Gabon – Cameroun : à quand une chasse aux véritables sorciers ?
Au Gabon et au Cameroun, les autorités avaient promis la fin de l’impunité après une série d’assassinats liés à des crimes rituels en 2013. Las, un an plus tard, la justice reste incapable de juger les commanditaires.
Crimes rituels : sur l’autel de la puissance
Achille Obiang Ndong, 33 ans, a disparu lors d’une partie de chasse à Oyem le 13 août 2012. Le corps de ce Gabonais n’a jamais été retrouvé, mais ceux qui l’accompagnaient ce jour-là ont par la suite reconnu avoir prélevé ses yeux, sa langue, son sexe, ses orteils et ses oreilles pour 800 000 F CFA (1 220 euros), raconte sa soeur, Arlette, qui s’est battue pour découvrir la vérité. Achille est une victime parmi d’autres des crimes rituels qui frappent régulièrement les pays d’Afrique centrale. Au nom de croyances ancestrales, le macabre marché des "pièces détachées" alimente la fabrication de fétiches censés donner pouvoir, force ou argent. Dans l’imaginaire de ceux qui y croient, plus la victime a souffert, plus grande sera la puissance du futur talisman.
Les bourreaux présumés d’Achille croupissent aujourd’hui en prison. Durant leurs interrogatoires, ils ont dénoncé un gendarme comme complice ainsi qu’un sénateur en tant que commanditaire. Mais "ceux-là n’ont jamais été entendus par la justice, et il n’y a toujours pas eu de procès", explique Arlette, qui élève désormais son neveu de 2 ans devenu orphelin. Ses yeux las trahissent une profonde rancoeur à l’endroit du système judiciaire. "Je n’y crois plus", soupire-t-elle.
Longtemps niés, les crimes rituels, principalement au Gabon et au Cameroun, n’ont été admis que récemment par les autorités.
Prison à perpétuité sans possibilité de remise de peine
Longtemps niés, les crimes rituels, principalement au Gabon et au Cameroun, n’ont été admis que récemment par les autorités. L’an dernier, des vagues d’assassinats et la découverte, en l’espace de quelques mois, de corps d’adolescents mutilés ont suscité dans les deux pays une psychose inédite, relayée et amplifiée par les médias et les réseaux sociaux.
En mars 2013, le corps sans vie d’Astride Atsame, 7 ans, est retrouvé sur une plage de Libreville. C’est le scandale de trop. Quelques semaines plus tard, des milliers de personnes descendent dans les rues de Libreville pour dénoncer l’inertie des pouvoirs publics. Le président Ali Bongo Ondimba ne peut rester indifférent et, à l’issue de la marche, s’exprime au micro d’une tribune dressée aux portes du palais. "Les barbares ne gagneront pas", assure-t-il. Et d’annoncer un durcissement des sanctions encourues pour les crimes avec prélèvement d’organes : prison à perpétuité, sans possibilité de remise de peine. Une révision du code pénal créant une nouvelle catégorie de crimes "à but fétichiste" est également envisagée. Côté camerounais, Issa Tchiroma Bakary, le ministre de la Communication, monte lui aussi au front, en septembre 2013, pour annoncer qu’un "gang" de huit criminels a été "identifié et démantelé" et qu’une instruction a été ouverte après une vague d’assassinats qui a frappé le quartier Mimboman, à Yaoundé, fin 2012 et début 2013. Sept victimes, des jeunes filles âgées de 15 à 25 ans, ont été dénombrées.
Détention préventive et non-lieu
Las, un an après, "rien n’a changé" au Gabon, s’agace Jean-Elvis Ebang Ondo, président de l’Association de lutte contre les crimes rituels (qui en a recensé une quarantaine en 2013), dont le fils de 12 ans a été tué et mutilé en 2005 : "J’ai quinze dossiers de familles de victimes sur les bras, aucun n’a abouti." Plusieurs procédures judiciaires sont pourtant en cours dans les deux pays. Mais si des meurtriers présumés ont été arrêtés – voire, pour certains, condamnés -, les commanditaires, souvent suspectés d’être des personnes influentes désireuses de grimper dans la hiérarchie sociale ou d’intégrer les plus hauts cercles du pouvoir, restent largement impunis. "Les puissants ne risquent pas grand-chose, ils continuent à se nourrir de nos enfants avant chaque élection, avant chaque remaniement", assure Jean-Elvis Ebang Ondo.
Un exemple ? Arrêté en juin 2013, Gabriel Eyéghé Ekomié, sénateur gabonais du Komo-Kango, était accusé d’avoir promis 20 millions de F CFA à l’assassin d’une fillette de 12 ans, en 2009, en échange des organes génitaux de l’enfant. Il n’a jamais été jugé. Après neuf mois de détention préventive, il a été libéré en mars, bénéficiant d’un non-lieu.
Il peut y avoir plusieurs intermédiaires entre le commanditaire et l’exécutant.
"Le juge a besoin de preuves et il est très difficile d’établir des liens entre l’auteur et l’instigateur", se défend Sidonie Flore Ouwé, procureure de la République. L’avocat gabonais Jean-Paul Imbong-Fadi confirme : "Il peut y avoir plusieurs intermédiaires entre le commanditaire et l’exécutant. Ainsi que des dénonciations calomnieuses, car il suffit de donner l’ordre à l’exécutant, s’il est arrêté, de désigner une autre personnalité politique." Il déplore également "le manque de moyens". "Nous sommes à peine capables de relever les empreintes digitales", avoue-t-il, en soulignant "la nécessité de former des enquêteurs spécialisés".
Les marabouts mieux payés que les avocats
Reste que, justice fonctionnelle ou pas, les croyances populaires ont la vie dure. "Que voulez-vous faire quand l’irrationnel domine ? C’est comme ça depuis toujours, déplore l’avocat camerounais Hippolyte Meli Tiakouang. Avant de s’attaquer aux humains, il y a une dizaine d’années, on faisait des sacrifices d’animaux, et ce jusque dans le palais de justice de Yaoundé. Au cours de certaines procédures, les marabouts sont mieux payés que les avocats !"
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