Crise politique au Burundi : « Le risque de génocide est dépassé mais les tueries continuent »
504 personnes ont été tuées au Burundi en 2017, selon le dernier rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme burundaise (APRODH), présenté le 3 février à Paris. Son président, Pierre-Claver Mbonimpa, revient pour Jeune Afrique sur ce bilan.
Plus de 500 personnes ont perdu la vie en 2017 dans les violences liées à la crise politique que traverse le Burundi, selon l’association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH). Dans son dernier rapport, paru en janvier 2017 et présenté le 3 février à Paris, elle dresse un portrait sombre de la situation au Burundi, quelques mois après le retrait effectif du pays de la Cour pénale internationale (CPI) et l’échec de la dernière étape du dialogue inter-burundais à Arusha, boycotté par une grande partie de l’opposition.
Pierre-Claver Mbonimpa, président de l’organisation, qui a lui-même été visé par un attentat qui a failli lui coûter la vie en 2015, revient pour Jeune Afrique sur cette enquête.
Jeune Afrique : Selon l’APRODH, plus de 500 personnes ont été tuées au Burundi en 2017, et 373 autres ont été blessées. Comment êtes-vous parvenus à une telle précision ?
Pierre-Claver Mbonimpa : Notre organisation a continué à travailler comme d’habitude, malgré le fait qu’elle a été radiée par le gouvernement de Bujumbura. Nous coopérons avec la population, avec des sources sécuritaires, avec la police et avec tous ceux qui ne sont pas d’accord avec ce qui se passe au Burundi, surtout en ce qui concerne les tueries. Tous les mois, nous mettons en ligne sur notre site internet un rapport qui fait le point sur la situation.
Dans le rapport, vous mettez en cause les Imbonerakure [ces hommes de l’ombre qui font régner la terreur, ndlr], qui seraient à eux seuls responsables de 62,89 % des atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique. Comment expliquez-vous cette capacité de nuisance ?
Les Imbonerakure sont les jeunes du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Ils sont armés et portent un uniforme. Certains d’entre eux ont été encadrés et formés pour commettre des crimes. Ils commettent des exactions sous couvert du Service national du renseignement (SNR). C’est une police qui émane directement de la présidence de la République.
Les victimes que vous recensez sont des membres des partis politiques de l’opposition ou considérés comme tel. N’y a t-il pas, aussi, des victimes du côté des partisans du président Pierre Nkurunziza ?
En ce qui concerne les crimes commis contre le camp pro-gouvernemental, il y a ceux qui ont travaillé avec le pouvoir et qui, une fois découverts par la société civile, sont assassinés par le même pouvoir afin d’éviter qu’ils ne dénoncent leur mode opératoire.
Au Burundi, nous n’avons qu’une justice de façade. Dans les faits, les magistrats et les juges ne sont pas indépendants
Celui qui a essayé de me tuer, par exemple, travaillait au Service national de renseignement. Mais il a été assassiné parce qu’il avait échoué dans sa mission, de crainte qu’il ne révèle comment les choses avaient été préparées.
Comment envisagez-vous le volet judiciaire, avec la sortie du Burundi du traité de Rome, instituant la CPI ? Des procédures judiciaires sont-elles en cours dans le pays ?
Au Burundi, nous n’avons qu’une justice de façade. Dans les faits, les magistrats et les juges ne sont pas indépendants, ils dépendent directement de l’exécutif. Nous n’avons pas de juridiction susceptible de juger le président de la République, le président du Sénat ou celui de l’Assemblée nationale. C’est pour cela que nous avons saisi la Cour pénale internationale afin de demander que justice soit faite.
Il y a eu un risque de génocide car le pouvoir de Bujumbura avait tenté d’orienter la crise sur un plan ethnique
Depuis 2015, la situation au Burundi laisse entrevoir un possible génocide. La militante des droits de l’homme, Beate Klarsfeld, a récemment exprimé ses craintes à ce sujet. Cette inquiétude vous semble-t-elle justifiée ?
Il y a eu un risque de génocide car le pouvoir de Bujumbura avait tenté d’orienter la crise sur un plan ethnique. Mais les organisations de la société civile et les partis politiques de l’opposition ont expliqué à la population que ce n’était pas le cas, car parmi ceux qui ont fui les exactions et ceux qui souhaitent un troisième mandat de Pierre Nkurunziza figurent aussi bien des Hutus que des Tutsis.
Il y a des morts dans les deux ethnies. Le risque de génocide est derrière nous, mais nous faisons toujours face à des tueries au Burundi.
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