La Mecque de l’art

Avec « Hajj, le pèlerinage à La Mecque », l’Institut du monde arabe, à Paris, concilie ses traditionnelles missions diplomatiques avec sa vocation à présenter de jeunes artistes contemporains.

The Black Arch, de Raja et Shada Alem (2011). © Vincent Fournier pour J.A.

The Black Arch, de Raja et Shada Alem (2011). © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 6 juin 2014 Lecture : 6 minutes.

On attendait l’événement qui marquerait le début de la nouvelle ère Jack Lang à l’Institut du monde arabe (IMA) de Paris : le voici. Jusqu’au 10 août, "Hajj, le pèlerinage à La Mecque" se déploie sur deux étages du fameux immeuble du quai Saint-Bernard et relève un triple défi : diplomatique, pédagogique et artistique. L’exposition présentée n’a plus rien à voir avec celle proposée au British Museum de Londres, en 2012. La version parisienne a été entièrement revue par l’IMA et la bibliothèque du Roi-Fahd, et on y décèle la marque du politologue et écrivain Omar Saghi, auteur de Paris-La Mecque. Sociologie du pèlerinage (PUF, 2010) et commissaire de l’exposition.

Pièces anciennes, supports pédagogiques et oeuvres contemporaines

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Comprendre la centralité religieuse du pèlerinage permet d’éclairer, sans l’écraser, le travail de nombreux créateurs, musulmans ou non, qui ont tiré leur inspiration de La Mecque, terre d’Abraham, le patriarche des trois grandes religions monothéistes. L’entrée dans l’exposition se fait par un sas visuel et auditif qui occulte d’emblée le brouhaha du monde extérieur : alors que tourne en boucle l’adhân (appel à la prière) enregistré à La Mecque, le visiteur doit passer entre d’imposants panneaux de photographies, parmi lesquelles celles de Reem Al Faisal, petite-fille du roi Fayçal. Le parcours repose sur un dosage subtil de pièces anciennes, de supports pédagogiques et d’oeuvres plus contemporaines faisant appel à la subjectivité de leurs auteurs. Pas évident en effet de rassembler dans un même lieu des prêts du Louvre, du Musée d’Orsay, du Quai Branly et des collections Khalili, ainsi que d’innombrables fonds rares, comme ceux de la bibliothèque Mamma-Haïdara (à Tombouctou), des archives diplomatiques françaises – où l’on découvre qu’Adrien Proust, père de Marcel, s’intéressait aux mesures à prendre pour lutter contre le choléra chez les pèlerins et que l’émir Abd el-Kader remerciait le président Grévy de l’aide apportée par la France dans l’organisation du hadj -, de la bibliothèque du Roi-Fahd ou du Musée de La Mecque (qui prête des stèles remontant aux Omeyyades et aux Abbassides).

Le politique n’est jamais très éloigné du religieux. Le Sacrifice d’Isaac, de Rubens, est passé entre les gouttes de l’interdit de la figuration des personnages prophétiques, tout comme les Manuscrits de Tombouctou, sauvés de la folie destructrice des hommes. Les Saoudiens ont prêté une sitâra, ce large tissu de soie noir brodé de fils d’or qui orne la Kaba, l’édifice cubique vers lequel convergent les pèlerinages. Une première, rehaussée par la présence, durant les premiers jours de l’exposition, d’un tisserand mecquois. Souvent critiquées pour les destructions qui ont touché le patrimoine architectural et archéologique de La Mecque, les autorités saoudiennes semblent avoir pris la mesure de la richesse de celui-ci, même si les esprits chagrins constateront qu’"il ne reste presque plus rien à détruire".

Devant la maquette figurant les travaux d’agrandissement de l’esplanade – chaque roi se devant de laisser sa marque -, un enfant, 8 ans environ, s’exclame : "Regarde, la tour Eiffel !" Réponse de sa soeur, à peine plus âgée : "Non, c’est la tour Eiffel des Arabes." La tour en question est la Makkah Clock Royal Tower, l’horloge du roi qui, culminant à 301 mètres, est le troisième édifice le plus haut au monde. Les transformations pharaoniques de l’espace mecquois sont d’ailleurs au centre du travail d’Ahmed Mater, médecin et artiste saoudien : la photographie Human Highway rend visuellement l’incroyable densité démographique qui accompagne le rite – industrialisé, presque "taylorisé", selon l’expression de Saghi.

La Mecque inspire

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Même si les travaux d’aménagement et les alertes sanitaires des dernières années ont semblé freiner la progression du nombre de pèlerins, près de 3 millions de personnes accomplissent encore le hadj, le grand pèlerinage du douzième mois, dhou al-hijja, du calendrier lunaire adopté par les musulmans. Chacun rapporte des souvenirs, des représentations pour les proches et les voisins. Ce dont témoignent, par exemple, les peintures "naïves" (avions, pèlerins en habit traditionnel, Kaba) qui ornent parfois les façades de maisons des hadjs (ou hadji) en Afrique de l’Ouest, ou au Proche-Orient. Pour tout musulman, c’est une banalité, mais il faut peut-être le répéter : La Mecque inspire.

L’une des oeuvres les plus photographiées – parfaite pour un selfie bling-bling – est celle des soeurs Raja et Shadia Alem. The Black Arch se présente sous la forme d’un cube en équilibre sur une mer de grosses perles chromées, avec un jeu de reflets sur un large miroir ovale. Une niche creusée dans le cube accueille – il faut se hisser sur la pointe des pieds pour les voir – des petits cailloux rapportés de La Mecque, du même type que ceux que ramassent les pèlerins pour lapider les stèles de Satan, à Mina. On est un peu étourdi par le clinquant de cette installation, qui reflète bien pourtant un certain goût moyen-oriental pour le kitsch.

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Un regard inédit sur l’islam

Dans un contexte de crispation identitaire et de rejet populaire de l’islam en France, cette exposition offre un regard inédit sur l’un des rites religieux majeurs de notre temps. La trajectoire Paris-La Mecque s’inscrit dans le quotidien de millions de Français qui prient quotidiennement en direction des "deux mosquées". Cela représente 6 415 km, soit un an et six mois de marche ou le plus souvent six heures d’avion jusqu’au port de Djeddah et une heure de bus jusqu’à La Mecque. C’est aussi l’itinéraire du voyage d’une vie pour quelques dizaines de milliers de Français chaque année.

Paris-La Mecque, c’est aussi la diagonale qu’empruntent une partie des artistes présentés, dont les soeurs Alem, des Mecquoises habitant à deux pas de la cathédrale Notre-Dame, sur l’île de la Cité. Autre artiste résidant dans la région parisienne, le Franco-Algérien Kader Attia explore les variations autour de la Kaba, avec son Black Cube, une peinture sur toile, où le tissu noir s’effrite et dégouline. Originaires d’autres contrées, âgés de moins de 40 ans, d’autres artistes, déjà remarqués ailleurs, exposent pour la première fois à Paris : Babak Golkar utilise l’imagerie lenticulaire pour From God to Malevich, détournement du fameux Carré noir sur fond blanc, où le polygone s’anime pour représenter différentes vues de la Kaba. Déjà figurée au British Museum, la monumentale installation de l’Iranien Idris Khan Seven Times forme une petite forêt de cubes (49, très exactement) et trône en majesté dans la grande salle du deuxième étage. Une présence iranienne qui n’est pas unique dans l’exposition. Newsha Tavakolian (ou du moins son ihram) fait deux apparitions : avant pèlerinage (Please Forgive Me) et après (My Ihram Dress Hangs by my Bedroom Window). Allez voir, cela vaut le détour.

Diplomatie du "Cheikhier"

Le 22 avril, l’inauguration officielle de l’exposition "Hajj, le pèlerinage à La Mecque" s’est faite en grande pompe, en présence de François Hollande et du fils du roi d’Arabie saoudite, le vice-ministre des Affaires étrangères Abdallah Ibn Abdelaziz. Certes, le président n’a pas pu s’empêcher de faire un hors-sujet, un brin martial, sur le dispositif anti-jihad présenté par son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, le matin même. Mais l’essentiel a été préservé : l’excellence des relations franco-saoudiennes. Au-delà des contrats d’armement qui "rapprochent" les deux États, l’Arabie saoudite a d’énormes besoins en équipement. Ces dernières années ont marqué un tournant dans l’organisation du pèlerinage. Avec les avancées de la biométrie, des transports et de la gestion des foules, Riyad promet de beaux contrats.

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