Guinée : la fragilité de l’État à l’origine de la résurgence des violences postélectorales
Alors que la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) doit annoncer des résultats partiels ce vendredi, la Guinée est en proie à une vague de violences postélectorales. Au moins sept personnes ont été tuées en moins d’une semaine. Des affrontements récurrents que certains expliquent par le déficit de confiance entre les acteurs et la fragilité de l’État.
Les affrontements ont commencé aussitôt les bureaux de vote fermés, dimanche 4 février, sur fond d’accusations mutuelles de fraudes entre les partis de la mouvance présidentielle et ceux de l’opposition qui se disputent les premières élections communales organisée dans le pays depuis 2005.
Cellou Dallein Diallo revendique la victoire
Le chef de file de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo, s’appuyant sur une centralisation des résultats faite par son propre parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), revendique la victoire, tout en se plaignant d’annulation de procès verbaux qui lui seraient favorables, notamment dans les communes de Dixinn et de Matam, dans la banlieue de Conakry.
Pour reconquérir cette victoire revendiquée, Fodé Maréga, député UFDG, entend « user de tous les moyens légaux, dont les manifestations de rue ». Dans sa préfecture d’origine de Dinguiraye, des violences ont tourné à des incendies d’habitation, faisant cinq morts, selon les autorités guinéennes.
Le député pointe la responsabilité du camp adverse, le RPG Arc-en-ciel, parti au pouvoir qui n’aurait, selon lui, pas digéré sa défaite dans la sous-préfecture des Kalinko. « Nous n’avons pas d’élections libres et transparentes. Il y a un déficit de confiance vis-à-vis de l’État, de la justice. C’est une défaite mal assumée qui a entrainé des violentes réactions à Kalinko. Quand vous êtes victimes de fraudes systématiques, la réaction devient spontanée », avance le parlementaire de l’UFDG.
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« La violence n’est pas du fait d’un côté »
Fodé Maréga balaie d’un revers de main les arguments de ceux qui attribuent l’entière responsabilité des violences à l’opposition. « La violence n’est pas du fait d’un seul côté. Vous avez vu la déferlante à Dixinn, au domicile de Cellou [Dallein Diallo], suite aux propos d’Aboubacar Soumah [Député du RPG Arc-en-Ciel] », lance-t-il, faisant référence à l’attaque du domicile du chef de l’opposition par un groupe de jeunes, le jeudi 8 février.
Elu député en 2013 sous la bannière de l’Union des forces démocratiques de Guinée, Aboubacar Soumah a tourné le dos au principal parti d’opposition guinéenne au profit de son nouvel allié le RPG Arc-en-ciel, le parti au pouvoir, qui l’a présenté comme candidat pour la conquête de la mairie de Dixinn.
Soumah a déclaré au site internet Africaguinée.com avoir « préparé 1 200 jeunes, non pas pour attaquer quelqu’un, mais pour sécuriser les citoyens dans les différents quartiers ».
Nos tentatives de joindre Aboubacar Soumah pour en savoir davantage sur les raisons d’une telle initiative sont restées vaines. En attendant, l’UFDG soupçonne ce groupe d’autodéfense d’être l’auteur de l’attaque de jeudi du domicile de son leader Cellou Dalein Diallo. Il aura fallu l’intervention des forces de sécurité et les partisans du chef de file de l’opposition accourus à son secours pour disperser les assaillants.
La responsabilité de l’État
« La fragilité du pays n’est pas liée à la cohabitation à la base, mais à l’utilisation politique du phénomène ethnique en Guinée. L’autorité de l’État est suffisamment ébranlée : lorsque les citoyens ne font pas confiance à la justice, les forces de l’ordre sont régulièrement accusées d’utiliser des balles réelles, sans qu’il y ait d’enquête et de sanction. Finalement, les populations sont tentées de se faire justice elles-mêmes. C’est quand le doute s’empare des populations qu’il y a des réactions incontrôlées », analyse Sékou Kouréissy Condé de l’African crisis group.
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Selon lui, la solution passe par « la neutralité des institutions, le langage d’apaisement du gouvernement. Le langage partisan a pris le dessus sur celui de paix dans notre pays. Il faut redonner de l’espoir aux gens, montrer que les mécanismes sont transparents. Il n’y a pas de Ceni en France, en Hollande, en Allemagne, aux États-Unis… Il faut que les fonctionnaires attachent un point d’honneur à leur neutralité, à leur objectivité. C’est une question d’éducation civique. C’est la responsabilité de l’État qui est en cause ».
Makalé Traoré de la Coalition filles et femmes de Guinée, ancienne directrice de campagne du candidat Alpha Condé en 2010, fait écho à cette analyse, et considère elle aussi trop faible la part prise par l’État dans la prévention et la résolution des crises en Guinée. Elle déplore notamment le fait que le conseil des ministres de jeudi n’ait pas fait cas des violences qui secouent le pays.
Le porte-parole du gouvernement était pour sa part injoignable, ce vendredi.
Entre condamnations et appel au calme
De son côté, l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), se dit préoccupée par « la montée en puissance des violences sur l’ensemble du territoire national depuis le lundi 5 février 2018, qui se sont soldées pour le moment par des pertes en vie humaines ». L’ONG liste notamment les cas de Kalinko où cinq personnes sont mortes calcinées dans une maison ; de Kindia, où « un jeune motard à trouvé la mort suite à une bastonnade par des agents de force de sécurité » ; et de Conakry où un jeune étudiant a été « tué par balle dans le quartier la Carrière » et un jeune apprenti « blessé gravement par balle à Sonfonia ».
Des violences qui, selon l’OGDH, résultent de « la mauvaise gestion des opérations de vote lors des élections communales », notamment lors de la centralisation des résultats.
L’OGDH « condamne avec la dernière énergie les violences » et interpelle le président Alpha Condé, la Ceni, la justice et les candidats à « jouer leur partition pour ramener le calme ».
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