Financement du terrorisme : pourquoi la Tunisie a été « blacklistée » par le Parlement européen
L’affaire du classement de la Tunisie parmi les États non coopératifs en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme est plus obscure qu’il n’y paraît, selon la partie tunisienne. La Tunisie n’est pas un État voyou, se défendent-elles.
La Tunisie face au terrorisme
La Tunisie a été frappée par plusieurs attentats et lutte contre des groupes armés et les trafics en tout genre à ses frontières. Depuis la révolution, le pays tente de restructurer et d’équiper ses services de la Défense et de l’Intérieur, à grands renforts de coopération internationale. Pour quels résultats ?
La décision votée le 7 février par le Parlement européen classant la Tunisie dans la liste des États les plus exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme est-elle le résultat d’un dysfonctionnement ou procède-t-elle d’une malveillance européenne ? C’est en ces termes que la question se pose en Tunisie, et qu’elle soulève des vagues d’autant plus importantes qu’elle intervient après un premier coup dur, essuyé en décembre lorsque le pays a été placée sur la liste noire des paradis fiscaux, avant d’en être retiré.
Selon nos sources, la décision du Parlement européen s’est basée sur les travaux du Groupe d’action financière (Gafi), organisme intergouvernemental qui veille à ce que les pays aient un dispositif bancaire à même de lutter contre les opérations de blanchiment, dont celles alimentant le terrorisme. En attendant de mettre en place son propre système, l’Union européenne (UE) ne peut que s’en remettre à l’avis du Gafi mais, visiblement, elle s’est basée sur des données anciennes qui ont, pourtant, été actualisées par l’organisme de vérification.
En 2015, le Gafi avait en effet opéré un audit des procédures bancaires et financières en Tunisie pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les milliers de jihadistes tunisiens présents dans les zones de conflit, leur embrigadement via des associations caritatives, des flux d’argent douteux et le conflit libyen avaient, depuis la chute du régime de Ben Ali, jeté des suspicions sur la Tunisie.
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La Tunisie est pourtant sortie de la zone rouge
Sur 40 critères établis par le Gafi, le système tunisien n’en remplissait que 11. Il avait alors été évalué « à hauts risques ». Personne n’en a parlé à l’époque et cela n’a pas eu d’impact sur les relations de la Tunisie avec les instances internationales. Le pays a continué à collaborer avec le Gafi et « lors du dernier audit en décembre 2017, il répondait à 27 critères sur 40 », confie un directeur au sein de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
En conséquence, le Gafi a estimé que la Tunisie était en voie de normaliser son système. Il l’a donc sortie de la zone rouge pour la ranger parmi les « juridictions sous surveillance ».
L’UE, prompte à retenir les avis du Gafi, n’a pris en compte ni ce reclassement ; ni les arguments et les documents présentés par la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF), organisme de renseignements financiers hébergé par la BCT.
« L’UE a tapé fort car elle essaie de de trouver ses propres marques en attendant d’avoir son propre organisme de contrôle », analyse un cadre tunisien qui a été de toutes les négociations à Bruxelles. Quitte à faire passer pour « un État voyou » un pays qu’elle applaudit comme un modèle de démocratie naissante, qu’elle soutient mais « qui sera gravement impacté par ce classement dans toutes les opérations bancaires avec l’Europe ».
Pour notre source, la position de l’UE est incompréhensible, « à moins que cela ne soit une estocade pour en finir avec les islamistes. Ce classement est la conséquence de leur gouvernance trouble lorsqu’ils étaient au pouvoir en 2012-2013 », ajoute-il.
Manque de réactivité
Du côté tunisien, les documents étaient prêts mais la diplomatie n’aurait pas su évaluer les risques encourus et mener le lobbying à temps auprès des députés européens. Certes, elle était moins laxiste qu’en décembre 2017 où la Tunisie avait été classée, puis déclassée, en tant que paradis fiscal.
La décision du Parlement européen a cependant montré un inquiétant manque de réactivité et des défaillances dans le fonctionnement de la partie tunisienne.
Pour certains analystes de la BCT, le classement de l’UE profite en tout cas à ceux qui veulent depuis quelques mois la tête de Chédly Ayari, gouverneur de la BCT. « Il eut été plus judicieux de le démettre pour sa politique monétaire qui peut-être controversée que de le désigner ainsi à l’opprobre publique », assurent-ils.
Son limogeage sera entériné le 15 février 2018 par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui ne privera pas de lui demander des comptes. À cette occasion, Chédly Ayari aura tout loisir de dévoiler le dessous des cartes.
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