Les Kurdes du YPG et le syndrome des « freedom fighters »
Les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), branche militaire du Parti de l’union démocratique (PYD), lui-même lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), sont parvenus à eux seuls à séduire les opinions occidentales. Une situation qui rappelle l’engouement pour les moudjahidine qui a débouché sur la guerre civile en Afghanistan. La Tribune de Jihâd Gillon.
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Jihâd Gillon
Responsable du pôle Maghreb/Moyen-Orient à Jeune Afrique
Publié le 16 février 2018 Lecture : 4 minutes.
On croyait l’expression irrémédiablement ringardisée. Les « freedom fighters », c’étaient ces moudjahidine afghans qui combattaient les Soviétiques dans les années 1980 et qui étaient ainsi qualifiés par un Ronald Reagan peu regardant quant aux motivations réelles de certains d’entre eux. Car que pouvait-il advenir de pire qu’un régime communiste ? En fait de freedom, le départ des troupes soviétiques offrira aux Afghans plus d’une décennie de guerre civile, puis une dictature fondamentaliste.
Freedom fighters… Les talibans avaient dû bien rire de la naïveté des Occidentaux, lesquels se sont juré qu’on ne les y reprendrait plus. Il deviendra même délicat, sous peine de s’exposer aux quolibets, d’évoquer des « combattants de la liberté » autrement que sur le registre sarcastique. La moindre aspiration à plus de liberté dans un pays musulman était invariablement soupçonnée de couvrir des menées islamistes.
Mot d’ordre : méfiance
En France et aux États-Unis, à gauche comme à droite, c’est très vite devenu un réflexe : dès les premières manifestations, on cherche la barbe qui dépasse – si possible bien fournie. On relève d’un ton soucieux l’absence des femmes dans les manifestations. Les commentateurs les plus avertis rivalisent de prudence, glosent sur « l’hiver islamiste » qui ne manquera pas de succéder au « chaos politique ».
Malgré les « lignes rouges » d’Obama ou les diatribes anti-Assad de Laurent Fabius, c’est bien cet attentisme qui a marqué la position des Occidentaux vis-à-vis du Printemps arabe, en particulier en Syrie.
Une image embellie du PYD
Dans le bal des affreux qui opposait jihadistes et forces du régime, les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), branche militaire du Parti de l’union démocratique (PYD), lui-même lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), sont parvenus à eux seuls à séduire les opinions occidentales.
L’image – devenue cliché – de femmes libres et armées luttant contre l’obscurantisme islamiste n’a pas peu aidé. Signe qui ne trompe pas, Bernard-Henri Lévy s’empressait de poser à Kobané avec ses nouveaux amis du Rojava, le Kurdistan syrien.
Ironie de l’Histoire, ils sont aujourd’hui marxistes-léninistes et luttent contre des jihadistes
Une fois n’est pas coutume, Jean-Luc Mélenchon et la gauche anti-impérialiste partageaient l’enthousiasme du philosophe, soulignant dans une tribune de 2015 « à quel point le combat des Kurdes […] représente un espoir pour ceux qui recherchent une solution démocratique, laïque, écologiste et féministe pour la région dans son ensemble ».
Les yeux bandés
En somme, les Kurdes du YPG étaient parés de toutes les valeurs que l’Occident se flatte de promouvoir de par le monde. Le syndrome des freedom fighters était de retour. Ironie de l’Histoire, ils sont aujourd’hui marxistes-léninistes et luttent contre des jihadistes.
Le PYD entendait simplement mettre à profit le chaos syrien pour se tailler un territoire homogène dans le nord du pays
Évidemment, pour que l’image reste belle, il convenait de ne pas trop s’interroger sur la nature réelle de ces militants kurdes, sur leurs attentats en Turquie, leur rôle dans le trafic international d’héroïne, l’élimination méthodique de tous leurs rivaux politiques kurdes en Syrie, leur propension à vider des villages de leurs habitants arabes pour y installer des familles kurdes…
Et feindre d’ignorer que le PYD ne défendait pas le monde libre contre Daesh, mais qu’il entendait simplement mettre à profit le chaos syrien pour se tailler un territoire homogène dans le nord du pays.
Consensus autour du projet kurde
Alors que le PYD est aujourd’hui confronté à l’avancée des troupes turques, accompagnées par des éléments de ce qui reste de l’Armée syrienne libre (ASL), Mélenchon a le tweet plaintif : « Un gouvernement dictatorial membre de l’Otan attaque des Kurdes socialistes. »
Pourtant adepte d’une position ultra-réaliste sur la question syrienne, il semble ignorer que le refus absolu d’un territoire sous souveraineté kurde est l’un des rares objets de consensus entre les nombreux acteurs du conflit syrien.
Les Etats-Unis ont tempéré leur engagement pour ne pas fâcher l’allié turc
Loyalistes comme rebelles ne veulent pas en entendre parler. Ankara ne peut accepter que ceux qu’il considère comme des terroristes administrent un territoire le long de sa frontière. Les États-Unis, qui jusque-là collaboraient avec la milice kurde, ont tempéré leur engagement pour ne pas fâcher l’allié turc, Rex Tillerson déclarant même : « Nous allons poursuivre ensemble la lutte avec la Turquie à Idlib et partout où elle a des préoccupations concernant les terroristes du PKK. » La Russie, à la demande de la Turquie et de l’Iran, n’a pas invité les représentants du PYD au Congrès pour le dialogue national syrien de Sotchi.
« Le PKK et les partis qui lui sont liés doivent être reconnus pour ce qu’ils sont : un opérateur de stabilité et, demain, de paix au Proche-Orient », écrivait BHL en 2014. Le philosophe français ne s’est jamais aussi justement trompé.
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