante dans cette approche globale, en interaction avec les autres mécanismes de ce processus long et complexe. Foin d’une reconquête brutale et précipitée. Foin d’une revanche. Car meilleure revanche contre les maux qui ont frappé le pays serait assurément d’y instaurer une paix avec des fondations bien ancrée dans les cœurs et les esprits. Rude chantier qui s’ouvre peut-être enfin au travers des intentions d’IBK. Enfin un bon signe ?

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>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard

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