Union européenne : et si le rêve tournait court…
La gifle infligée le 25 mai aux partis de gouvernement par le succès électoral des partis populistes et xénophobes – qui ont plus que doublé le nombre de leurs élus au Parlement de Strasbourg -, et notamment la spectaculaire percée du Front national, devenu le premier parti eurosceptique de France, suscite beaucoup de questions. Sans prétendre à l’exhaustivité, Jeune Afrique a choisi de répondre à quatre d’entre elles.
Pour l’UE, est-ce le début de la fin ?
Non, elle n’est nullement mise en péril par la percée des partis europhobes. De l’Ukip britannique à Aube dorée en Grèce, ils ont certes vu le nombre de leurs élus au Parlement de Strasbourg passer de 45 à 105. Mais malgré ce succès, ils continuent de ne pas peser très lourd dans une assemblée qui compte 751 députés.
D’autant qu’ils sont loin d’être assurés de pouvoir constituer un groupe parlementaire, indispensable pour gagner en visibilité, obtenir une tribune et se voir octroyer un budget annuel de 3 millions d’euros. Pour y parvenir, il leur faut compter 25 députés – condition que le Front national, avec ses 24 élus, n’est pas loin de remplir à lui seul -, mais originaires de sept pays.
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Cette dernière obligation complique singulièrement leur tâche, tant ces partis sont désunis. Les eurosceptiques résolus à rogner les ailes de l’UE ne se mêlent pas aux europhobes, qui rêvent de la démolir. Les simples xénophobes fuient comme la peste les néofascistes. Les Vrais Finlandais ne veulent pas entendre parler d’une alliance avec le Front national, trop antisémite à leur goût, et celui-ci refuse de siéger aux côtés des néonazis du NPD allemand.
Le scrutin du 25 mai aura donc peu de conséquences sur les institutions de l’Union et les nominations à sa tête. Conservateurs (212 sièges), sociaux-démocrates (186 sièges), libéraux-démocrates (70 sièges) et écologistes (55 sièges) continueront d’imposer leurs vues.
Faut-il alors craindre un changement de cap concernant l’euro ? "Les partis de gouvernement sont droits dans leurs bottes au sujet de la monnaie unique, explique Yves Bertoncini, directeur général de l’association Notre Europe-Institut Jacques-Delors. D’ailleurs, même si les opinions publiques n’aiment guère l’euro, elles ne veulent surtout pas l’abandonner." En France, par exemple, deux tiers des personnes interrogées par les instituts de sondage sont désireuses de le conserver.
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Reste que les tensions nationalistes se feront sentir dans les choix de la future Commission. Ira-t-on vers davantage d’Europe, comme le souhaitent Allemands et Français, voire vers un "saut" fédéral ? ou vers un accroissement de la souveraineté des États membres, à l’instigation des Britanniques ? "Difficile à dire, estime Bertoncini. D’un côté, on peut s’attendre à un recul de l’interventionnisme bruxellois, qui est critiqué de toutes parts. François Hollande le souhaite, mais Nicolas Sarkozy aussi. De l’autre, les demandes se multiplient pour que l’Union en fasse davantage pour la croissance. Quant au saut fédéral, il a été réalisé avec le sauvetage de la Grèce et devrait être confirmé avec la mise en place de l’union bancaire."
L’incertitude est encore accentuée par la cohabitation entre l’UE, qui compte 28 États, et la zone euro, qui en compte 18. C’est l’Union qui peut parler de l’Ukraine avec Vladimir Poutine ou du réchauffement climatique avec le reste du monde. Mais c’est la zone euro qui devrait accélérer son intégration et accroître l’harmonisation sociale et fiscale entre ses membres. Problème : elle n’a pas de budget propre !
Bref, si l’UE n’est pas menacée par la poussée populiste, on peut douter qu’elle soit disposée à corriger ses vieux défauts et à rendre sa construction moins chaotique.
La réélection de Hollande est-elle encore possible ?
Contre vents et marées, le président de la République reste convaincu de conserver des chances raisonnables d’être reconduit dans ses fonctions en 2017.
D’abord, il s’en vante, parce qu’il se croit protégé par la chance. Il est vrai qu’il n’en a pas manqué pour accéder à l’Élysée. La chance est une denrée précieuse, mais elle a un défaut : elle s’use vite si l’on s’en sert avec trop de confiance ou de désinvolture. Il serait donc bien inspiré, cette fois, de ne point trop compter sur elle.
Ensuite, parce que François Hollande estime que l’amorce de la reprise économique mondiale finira par avoir, mécaniquement, des répercussions en France. Et qu’il suffira de quelques rafistolages réglementaires ou fiscaux pour attirer cette manne. Rien, absolument rien ne le prouve, mais il ne faut pas chercher ailleurs l’origine de ses prédictions obstinément démenties par les faits concernant l’inversion de la courbe du chômage ou le retournement de la conjoncture économique.
Enfin, Dieu sait pourquoi, parce qu’il est convaincu que Nicolas Sarkozy, son obsédant rival – le seul à sa mesure, juge-t-il -, ne pourra éternellement échapper aux rets de la justice et qu’in fine il sera dans l’incapacité de lui disputer l’Élysée dans trois ans.
C’est beau, l’optimisme.
La vérité est qu’il est peut-être déjà trop tard. Depuis l’instauration du quinquennat, un président ne peut plus se permettre de musarder en route. À peine le temps de souffler qu’une nouvelle échéance est là. Confirmant la plongée vers les abysses de sa cote de popularité, deux déroutes électorales successives laissent le pauvre Hollande exsangue. À quel saint doit-il se vouer ? Donne-t-il instruction à ses ministres, lors des municipales, de rester à l’écart d’une campagne dont les enjeux sont censés être essentiellement locaux ? L’échec est cinglant. Incite-t-il Manuel Valls à s’engager à fond en faveur de l’Europe ? Il ne l’est pas moins. Le président a déjà tout changé : son Premier ministre, son gouvernement, son staff élyséen et jusqu’au premier secrétaire de son parti. Au début de l’année, il a clairement infléchi sa politique économique dans un sens social-démocrate. Rien n’y fait, tout ce qu’il entreprend se retourne contre lui.
Avec le lancement de la réforme territoriale – la simplification du fameux "millefeuille" administratif -, il donne l’impression de jouer son ultime carte. Mais cette bonne idée verra-t-elle jamais le jour ? De nombreux élus y sont sourdement hostiles. D’ailleurs, un début de fronde agite déjà les rangs du PS. Certains ne cachent plus leurs doutes. Hollande est-il encore en mesure d’être le candidat des socialistes en 2017 ? La carte Manuel Valls n’est-elle pas de beaucoup préférable ?
C’est un fait : la personnalité légère et cynique du président passe mal dans l’opinion. Mais elle n’est pas seule en cause. Depuis vingt ans, la France, insensiblement, se droitise. Sondage après sondage, un nouveau rapport des forces se dessine : 60 % pour la droite, le centre et l’extrême droite, 40 % pour la gauche, l’extrême gauche et les écologistes. Pis, lors des européennes, le total des voix du PS, d’Europe Écologie-Les Verts et du Front de gauche n’a pas dépassé 33 %. Le paradoxe est que, jusqu’aux municipales, cette gauche minoritaire détenait tous les pouvoirs : la présidence de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat, la quasi-totalité des Régions et la majorité des grandes villes et des conseils généraux. Un rééquilibrage est inévitable. Il a déjà commencé.
Crédit : Abm S.Ramis/A.Bommenel / AFP
Pour l’UMP, un boulevard vers le pouvoir ?
Le Front national peut bien continuer de séduire les perdants de la mondialisation – jeunes et ouvriers périurbains, en premier lieu – et l’emporter dans un scrutin à la proportionnelle à un tour comme les européennes, il n’a, en l’état actuel des choses, aucune chance de conquérir le pouvoir à l’issue d’un scrutin majoritaire à deux tours, législatif ou présidentiel, son extrémisme lui interdisant toute alliance.
Le rejet dont fait l’objet la gauche au pouvoir ayant sans doute atteint un point de non-retour, on pourrait estimer qu’un boulevard s’ouvre devant la droite. Son retour aux affaires en 2017 est-il inéluctable ? Non, rien n’est encore joué. Son principal adversaire ? Elle-même. La guerre des chefs dont l’UMP, sa principale composante, est périodiquement le théâtre lasse l’opinion – début 2013, le pugilat Copé-Fillon pour la présidence du parti en fut l’illustration. Les louvoiements incessants de sa ligne politique entre le quasi-centrisme juppéen et le radicalisme ultradroitier du maurrassien Patrick Buisson (aujourd’hui, grâce à Dieu et à l’hebdomadaire Le Point, disparu corps et biens) la désarçonnent. L’accumulation des affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy et ses barons se trouvent englués l’exaspère. Et Jean-François Copé, à lui seul, réussit à la scandaliser. L’effarante affaire Bygmalion ("Bigmillions", s’esclaffent les comiques) a causé sa perte et sa démission de la présidence de l’UMP, mais l’évaluation des dégâts reste à faire. En gros, la société de communication susmentionnée facturait à l’UMP des prestations (meetings, etc.) plus ou moins imaginaires, puis rétrocédait une partie de la somme à… on ne sait trop qui. À un trésor de guerre que Copé aurait choisi de constituer en prévision d’une future campagne présidentielle ? au staff de celle de Sarkozy en 2012 ? aux deux ? La justice s’emploie à l’établir. Le chef autoproclamé a d’abord nié bec et ongles toute implication dans ces magouilles, puis, avec une rare inélégance, a tenté de faire porter le chapeau à des sous-fifres avant d’être fermement poussé vers la sortie, le 27 mai, par le bureau politique. Tous trois anciens Premiers ministres, Alain Juppé, François Fillon et Jean-Pierre Raffarin prendront, à titre intérimaire, les rênes du parti à compter du 15 juin et jusqu’à la tenue d’un congrès à la mi-octobre. Une sorte de révolution de palais. Personnalité politique préférée des Français, Juppé brigue de moins en moins discrètement l’Élysée. Fillon aussi, avec de moindres chances de succès. Et Raffarin se verrait bien président du Sénat. D’une seule balle, les conjurés – on ne sait, à vrai dire, si conjuration il y eut ou si le hasard est seul en cause – ont-ils réussi à se débarrasser à la fois de Copé et de Sarkozy ? L’avenir le dira, mais, contrairement à ce qu’il croit, ce ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour Hollande.
Vers un blocage des flux migratoires ?
"On peut imaginer qu’avec l’afflux de députés europhobes les questions relatives à l’immigration seront mises sur le devant de la scène. Et que, en la matière, les partis traditionnels seront tentés d’aller chasser sur les terres de ceux qui refusent l’étranger en s’appuyant sur des chiffres migratoires erronés", se désole le chercheur Olivier Clochard, du CNRS et de l’université de Poitiers.
Après le drame de Lampedusa, le 3 octobre 2013 – 366 migrants morts noyés -, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE s’étaient empressés de… ne prendre aucune décision en vue de canaliser l’immigration clandestine et avaient renvoyé au sommet de Bruxelles, les 26 et 27 juin, l’élaboration d’une politique migratoire communautaire.
Cette prudence ne leur a servi à rien puisque les formations populistes ont su utiliser la vague xénophobe pour tailler des croupières aux partis de gouvernement. Les anti-immigrés ont habilement mélangé les dangers de la libre circulation des personnes au sein de l’Union, qui est un droit au même titre que la libre circulation des biens et des capitaux et du "moins-disant social" (le désormais célèbre "plombier polonais"), avec la crainte de l’immigration venue des pays pauvres d’Afrique ou d’Asie. Le peuple rom a cristallisé ces peurs, alors qu’il est parfaitement européen.
Le projet (en panne) de Cecilia Malmström, la commissaire sortante chargée des migrations, semble avoir été en partie repris par Jean-Claude Juncker, le chef de file de la droite européenne. Il associe une ouverture de canaux légaux d’immigration et une plus grande solidarité entre les pays membres (en matière d’asile, notamment) à une surveillance renforcée des frontières, grâce à des moyens supplémentaires alloués à l’agence de sécurité Frontex.
>> Lire aussi : l’UE envisage une "grande opération de sécurité et de sauvetage en Méditerranée"
Il y a peu de chances que les frontières entre pays de l’Union soient rétablies, même si une réforme de l’espace communautaire dit "de Schengen" sera demandée par plusieurs États. En revanche, la poussée populiste risque de réduire la politique d’immigration communautaire à des mesures de contrôle renforcé du type "Mare Nostrum", c’est-à-dire à des patrouilles maritimes pour refouler (et sauver de la mort) les immigrants illégaux venus des côtes africaines ou moyen-orientales. "Ce durcissement aura inévitablement pour conséquences de renforcer les filières clandestines et de multiplier les drames humains aux portes de l’Europe", conclut Olivier Clochard.
Plus ou moins d’Europe, that is the question
Le 27 mai à Bruxelles, les 28 chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont, au cours d’un dîner informel, tenté de trouver une parade à la colère manifestée par leurs opinions respectives deux jours auparavant. Le Français François Hollande a demandé une "réorientation" de l’Union vers plus de croissance et d’emploi. Le Britannique David Cameron a réclamé moins d’Europe, qu’il juge "trop présente, trop autoritaire et trop intrusive". L’Allemande Angela Merkel leur a rétorqué que la meilleure réponse à la montée des populismes était la poursuite des réformes destinées à renforcer la compétitivité. En raison de cette cacophonie, le choix du candidat à la présidence de la Commission, poste qui aurait dû échoir à l’ancien Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a été différé, et la question lancinante de ce que le président européen Herman Van Rompuy appelle "la forme future de l’Union" demeure sans réponse : faut-il plus ou moins d’Europe ?
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