Procès Khalifa en France : Rafik signait, son groupe payait
L’ancien milliardaire algérien Rafik Moumen Khalifa, incarcéré à Alger, est jugé par contumace depuis lundi à Nanterre, près de Paris. Accusés comme lui d’abus de confiance, de détournement et de banqueroute, dix coaccusés sont attendus à la barre.
Mis à jour à le 10 juin à 12H19.
Le procès de Rafik Moumen Khalifa, 47 ans, l’ancien milliardaire algérien, s’est ouvert lundi 2 juin au Tribunal de grande instance de Nanterre, près de Paris. En l’absence du principal accusé, incarcéré à la prison d’El Harrach, à Alger, après son extradition de Grande-Bretagne en décembre dernier, ce sont dix autres personnes, dont son ex-épouse, Nadia Amirouchène, ses principaux anciens collaborateurs, un notaire, d’anciens représentants de son entreprise en France ainsi qu’un constructeur et équipementier aéronautique, qui vont défiler à la barre pour répondre des chefs d’inculpation d’abus de confiance, de détournement et de banqueroute.
Pendant les trois semaines de ce procès parisien, le tribunal de Nanterre entend décortiquer quatre affaires liées à la faillite du groupe Khalifa : l’acquisition pour 35 millions d’euros puis la revente de la villa Bagatelle de Cannes pour la moitié de son prix, les appartements parisiens loués par le groupe pour les proches de Khalifa, la cession de trois avions de Khalifa Airways pour un montant de 5,5 millions d’euros et enfin la revente d’une douzaine de voitures de luxe.
Premier volet de ce procès : les appartements en France. Pour mesurer l’ampleur de la gabegie reprochée au groupe Khalifa, il faut écouter la présidente du tribunal, Fabienne Siredey-Garnier, énumérer le nombre d’appartements, 13 au total, la plupart loués dans les beaux quartiers de Paris par l’ex-milliardaire à ses hauts cadres, à sa famille et à ses amis.
Les largesses du patron
Du temps de la splendeur du groupe entre 2000 et 2002, Rafik Moumen Khalifa dépensait sans compter pour assurer le confort de ses employés en France. Parmi eux, Tayebi Sakina, déjà condamnée en mars 2007 par le tribunal de Blida, en Algérie, à 15 ans de prison. Réfugiée en France depuis 2003, l’ancienne directrice générale de Khalifa Airways, la compagnie aérienne créée par l’ex-golden boy, Mme Tayebi a bénéficié des largesses de son patron à Paris alors qu’elle résidait et travaillait en Algérie. Comment ? Entre 2001 et 2003, elle se faisait louer avec son mari, un dentiste reconverti dans l’aéronautique chez Khalifa Airways, un appartement dans le 16e arrondissement parisien pour un loyer mensuel de 3 860 euros, sans compter les charges.
La présidente du tribunal s’interroge : comment expliquer de tels privilèges aux employés du groupe Khalifa ?
La présidente du tribunal s’interroge : comment expliquer un tel privilège alors que cet appartement était très rarement occupé par le couple ? Qui payait les factures ? Le couple Tayebi était-il au courant du montant des locations ? À la barre, Mme Tayebi, d’une voix à peine audible, explique que le patron, Rafik Khalifa, souhaitait mettre à la disposition des hauts cadres du groupe des pieds à terre à Paris sans se soucier des dépenses. Elle, bien sûr, ne connaissait pas le montant des loyers pas plus qu’elle n’a vu aucune facture défiler sous ses yeux. Elle se contentait d’habiter les lieux deux fois par mois.
Dans une déposition lue par la présidente du Tribunal, l’ex-golden boy algérien explique pourquoi ce privilège a été accordé à Mme Tayebi : "C’est normal, c’est un bonus pour ceux qui travaillent beaucoup pour la société. Mme Tayebi travaillait bien et avait une bonne influence sur les salariés."
"On ne se posait pas de questions"
Autre prévenu appelé à la barre, Krim Smail, condamné en Algérie en mars 2007 à 20 ans de prison pour "constitution vol, fraude et escroquerie, abus de confiance et falsification de documents bancaires". Bien que vice-président de Khalifa Bank en Algérie, lui fut occupant à partir de 2002 d’un appartement loué par le groupe à Paris avant de bénéficier d’un autre bien immobilier acheté, là aussi, par Khalifa pour un montant de 909 400 euros. Qu’est ce qui explique tous les avantages octroyés? "On ne se posait pas de questions", répond Smail à la barre. "Je voyageais régulièrement avec Rafik Khalifa lorsqu’il me le demandait, ce qui justifiait les lieux d’accueil." Aujourd’hui, la justice française reproche à Smail d’avoir revendu cet appartement et d’avoir gardé l’argent pour lui. L’avocate du prévenu, Isabelle Coutant-Peyre, conteste l’accusation de recel de banqueroute retenu contre son client et estime que ce procès n’a plus de fondement. "La liquidation judiciaire en France a dégagé un gros bénéficie même si le liquidateur refuse d’en donner le montant exact alors que la liquidation est à l’origine de ce procès", dit-elle.
"Il payait tout, parfois par chèque, au nom de Khalifa Airways"
Nadia Amirouchène, pharmacienne de formation, mariée à Rafik Khalifa en septembre 1995 et divorcée en 2004, n’a pas moins bénéficié des largesses de son ex-mari. Pour assurer son confort et celui de sa fille, née en 1998, Rafik Khalifa lui a acheté un duplex de 262 mètres carrés à proximité de la Tour Eiffel. Montant de l’acquisition de cet appartement de deux étages, payé par Khalifa Airways : 1,2 million d’euros. Qui a réglé la note ? Rafik Khalifa, répond l’ex-épouse. Connaissait-elle le prix de l’achat, le montant des loyers ? Nadia Amirouchène ne souciait pas de l’intendance dès lors que Rafik subvenait aux besoins de la famille. Il payait tout, parfois par chèque, au nom de Khalifa Airways, parfois en espèces."
Fils d’un ancien ministre et ambassadeur, Rafik Khalifa a connu la gloire entre 2000 et 2002 en créant un groupe éponyme spécialisé dans la banque (Khalifa Bank), l’aéronautique (Khalifa Airways), la construction, la pharmacie et les médias (KTV). Au faîte de son apogée, son groupe avait sponsorisé l’Olympique de Marseille et le club de rugby de Bègles (Gironde) et organisé en septembre 2002 une somptueuse réception à la Villa Bagatelle où étaient invités people et vedettes du showbiz tels que Sting, Bono, Catherine Deneuve, Pamela Anderson où encore le joaillier italo-libanais Fawaz Gruosi qui a bénéficié d’une commande de la part de Khalifa Airways de près de 7 millions d’euros en bijoux et objets précieux.
Poursuivi pour malversations, corruption et détournements en Algérie, Rafik Khalifa s’est réfugié à partir de 2003 à Londres, d’où il a fini par être extradé le 24 décembre 2013.
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