Sénégal – Procès Khalifa Sall : « Libérez-les et jugez-moi tout seul ! »
Après l’ouverture des audiences, le 23 janvier dernier, le procès du député et maire de Dakar a repris ce lundi devant le tribunal correctionnel de Dakar en s’attaquant au fond du dossier. Suite à la bataille procédurale des premiers jours, les prévenus se sont finalement défendus notamment sur les faits de « détournement de fonds ». Sélection.
« Khalifa Ababacar Sall à la barre », telle est la phrase qui semble être sur toutes les bouches ce lundi 5 février, au tribunal correctionnel de Dakar. En effet, après une intense bataille procédurale, qui avait mené à rejeter une partie des exceptions de nullité soulevées, le procès du maire de la capitale sénégalaise s’est attaqué au fond du dossier.
Avec sept co-prévenus, Khalifa Sall est poursuivi pour « détournement de fonds », portant sur les sommes versées à la caisse d’avance de la Ville de Dakar. Il s’agirait de 30 millions de francs CFA par mois sur la période 2011-2015, selon l’IGE, soit 1,8 milliard de francs CFA au total. Le parquet accuse Khalifa Sall d’avoir été au centre d’un système de fausses factures.
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Différents prévenus ont été appelés à la barre, dont Khalifa Sall, qui a fait une déclaration très attendue. Ils se sont exprimés en l’absence des différents témoins (20 de la défense et deux de l’accusation), interdits d’assister aux débats, comme le veut la loi.
Retour sur les arguments les plus notables.
Khalifa Sall : « Nous n’avons détourné aucun sou »
Alors que Fatou Traoré était appelée à la barre en premier, Me Ousseynou Fall, de la défense, a demandé que Khalifa Sall soit d’abord interrogé, étant le « prévenu principal ». Le juge a suivi le raisonnement de l’Agent Judiciaire de l’État (AJE) et de leurs avocats, partie civile au nom de l’État du Sénégal, qui ont précisé qu’en matière pénale, il n’y avait pas de différence entre les prévenus.
Je suis ici pour avoir refusé une offre politique
Me François Sarr, coordonnateur du collectif des avocats de la défense, a adressé au tribunal une demande de Khalifa Sall, qui souhaitait faire une déclaration. Le juge a accepté en rappelant que ce ne pourrait être « une lecture de déclaration écrite, ni un interrogatoire ».
Pour sa première prise de parole, Khalifa Sall n’y est pas allé par quatre chemins : « Je ne m’y connais pas en procédure mais je sais au moins pourquoi je suis là. Le maire de la Ville de Dakar que je suis et ses agents, mes collaborateurs, sont attraits ici pour des faits très graves. […] Ce procès est un procès politique. Il découle de faits, de causes et de raisons politiques éminemment et fondamentalement. J’ai accepté de venir ici pour que plus jamais un maire ne soit attrait pour ces raisons. […] Nous n’avons commis aucun mal. Nous n’avons détourné aucun sou. Nous n’avons pris aucun franc de l’État. »
Accusé de détournement de fonds, Khalifa Sall a précisé : « On a dit qu’on a pris [de l’argent, ndlr]. Je n’ai pas pris. Je ne suis pas quelqu’un qui prend mais nous y reviendrons. […] Je suis ici monsieur le juge, car j’ai dit non à une offre politique. On m’a fait deux propositions en juin 2012 et en septembre 2012 et j’ai refusé et depuis on a cherché à me déstabiliser. Et aujourd’hui, on passe par mes collaborateurs qui sont innocents. »
« Ces messieurs et cette dame n’ont rien fait. Libérez-les et jugez-moi tout seul ! ».
Fatou Traoré dément avoir signé les factures
À la barre, Fatou Traoré a eu du mal à parler. Même au micro, sa voix était inaudible. Le juge lui a demandé plusieurs fois de parler plus distinctement, plus fort, et de se calmer.
« M. Yaya Bodian m’a demandé de lui prêter l’entête de notre Groupement d’Intérêt Economique familial [GIE, type d’entreprise au Sénégal, ndlr], pour établir des factures afin de justifier la caisse d’avance. Je l’ai fait », a expliqué Fatou Traoré. « De riz et de mil », a-t-elle précisé, en ajoutant qu’elle n’avait plus signé de facture après 2009.
Fatou Traoré a expliqué avoir remis le cachet à Yaya Bodian. Devant les factures établies depuis 2011, elle a affirmé qu’aucune des signatures n’était la sienne.
Factures signées au nom d’brahima Traoré
Selon les déclarations de Yaya Bodian, comptable de la Ville de Dakar, son directeur, M. Mbaye Touré, lui aurait demandé de trouver des factures pour justifier les dépenses diverses de la mairie.
« Sachant que Mme Fatou Traoré a un GIE familial, je lui ai demandé de nous prêter ses factures, tout en lui précisant que c’était juste pour la forme et qu’il n’y aurait pas de livraison. C’était juste pour résoudre un problème comptable pour gérer ces fonds politiques. C’est un percepteur municipal que nous avons trouvé à la mairie qui nous a dit d’utiliser cette méthode pour gérer les fonds politiques. Au début, c’est elle qui signait et qui mettait les cachets. Après, elle m’a remis les factures et le cachet avec les références d’Ibrahima Traoré, président du GIE, pour que j’établisse les factures moi-même. Le GIE n’a jamais été payé puisqu’il n’y avait pas de livraison ».
Tout comme Fatou Traoré, Yaya Bodian a passé en revue les différentes factures versées au dossier et a reconnu les avoir toutes signées au nom d’Ibrahima Traoré « en modifiant [leur] signature ». « La signature sur les « bons pour acquis » ressemble fortement à la signature d’Ibrahima Traoré », a signalé le juge. « Peut-être que j’avais déjà vu cette signature sur les premières factures remises par Fatou Traoré », a répondu M. Bodian. Selon Fatou Traoré, son frère et président du GIE « ne signe pas comme ça. Ce n’est pas sa signature ».
L’inspecteur des affaires administratives de la Ville affirme avoir signé les procès-verbaux « sans vérifier »
Amadou Mokhtar Diop, inspecteur des affaires administratives de la Ville de Dakar, s’est exprimé au sujet des procès-verbaux de réception de marchés : « À mon arrivée à la Ville, il n’y a pas eu de passation de service, donc je ne savais ce qui se passait exactement dans mon service. C’est en fouillant dans les archives de mon bureau que j’ai trouvé un arrêté indiquant que je suis membre d’une commission de réception des marchés. À ce titre, j’ai signé avec désinvolture les procès-verbaux de réception de marchés que Yaya Bodian me présentait. Je le faisais déjà pour mon prédécesseur ».
« Désinvolture, c’est le mot que je peux utiliser parce que j’ai signé sans vérifier, étant entendu qu’il s’agissait de fonds politiques », a précisé M. Diop, en reconnaissant avoir signé les différents procès-verbaux présents dans le dossier.
« Saviez-vous que le Groupement d’Intérêt Economique familial ne recevait pas ces fonds et qu’il n’y avait pas de livraison ? », lui a ensuite demandé le juge. Après avoir d’abord nié, l’homme a finalement avoué avoir été au courant. « Mon prédécesseur aussi le faisait ».
Ibrahima Yatma Diaw (chef de la Division financière et comptable), a de son côté affirmé avoir signé des procès-verbaux « sans vérifier l’état de ces marchés parce que je savais [que c’était] des fonds politiques. Je ne l’ai pas fait que sous Khalifa Sall. Je le faisais depuis octobre 2002 quand je suis arrivé à la Ville ».
« Ces fonds ne sont pas une caisse d’avance »
Recruté en 1992 à la direction administrative et financière de la Ville, Mbaye Touré a eu la présentation la plus technique. « C’est en 1983 que les maires sont devenus ordonnateurs du budget et c’est en 1997 que la caisse d’avance a été créée », a-t-il précisé, ajoutant que selon ses documents, il y aurait eu des fonds politiques à la Ville de Dakar depuis 1983. Il y avait une « pratique qui était différente de la procédure écrite », a-t-il souligné. C’est en 2003 qu’un nouvel arrêté du maire Pape Diop est venu encadrer l’utilisation des fonds de la caisse d’avance et a fait de Mbaye Touré le gérant de cette caisse.
« Tous les actes que j’ai eu à poser le sont dans le cadre de fonds politiques. Ces fonds ne sont pas une caisse d’avance. Ils ne répondent pas aux caractéristiques d’une caisse d’avance », a-t-il ainsi répété, en soulignant qu’à l’arrivée du percepteur municipal, l’inspecteur du Trésor Ibrahima Touré, celui-ci avait alors refusé d’alimenter la caisse puisqu’elle répondait aux normes. Il a fallu une autorisation de ses supérieurs hiérarchiques du ministère des Finances pour qu’il accepte de le faire.
Pour Mbaye Touré, l’utilisation de ces fonds se justifiait tout simplement par le fait que l’arrêté de 2003 autorise à effectuer des dépenses pour « apporter aide et assistance à toute personne en cas de nécessité ».
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