Soupçons de fraude électorale en Guinée : « Nous attendons les preuves »

Contestation des résultats par l’opposition, faible participation, délai de publication des résultats… Au lendemain des premières élections locales depuis 2005, le climat est tendu en Guinée. Amadou Salif Kébé, président de la Commission électorale indépendante, revient pour Jeune Afrique sur les principaux points de crispation et assure, malgré les nombreuses critiques, que les élections se sont globalement bien déroulées.

Des électeurs attendent pour voter dans l’un des bureaux de la commune de Matam, en Guinée, en 2013 (photo d’illustration). © Émilie Raignier pour Jeune Afrique

Des électeurs attendent pour voter dans l’un des bureaux de la commune de Matam, en Guinée, en 2013 (photo d’illustration). © Émilie Raignier pour Jeune Afrique

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Publié le 6 février 2018 Lecture : 7 minutes.

Alors que l’opposition proteste violemment contre le déroulement du scrutin de dimanche – des élections locales plusieurs fois repoussées -, le président de la Ceni a appelé les différentes parties au calme, dans l’attente de la publication effective des résultats officiels, qu’il promet pour ce vendredi.

Amadou Salif Kébé se dit « serein » et relativise les accusations de fraude, tout en affirmant que, contrairement aux constatations fait par de nombreux observateurs, le taux de participation ne devrait pas être aussi bas qu’estimé.

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Jeune Afrique : Contrairement aux précédents scrutins – l’élection présidentielle de 2015 et législatives de 2013 -, les Guinéens ont boudé les urnes. Avez-vous les chiffres exacts de participation ? Et quelles sont les raisons de cette abstention que les observateurs prédisent importante ?

Salif Kébé : Je pense au contraire que l’on a une bonne moyenne. Je n’ai pas actuellement le taux de participation. S’il n’y a pas eu de bousculade dans les bureaux de vote, c’est pour une raison simple : pour ce scrutin, au lieu de 1000 personnes par bureau de vote, la loi a exigé que l’on fixe le quota à 600 électeurs.

Dimanche matin, il y a eu de l’engouement, de longues files d’attente. Et c’est vrai que, dans l’après-midi, cela a commencé à s’amenuiser. C’est normal, parce qu’avant 13h – 14h, dans chaque bureau de vote, il se trouve que 400 à 500 personnes ont déjà voté. Les Guinéens se sont bien mobilisés autour de ces élections locales, surtout à l’intérieur du pays.

Les candidats peuvent saisir le juge s’ils ont des griefs contre le déroulement des élections

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L’opposition conteste ces résultats. Quand serez-vous en mesure de délivrer les premiers résultats provisoires ?   

Les Commissions de centralisation ont commencé à travailler depuis dimanche soir, je suis sûr que les premières tendances interviendront mercredi, à la mi-journée. Elles ont deux jours pour les délivrer, à compter de la réception du dernier procès verbal.

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Une fois que les procès-verbaux sont reçus, ils sont centralisés, et les résultats provisoires sont proclamés par les Commission de centralisation. C’est à partir de ce moment-là que les candidats peuvent saisir le juge s’ils ont des griefs contre le déroulement des élections. S’il n’y a pas de contentieux, nous proclamons ensuite automatiquement les résultats définitifs.

Selon nos informations, lundi, certains bureaux de vote n’avaient pas encore déposé leurs PV à Matoto, en plein centre-ville de Conakry. Comment expliquez-vous ce retard ?  

Les retards peuvent avoir plusieurs explications. Matoto, c’est une commune semi-rurale : il y a des îles, des endroits montagneux… Mais je pense que c’est quand-même du retard si un bureau de vote n’a pas rendu son PV jusqu’à 14h passée, au lendemain du vote… C’est pour toutes ces raisons que nous pensons qu’il faudrait introduire le vote électronique.

Tout de même, on parle, avec Matoto, une commune qui se trouve à Conakry. On peut comprendre que ce retard alimente les soupçons de fraude…

[Ceux qui évoquent des fraudes] savent ce que c’est que Matoto : c’est la plus grande commune du pays, qui a plus de 980 bureaux de vote. C’est vaste. Ce retard ne doit pas être forcément assimilé à une tentative de fraude.

Lors de la présidentielle passée, n’oubliez pas que certains résultats ne sont arrivés que quinze jours après le scrutin. C’est peut-être dû à la route. Certains sont obligés de traverser des fleuves parce qu’ils sont dans des îles, d’autres sont dans des montagnes.

Vous parlez toujours de Matoto ?

Oui ! Nous parlons exactement de Matoto ! Beaucoup de Guinéens ne connaissent pas la réalité des transports à Matoto…

Dans toute la Guinée, il y a toujours des tentatives de fraude

Des soupçons pèsent également quant-à de possibles votes multiples, notamment en Haute Guinée, où l’opposition affirme que le parti présidentiel a fait un usage abusif des procurations. Qu’en est-il ?

Tous savent que, selon les dispositions légales, les questions de procuration sont traitées de façon assez désinvolte par le code électoral. Il prévoit que les autorités locales et militaires peuvent délivrer les procurations.

Avant l’élection, la Ceni a envoyé des directives très claires à chaque bureau de vote, à chaque partie prenante, par e-mails groupés et en version papier : le vote par procuration s’arrête dans chaque bureau de vote à cinq au maximum.

Je sais que dans toute la Guinée, il y a toujours des tentatives de fraude. Les politiciens nous reprochent de n’avoir pas pu faire échouer les tentatives de tricherie. Quelles statistiques a-t-on pour dire qu’il y a eu des votes multiples ?

Il y a ce chef de quartier de Bellevue-Ecole, dans la banlieue de Conakry, qui a été arrêté avec un important lot de procurations…

Venant d’où ? Lisez la loi, les procurations ne sont pas du ressort de la Ceni. Pas du tout [Ce sont les autorités locales qui délivrent les procurations qu’elles font viser par les démembrements de la CENI, a confirmé le juriste Mohamed Camara qui avait dénoncé les incohérences de la Loi électorale avant sa promulgation, ndlr].

Nous ne travaillons pas avec les chefs des quartiers dans la gestion des élections. La loi permet aux autorités locales en général de délivrer des procurations. Comment voulez-vous que l’on reproche cela à la Ceni ? C’est extraordinaire !

La gestion des procurations échappent à la Ceni. Nous voulons l’encadrer

Qu’un préfet, un chef de quartier, soit en possession de procurations est donc légal ?  

Je vous rappelle ce que dit la loi : les autorités locales délivrent les procurations aux électeurs qui en ont besoin. La gestion des procurations échappent à la Ceni. Nous voulons l’encadrer. Certains nous ont même reproché d’interdire qu’il y ait plus de cinq votants par procurations par bureau de vote.

L’un de vos commissaires, Etienne Soropogui, a admis sur le site Guinée 7 l’utilisation « abusive » des procurations…

C’est possible. Mais en sommes-nous comptables ? Toute la question est là. Je vous disais que les parties prenantes tentent par tous les moyens de contourner la loi et nous reprochent après de ne les avoir pas freinés.

Et pensez-vous être parvenu à les freiner, sur ce recours abusif aux procurations ?

Je pense que oui. Le juge qui verrait plus de cinq votants par procuration au niveau des bureaux de vote est en droit de les annuler. C’est la conséquence.

A votre avis, qu’est-ce qui n’a pas marché lors de ce scrutin ?

Dans l’ensemble le travail a été très bien fait, mais l’œuvre humaine n’est jamais parfaite. Il y a eu des retards dans la délivrance de certains documents : des carnets, des registres…

Cela a causé un retard énorme à certains endroits. Mais tout est réglementé par la loi. Quand un bureau de vote n’ouvre pas à l’heure, le temps perdu est rattrapé à la fin de l’heure. Ce ne sont pas des fautes majeures de nature à entacher le travail qui a été abattu pour aboutir à la tenue de ces élections.

Vous annonciez que 80 % des cartes d’électeurs avaient été distribuées. Or, une vidéo circule sur les réseaux sociaux montrant quelqu’un avec un sac plein de cartes d’électeurs le jour du scrutin…

Une personne chargée de la distribution des cartes le jour du scrutin – ce qui est permis par la loi – a été prise d’assaut  par des badauds qui n’avaient pas leurs cartes. Ils ont voulu user de la violence. C’est ce qui s’est passé, à Faranah.

L’individu que l’on voit sur la vidéo était dans le cadre normal de la distribution des cartes qu’il détenait. Ce n’était pas de la fraude. Il n’était même dans un bureau de vote.

Nous avons distribué plus de cinq millions de cartes. Lui, il n’avait même pas une vingtaine de cartes avec lui. Ce sont des lots résiduels qu’il était chargé de distribuer.

Beaucoup estiment que ce scrutin était un test pour vous qui venez de remplacer Bakary Fofana à la tête de la Ceni. Avez-vous le sentiment d’avoir réussi ce test ?   

Est-ce à moi de le dire ? Mon équipe et moi faisons du mieux que nous pouvons afin que les élections soient de qualité. Aux Guinéens d’apprécier. Nous avons impliqué tout le monde. Le succès de ces élections est celui de tout le monde : la classe politique, la Ceni… Nous avons abouti à des élections sans violence [À Kindia, où la bataille a été particulièrement rude entre le maire sortant d’opposition et le candidat du parti présidentiel, des affrontements ont fait un mort et plusieurs blessés lundi, NDLR]. J’espère qu’il n’y en aura pas à la proclamation des résultats.

Il y a des tensions pourtant, notamment à Lambanyi, dans la banlieue de Conakry, et à Linsan, dans la préfecture de Kindia, à 130 km de Conakry…

Il semble que c’est un problème d’argent, à Lambanyi : des jeunes qui ont travaillé dans les bureaux de vote n’ont pas reçu leurs primes, semble-t-il. Je suis resté jusqu’à 2h du matin à gérer cette situation. C’est malheureux que quelqu’un parte avec la caisse…

De l’argent a également disparu à Dalaba, en Moyenne Guinée…

C’est crapuleux ! Il s’agit de 150 millions, que nous avons remboursés. La police continue les recherches.

Qu’avez-vous à dire à tous ceux qui dénoncent des cas de fraudes massives ?

Je pense toujours que la fraude ne se présume pas, elle se prouve. Nous attendons les preuves.

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