Visite de Macron au Sénégal : « La future digue de Saint-Louis ne protégera pas contre l’érosion côtière »
En visite le week-end dernier à Saint-Louis, au Sénégal, Emmanuel Macron a annoncé une aide de 15 millions d’euros pour financer la construction d’une digue contre l’érosion côtière. Un projet aux allures de solution d’urgence, qui révèle le manque de préparation des autorités sénégalaises pour faire face au phénomène, selon Souleymane Niang, géologue local.
Sous les vivats de la foule, le président Emmanuel Macron a promis samedi 3 février l’aide financière de la France dans la lutte contre l’érosion côtière à Saint-Louis. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, l’ancienne capitale coloniale vit sous la menace sourde de l’élévation du niveau de la mer. D’année en année, les vagues grignotent patiemment le littoral, engloutissant sous les flots les villages alentour.
Le péril qui plane sur la « Venise africaine » s’est aggravé ces dernières années avec l’aggravation de la situation dans la langue de Barbarie. Peuplée de 55 000 habitants, cette mince bande de terre de 20 km de long amortit d’ordinaire la violence de la houle sur le littoral. Un rôle mis à mal par l’élargissement inexorable de la brèche creusée en 2003 pour soulager la crue du fleuve Sénégal.
La mer continuera de s’attaquer avec la même force à l’installation et finira par la rendre vulnérable
La construction d’une digue a débuté fin 2017 au sud de la langue de Barbarie. Un projet qui sera financé par la France à hauteur de 15 millions d’euros selon Emmanuel macron. Pourtant, cette installation n’offrira probablement pas une protection pérenne contre l’érosion côtière, selon Souleymane Niang, géographe-géomorphologue à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Le spécialiste souligne également l’urgence de mettre enfin en oeuvre une politique cohérente et efficace sur l’ensemble du littoral sénégalais.
Jeune Afrique : Le président français Emmanuel Macron a promis une enveloppe de 15 millions d’euros pour le financement d’une digue le long de la langue de Barbarie. En quoi consiste ce projet et est-il viable ?
Souleymane Niang : Cette digue fera 3,5 km de long entre les quartiers de Goxu Mbacc et Guet-Ndar. Son objectif sera de préserver les habitats de la violence des vagues. Mais cette protection n’arrêtera pas l’érosion. Autrement dit, la mer continuera de s’attaquer avec la même force à l’installation et finira par la rendre vulnérable. Les autorités le disent elles-mêmes : c’est une solution d’urgence.
Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, l’ancien président Abdoulaye Wade estime que la construction de digues peut aggraver le phénomène de l’érosion sur d’autres côtes. Est-ce exact ?
En l’absence d’étude technique, il serait hasardeux de dire avec exactitude que les digues aggravent l’érosion côtière sur les autres extrémités. Reste que les inquiétudes de Abdoulaye Wade sont réelles et justifiées.
Dans le cas de la future digue de la langue de Barbarie, on peut s’attendre en effet à un transfert du processus d’érosion en aval de l’installation. Car les sédiments et le sable ont tendance à cet endroit à se déplacer sur un axe nord-sud. La nouvelle digue peut accentuer ce processus.
On évoque une étude de grande ampleur menée par la société Egis International, en vue d’une solution pérenne à Saint-Louis. En quoi consiste-t-elle ?
Il s’agit d’une étude de courantologie, qui vise à recueillir un maximum de données sur la vitesse et la direction des courants, l’amplitude de la houle et la mesure des fonds marins. Une telle étude aurait dû précéder la mise en route du chantier de la digue le long de la langue de Barbarie. Car les données recueillies sont censées conditionner le type et la forme de l’ouvrage (la hauteur de la digue, la distance avec les maisons, les aménagements aux extrémités de la digue, etc.), en permettant de comprendre le comportement de la plage et de l’érosion avant et après l’aménagement.
Le dernier aménagement de la digue remonte à l’époque coloniale, en 1929
Cela n’a malheureusement pas été le cas – malgré la nécessité pour ce type de chantiers de réaliser une étude technique et une étude d’impact environnemental et social (EIES). Espérons toutefois que le travail mené actuellement par Egis pourra éclairer et rectifier, si besoin, des erreurs liés à l’aménagement actuel.
Le problème de l’érosion côtière à Saint-Louis n’est pas récent. Pourtant, les autorités semblent avoir réagi avec beaucoup de retard…
Si l’on fait exception du chantier de cette digue, le dernier aménagement remonte effectivement à l’époque coloniale, avec la création en 1929 d’un mur censé protéger une partie de la langue de Barbarie. Depuis, rien ou presque n’a été fait, mis à part quelques petits travaux réalisées pour colmater une partie du mur qui s’était effondrée.
Au Sénégal, la question de Saint-Louis et de la langue de Barbarie n’est pas un cas à part. Sur l’ensemble du littoral, on constate une absence de politique cohérente et efficace pour lutter contre le phénomène de l’érosion côtière.
Comment l’expliquez-vous ?
Lutter contre l’érosion côtière coûte excessivement cher. Pour sauver la langue de Barbarie, les autorités ont imaginé à un moment d’installer des brise-lames, censés casser la violence des vagues et permettre à la plage de se régénérer. Mais ils ont dû reculer face au coût exorbitant de ce type d’installation.
À l’horizon 2080, on estime que les deux tiers du littoral devraient être concernés par un risque fort de submersion
Autre projet abandonné : l’acheminement de sable pour compenser l’érosion côtière. Une idée séduisante sur le papier, sauf qu’il n’est pas simple de trouver du sable de même qualité et en quantité suffisante. Le même problème se pose à Saly, où les autorités ont abandonné l’idée de faire venir du sable du continent, en raison de l’impact environnemental d’un tel projet. Désormais, ils ambitionnent de mener des opérations de dragage de sable en haute mer.
L’érosion côtière semble toucher l’ensemble des côtes sénégalaises. Est-ce que le phénomène risque de s’aggraver dans les décennies à venir ?
C’est exact. L’érosion côtière touche presque toutes les villes du littoral, aussi bien sur la Petite Côte (au sud de Dakar) que sur la Grande Côte (de Dakar à Saint-Louis). La topographie de la côte, combinée à la récurrence des ondes de tempête, la rend particulièrement vulnérable lors des périodes de fortes houles.
À l’horizon 2080, on estime que les deux tiers du littoral devraient être concernés par un risque fort de submersion. Le danger sera particulièrement prégnant le long de la Grande Côte, où la rupture du cordon dunaire [les dunes qui constituent une barrière naturelle entre le littoral et la mer, ndlr], en cas de tempête exceptionnelle, pourrait entraîner des dégâts majeurs sur les terres agricoles adjacentes.
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