Bénin : « L’urgence n’est pas d’obtenir le droit de grève, mais de survivre »

Alors qu’une loi a interdit, en décembre 2017, le droit de grève aux fonctionnaires de justice et de santé, ce débat serait passé à côté des véritables enjeux, comme l’accès au droit à l’éducation, à la santé ou à la sécurité, analyse Oswald Padonou, docteur en sciences politiques.

Porto Novo (Bénin), le 21 août 2012 © Baptiste de Ville d’Avray pour Jeune Afrique

Porto Novo (Bénin), le 21 août 2012 © Baptiste de Ville d’Avray pour Jeune Afrique

PADONOU-Oswald
  • Oswald Padonou

    Docteur en sciences politiques. Enseignant et chercheur en relations internationales et études de sécurité

Publié le 16 février 2018 Lecture : 2 minutes.

Enfant, j’adorais les combats. De boxe, de judo, entre vendeuses au petit marché de Porto-Novo… Mon soutien allait toujours à celui qui paraissait le plus faible. Le voir porter l’estocade était jouissif.

J’ai donc aimé observer les centrales syndicales béninoises vent debout pour le maintien du droit de grève au personnel de justice et de santé, que le gouvernement tentait de leur retirer.

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À la mi-janvier, la Cour constitutionnelle leur a donné raison en affirmant « la portée générale du droit de grève au Bénin », c’est-à-dire la possibilité pour tous les travailleurs d’y avoir recours.

Les enjeux véritables du débat

Sauf qu’il ne s’agissait pas là de l’un de ces duels de David contre Goliath que j’affectionnais tant. Ici, les protagonistes ont donné l’impression d’instrumentaliser un débat aux enjeux sociétaux pourtant essentiels.

Ainsi, avec une parfaite mauvaise foi, les politiques ont rappelé les présumées compromissions de syndicats au cœur d’un système qui foule aux pieds l’intérêt général.

Pour une grande majorité, l’urgence n’est pas d’obtenir le droit de grève […] mais de survivre

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Les centrales syndicales ont riposté avec la même mauvaise foi, insistant sur les salaires exorbitants des membres du gouvernement et le supposé octroi quasi systématique de marchés publics à l’entourage du président de la République.

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Une lutte « prise en otage par les élites » ?

La louable lutte pour la conquête d’un droit à la « grève pour tous » a ainsi été prise en otage par les élites, une minorité à l’abri des besoins élémentaires et qui a fini par oublier que, pour l’écrasante majorité des citoyens, l’urgence n’est pas d’obtenir le droit de grève – car encore faut-il avoir un emploi salarié –, mais de survivre. Et, si tout va bien, d’accéder au droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, à la justice…

Ce duel, qui aurait pu donner lieu à un débat sociétal de qualité, laisse un goût d’inachevé

Dans ce débat, nous sommes passés à côté de questions essentielles : tous les travailleurs doivent-ils bénéficier de ce droit-là quand d’autres droits, fondamentaux, peuvent être mis en péril par cette logique de divinisation de la grève ? Ne pas restreindre le droit de grève, n’est-ce pas l’accorder de facto aux forces armées, et ainsi les autoriser à se mutiner ?

Ce duel, qui aurait pu donner lieu à un débat sociétal de qualité, laisse un goût d’inachevé. Parce que, au Bénin comme ailleurs en Afrique, tout tourne exagérément autour du pouvoir politique : sa conquête, la lutte pour s’y maintenir ou y revenir, pour participer au grand festin de captation des ressources publiques. Il faut briser la quadrature du cercle.

En attendant cette mue espérée, la bonne nouvelle dans toute cette agitation, c’est bien la réaffirmation du pouvoir indispensable de régulation du juge constitutionnel.

L’exercice de cette fonction et l’obligation pour les pouvoirs exécutifs et législatifs de se conformer à ses décisions – bonnes ou mauvaises – consolide l’État de droit… et il faut s’en réjouir !

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