Tunisie : le mystère entoure toujours l’assassinat de Chokri Belaid
Le 6 février 2013, le leader de gauche Chokri Belaïd a été abattu de trois balles tirées à bout portant. Cinq ans après, cet assassinat politique n’est toujours pas résolu. Une nouvelle audience est prévue le 20 février, mais elle ne concerne que des complices présumés. Les commanditaires restent inconnus.
Le 6 février 2013 à 8h05, Chokri Belaïd, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates, formation de la gauche tunisienne, a été tué de trois balles, alors qu’il sortait de son domicile à Tunis.
Âgé de 48 ans, cet avocat engagé avait participé à la mise en place de la transition démocratique, en tant que membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, et était devenu, après l’échec de sa formation aux élections, l’une des principales figures de l’opposition. Son assassinat avait provoqué une vive émotion en Tunisie, et entraîné une grave crise politique.
En pleine campagne électorale, en 2014, le président Béji Caïd Essebsi s’était engagé à faire éclater enfin la vérité sur le meurtre de Chokri Belaïd. Mais si certains des hommes de main ont été arrêtés, l’examen de l’affaire est sans cesse reportée par les tribunaux. Les commanditaires courent toujours et une lourde omerta prévaut.
Une instruction approximative
Le juge d’instruction du bureau numéro 13, premier à être en charge du dossier, n’a pas été efficient. Il a négligé plusieurs pistes, pour se focaliser sur les exécutants.
Lorsqu’il est ensuite devenu procureur de la République, le dossier a été transféré à un autre magistrat qui « ne maîtrise pas du tout son dossier », selon Besma Belaïd, ex-épouse du fondateur du parti Al Watad.
Dix neuf personnes, accusées d’être des complices de l’assassinat à différents niveaux, doivent comparaître devant la justice. D’autres sont en fuite. Quant-à Kamel Gadhgadhi, auteur de l’assassinat, et Ahmed Rouissi, ils sont morts.
Certains des accusés – dont Aberraouf Talbi, Mohamed Akkari, Mohamed Aouadi, Meher Akkari, Kais Mchala, Ezzeddine Abdelaoui, Ahmed Malki et Mohamed Amine Gasmi – ont des liens avec le groupe islamiste salafiste Ansar Al Charia. L’assassinat a par ailleurs été revendiqué par l’État islamique.
Mais la revendication de Daesh n’a été faite qu’en 2014, laissant planer le doute sur la validité de cette piste du terrorisme islamiste.
Un dossier toujours ouvert
De nombreuses zones d’ombre persistent en effet dans le dossier. Les services du ministère de l’Intérieur auraient « égaré » l’arme du crime. Le rapport balistique et un ordinateur ont été dérobés, tandis que la voiture utilisée pour l’assassinat n’a pas été saisie…
D’autre part, la justice piétine. La défense dénonce des dysfonctionnements tels que l’absence d’audition de certains témoins – dont un imam de Bab Al Khadra qui incitait au meurtre de Chokri Belaïd, jamais entendu.
Mohamed Jemour, membre du collectif de défense dans l’affaire, affirmait en septembre 2017 avoir en sa possession « de nouveaux éléments », qui seront probablement examinés lors de l’audience prévue le 20 février devant la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de terrorisme, au tribunal de première instance de Tunis. Mais rien, cinq ans après, ne permet de remonter aux commanditaires de l’assassinat.
Un crime d’État ?
Le collectif de défense est convaincu de l’implication de certains partis au pouvoir en 2013 dans l’affaire et dénonce une absence de volonté politique pour mettre à jour la vérité.
Dans leur collimateur, les islamistes d’Ennahda qui, s’ils ne sont pas coupables, ont néanmoins « une responsabilité politique », pour avoir tenu des discours violents à l’encontre de Chokri Belaïd et en avoir fait une cible.
La requête adressée par la chambre de mise en accusation au juge d’instruction en vue de l’inculpation de plusieurs personnalités est restée sans suite. Dans ce document figurent les noms de responsables politiques et sécuritaires ayant bénéficié d’une couverture du temps de la Troïka, dont l’ancien chef du gouvernement, Ali Laarayedh, et l’ancien directeur général de la sûreté nationale, Ouahid Toujani.
« Tous les indices montrent que le meurtre de Chokri Belaïd est un crime d’État du fait des obstacles dressés pour que la vérité soit révélée. Il ne s’agit pas d’obstacles d’ordre technique, ou liés à l’instruction, mais d’entraves politiques découlant de la coalition au pouvoir », affirme le porte-parole d’al-Jabha, Hamma Hammami. Le collectif de défense a saisi le Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui a désigné en 2014 un rapporteur spécial pour suivre l’affaire.
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