Sénégal : cachez ce gay que je ne saurais voir
Au pays de la Teranga, la dépénalisation de l’homosexualité n’est pas au programme. Ni même son évocation à la biennale d’art africain contemporain de Dakar. Crispations autour de l’exposition « Imagerie précaire, visibilité gay en Afrique ».
(Mis à jour le 5 juin à 18h35)
Macky Sall avait prévenu Barack Obama. En juin 2013, à Dakar, le président sénégalais clouait poliment le bec de son homologue américain en indiquant que le Sénégal n’était pas prêt à dépénaliser l’homosexualité, quand bien même l’Occident s’émouvrait encore de l’homophobie sur le continent africain. Et de moucher toute velléité de réplique américaine en évoquant, comme en miroir, les pays qui, eux, n’étaient pas prêts à abolir la peine de mort. Chacun ses mœurs et les zébus seront bien gardés…
Formellement, au Sénégal, l’homosexualité peut être réprimée, en application de l’article 319 du code pénal sénégalais, alinéa 3, issu de la loi n°66-16 du 12 février 1966. La pratique est qualifiée d’" acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe". Le pratiquant est puni d’un à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs cfa. Ainsi, en août 2008, deux hommes étaient condamnés à deux ans de prison pour "mariage homosexuel". En janvier 2009, ce sont neuf homosexuels sénégalais engagés dans la lutte contre le sida qui entendaient la justice prononcer à leur encontre une sentence de 8 ans de prison ferme pour "association de malfaiteurs". La saisie de sex-toys à leur domicile aurait aggravé leur cas.
>> Dossier : homosexualité, politique, religion : l’Afrique, le continenthomophobe ?
Si l’homosexualité relève, au Sénégal, de l’atteinte aux bonnes mœurs, il convient, pour les moralistes, de mettre, en amont, les mentalités à l’abri. Dans un pays à 95% musulman, pas question d’évoquer publiquement l’attirance d’un être par un être du même sexe. Pas d’analyse sociologique, ni de représentation artistique : alors que va s’achever la onzième Biennale d’art africain contemporain de Dakar, ouverte le 9 mai dernier, l’exposition "Imagerie précaire, visibilité gay en Afrique" a, elle, fermé ses portes depuis plusieurs jours. Elle se tenait dans le centre d’art "Raw Material Company", dans le cadre du "off" de la manifestation dakaroise. Elle présentait notamment les travaux du Français Kader Attia sur le rapport au corps dans les sociétés musulmanes, les clichés du Nigérian Andrew Esiebo qui immortalise des gays africains et les œuvres de la Sud-Africaine Zanele Muholi sur les violences subies par des personnes homosexuelles. La Zambienne Milumbe Haimbe, elle, y présentait des "illustrations numériques" mettant en scène une super-héroïne noire et lesbienne…
Dès les premiers jours de la biennale, la directrice de l’exposition, Koyo Kouoh évoquait des actes de vandalisme du centre d’art par "des extrémistes". Sous la menace de manifestations violentes contre l’exposition, elle a finalement décidé de fermer son centre, pour des questions de sécurité de ses employés, nous a-t-elle expliqué suite à la mise en ligne de cet article. L’organisation islamique Jamra s’est par la suite félicite qu’ait été muselé ce "support de propagande des unions contre-nature (…) attentatoire à nos bonnes mœurs" et a même laissé entendre que c’était une décision du gouvernement.
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À son arrivée à la magistrature suprême, Macky Sall a-t-il été tenté de dépénaliser l’homosexualité, comme semblait le comprendre une partie de l’opinion nationale ? Son actuel ministre de la Justice, Sidiki Kaba, ne fut-il pas ce directeur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) qui réclamait la tolérance vis-à-vis de l’homosexualité ? Les deux hommes se contentent de dire aujourd’hui que "les homosexuels ne sont pas maltraités" au pays de la Teranga. Ce n’est pas pourtant pas demain la veille qu’on tolérera réellement ceux qu’on qualifie de "gorjiggen", les "hommes-femmes" en wolof. Tabou, quand tu nous tiens…
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Damien Glez
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