Tunisie : la Constituante sous le regard croisé de deux militantes progressistes
Deux femmes du centre gauche tunisien reviennent sur leur expérience au sein de l’Assemblée nationale constituante, formée en 2011 et chargée de rédiger la loi suprême. Toutes deux placent l’opposition ente conservateurs et progressistes au centre de leur ouvrage.
Deux livres parus coup sur coup début 2018, portant sur la période révolutionnaire et la transition : 2011-2014, Le Bras de fer (Éditions Arabesques) et Chronique d’une constituante (Éditions Demeter). Deux livres écrits par des femmes : Selma Mabrouk pour le premier, Nadia Chaabane pour le second. Deux livres, enfin, signés par des élues de centre gauche : Mabrouk a été militante d’Ettakatol de 2011 à 2012, puis à Al Massar, formation où milite Chaabane. Toutes les deux ont siégé de novembre 2011 à décembre 2014 à l’Assemblée nationale constituante (ANC).
Face à la domination d’Ennahda
Par moments, j’avais l’impression que j’étais sur les bancs d’une université d’études théologiques
À l’ANC, le parti islamiste Ennahda, arrivé en tête aux élections avec 37% des suffrages, dominait. Les deux auteures du bloc dit « progressiste », décrivent donc une ambiance parfois pesante, malgré la joie et l’effusion.
Nadia Chaabane, élue sur une circonscription des Tunisiens à l’étranger, se souvient : « Par moments, lors de discussions dans les commissions constitutionnelles, j’avais l’impression que j’étais sur les bancs d’une université d’études théologiques. Je prenais alors mon mal en patience. »
Arrivée de Paris et profondément marquée par l’histoire d’amis Algériens vivant en France, l’ex-députée avance dans la vie politique comme hantée par le fantôme d’une possible confiscation de la révolution par les islamistes. Ces derniers imposent le rythme des débats et les modulent autour de la question identitaire, se plaint encore la militante de centre gauche.
La bataille de l’égalité hommes-femmes
Le parti pris descriptif du livre de Chaabane explique sans doute pourquoi sa camarade a décidé de donner au sien un titre sans équivoque : Le Bras de fer. Dans cet ouvrage, Selma Mabrouk s’arrête sur les temps forts qui ont marqué la rédaction de la Constitution et laisse entendre que la confrontation entre des forces conservatrices et libérales ont largement marqué ce moment.
Elle revient donc sur le point d’orgue de cette opposition : la bataille sur la place de la femme dans la loi suprême. Des députées d’Ennahda avaient alors soumis à une commission dans laquelle siégeait Mabrouk, un texte soulignant « le principe de complémentarité des rôles [des femmes, NDLR] avec l’homme au sein de la famille… »
Des milliers de manifestants battent le pavé pour inscrire la notion d’égalité entre hommes et femmes. Les islamistes finissent par baisser les armes
Mabrouk sonne l’alerte dès qu’elle prend connaissance du texte : « Le lendemain, 2 août [2012, NDLR] dès 8 heures du matin, je passe à l’antenne sur Shems FM pour expliquer l’ambiguïté de cette trouvaille d’Ennahdha, ce texte supposant que la notion de femme est uniquement définie en fonction de l’homme et non en fonction de sa propre citoyenneté, en tant que personne à part entière », raconte-t-elle.
On connaît la suite : des milliers de manifestants battent le pavé pour inscrire la notion d’égalité en lieu et place de celle de complémentarité entre les hommes et les femmes. Les islamistes finissent par baisser les armes.
>>> A LIRE – Égalité femmes-hommes : l’autre révolution tunisienne
Les deux ouvrages sont directs et leurs auteurs ne s’attardent pas sur la stylistique. Ce sont des livres de témoignages, qui ne sont pas, non plus, des livres « scoop ». Dans les deux ouvrages, on trouve un éclairage sur le fonctionnement concret de la Constituante. Entre les grandes tractations politiques, dûment médiatisées à l’époque, et le fonctionnement formel de l’institution, il y a ces centaines d’allers et retours. Les deux livres documentent ces « petites » batailles, commission par commission, de la chronique de la difficile quête de compromis, texte par texte.
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