Télécoms : rebranding à haut risque pour Ooredoo
Si, en Algérie, le remplacement de la marque Nedjma n’a pas ému la clientèle, abandonner Tunisiana en Tunisie s’est révélé beaucoup plus délicat pour le groupe qatari.
TIC : des régulateurs télécoms sous influence
Le 25 février 2013, l’opérateur de télécoms QTel, 9,3 milliards de dollars (7,5 milliards d’euros) de chiffre d’affaires pour 95 millions de clients (en 2013), a choisi le plus grand salon mondial du mobile, à Barcelone, pour annoncer son changement de nom ainsi que celui de ses filiales. Exit Nedjma en Algérie ou Tunisiana en Tunisie, appelées à devenir Ooredoo (« Je veux » en arabe).
« C’est plus pratique pour un propriétaire de gérer une marque planétaire, notamment dans les technologies de l’information, explique Hassen Zargouni, fondateur et patron du bureau d’études Sigma Conseil en Tunisie. Il faut cependant comprendre que le « rebranding » ne repose pas sur des analyses ou sur des besoins exprimés par des marchés, bien que la société qui engage une telle opération veille à limiter les risques. »
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À Alger, le changement de nom a été associé au lancement de l’offre 3G, et les chfifres ont explosé.
Si les géants du secteur, comme le sud-africain MTN ou le français Orange, ont tendance à gérer leurs filiales sous une seule marque, certaines d’entre elles ont conservé leur ancien nom.
C’est le cas de Mobinil, en Égypte, propriété d’Orange. De son côté, l’émirati Etisalat n’a pas franchi le pas avec ses participations en Afrique (Atlantique Telecom/Moov, Zantel en Tanzanie, Canar Télécom au Soudan…), pas plus que Maroc Télécom au Mali, au Gabon, au Burkina Faso ou en Mauritanie.
En Tunisie, le challenge Ooredoo était particulièrement audacieux. Lors du changement de marque, en mars dernier, de nombreux clients ont ainsi menacé QTel de boycott, montrant une certaine défiance à l’égard des actionnaires qataris de l’opérateur. Copropriétaires de la société à parts égales avec l’égyptien Orascom jusqu’à la fin 2010, Ooredoo détient désormais 90 % du capital. Une position majoritaire parfois critiquée dans un pays où le riche Qatar n’est pas toujours le bienvenu et où il peut être perçu comme un soutien aux islamistes.
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Mutation
« Il faut se souvenir qu’à son arrivée, en 2002, Tunisiana a littéralement sauvé les Tunisiens tant le mobile est devenu important dans nos pays en développement », préfère rappeler Welid Naffati, fondateur du journal en ligne spécialisé thd.tn. Second acteur lors de son arrivée sur le marché local, il a cassé les prix pratiqués par l’opérateur historique pour devenir le numéro un avec plus de 50 % de part de marché.
« Tunisiana était devenue l’une des marques préférées des Tunisiens, derrière les produits laitiers Délice, selon notre baromètre Sigma, précise Hassen Zargouni. Pour avoir démocratisé l’accès au mobile, mis la Tunisie dans son ADN (nom et couleurs du logo) et rétribué efficacement la fidélité de ses abonnés, ces derniers pouvaient lui pardonner beaucoup de choses. En changeant de nom, Ooredoo a provoqué une mutation dans son image : il va désormais être considéré comme un groupe mondial. Cela induira plus de distance et moins d’affect. »
Difficile, cependant, de déterminer si le rebranding a eu des effets sur son activité. Sa maison mère avait pris ses précautions, orchestrant une campagne de communication jamais vue en Tunisie, avec un budget estimé à plusieurs dizaines de millions de dinars (incluant aussi le réaménagement des espaces commerciaux). Selon les données de l’Instance nationale des télécommunications de Tunisie (INTT), le parc global d’Ooredoo a augmenté de 100 000 lignes entre mars et juillet dernier (6,827 millions), contre plus de 400 000 pour Orange et 270 000 pour Tunisie Télécom, et sa part de marché est passée de 53,1 % en mars à 50,8 % en juillet.
Mais une telle baisse avait déjà été notée l’année précédente. De nombreux paramètres peuvent expliquer ces chiffres : « Le marché est saturé, la concurrence est rude entre les trois opérateurs, et ce dans un contexte de crise, indique Walid Naffati. L’INTT a par exemple obligé ces derniers à réduire leurs tarifs d’interconnexion cette année, à la défaveur d’Ooredoo, qui pouvait jusque-là jouer sur l’effet « club » de son parc client. »
Prestige
En Algérie, la disparition de QTel n’a pas suscité la même controverse. L’opérateur était en 2004 le troisième entrant et la démocratisation de l’accès au mobile est passée par Djezzy, aujourd’hui toujours leader. « Nous avons eu la chance de pouvoir associer l’opération de rebranding, en décembre 2013, au lancement de notre offre 3G, explique le responsable d’une agence Ooredoo à Alger. Les chiffres ont explosé. Il y a bien eu quelques moqueries sur le nom, très arabisant, mais la curiosité, le prestige d’une nouvelle marque internationale et, surtout, les offres promotionnelles, l’ont emporté. »
Ooredoo Algérie annonce au premier semestre 2014 un chiffre d’affaires en hausse de 23 % (à 647,8 millions de dollars) par rapport au premier semestre de 2013 et un Ebitda (excédent brut d’exploitation) en hausse de 18 % (260 millions de dollars). Le nombre de ses lignes a également crû, passant de 9,92 millions à 10,93 millions entre le premier et le deuxième trimestre. La filiale conserve même sa position de numéro un du groupe en taux de croissance.
Prix
Pour réaliser ces performances, Ooredoo Algérie a augmenté ses investissements de plus de 45 % (164 millions de dollars), mais le groupe n’indique pas la part consacrée à l’opération de rebranding (publicité, nouvel habillage des agences…). Au Kenya, Kencell avait changé de nom pour Celtel, en 2004, pour 30 millions de dollars, selon CBS News, avant d’être rebaptisé quatre ans plus tard Zain Kenya pour 40 millions de dollars (puis Bharti Airtel en 2010). Le prix à payer pour Ooredoo sera plus élevé. QTel est devenu Ooredoo au Qatar, en Algérie, en Tunisie, aux Maldives, au Myanmar, à Oman et au Koweït, et l’opération doit se poursuivre en Indonésie, en Palestine et en Irak. Aucun budget total n’a été communiqué.
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