Débats : pour l’édification d’un cyberespace continental
L’analyste Raouf Farrah plaide pour ne harmonisation des cyberpolitiques africaines, alors que la Convention sur la cybersécurité et la protection des données personnelles signée adoptée par l’UA en 2014 à Malabo est loin de susciter l’engouement.
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Raouf Farrah
Analyste politique pour le groupe SecDev.
Publié le 20 février 2018 Lecture : 3 minutes.
On dit que l’Afrique est entrée dans l’ère du numérique par une petite porte mais qu’elle en sortira par un grand boulevard. Il est vrai que, depuis dix ans, le continent fait des pas de géant. Du Kenya à l’Afrique du Sud en passant par l’Algérie ou le Ghana, l’effervescence autour du cyberespace laisse présager que la révolution numérique sera l’un des moteurs du développement. Il est donc essentiel que l’Union africaine (UA) et ses États membres tirent parti de ce bouillonnement « digital ».
Le cyberespace africain possède des caractéristiques particulières. D’une part, c’est un monde émergent qui vibre au rythme des innovations technologiques d’une génération connectée. D’autre part, c’est un espace fragile muni d’une très faible cohésion, faisant face à des risques réels – cybercriminalité ou cyberterrorisme, par exemple – et des défis tels que la sécurité en ligne et la protection de la vie privée, auxquels la majorité des pays ne sont pas préparés.
À ce jour, peu de gouvernements ont adopté des stratégies relatives au cyberespace. Certains pays n’ont même pas encore de cadre législatif qui réglemente les activités en ligne. Ils sont seulement onze à s’être dotés de lois sur la cybercriminalité et environ autant à disposer d’une juridiction sur la cybersécurité. Et même si ces lois existent, les cycles législatifs sont en décalage avec la cadence de l’innovation numérique.
Un cadre commun à l’UA
Par conséquent, l’Afrique accuse un retard immense en matière de réglementation, de politique ou de stratégies touchant au cyberespace. Et, inéluctablement, ces insuffisances laissent augurer une nouvelle fracture numérique entre l’Afrique et le reste du monde.
Il est donc fondamental que l’UA redouble d’efforts afin d’édifier un cyberespace continental à la fois résilient face aux risques et porteur de nouvelles opportunités économiques. C’était d’ailleurs le dessein de la Convention sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, adoptée en 2014 à Malabo (Guinée équatoriale) par les membres de l’UA.
Ce texte se voulait le fondement des grandes orientations de la société de l’information en Afrique, et visait le renforcement des législations et des politiques des États membres et des Communautés économiques régionales (CER), s’agissant notamment de cybersécurité, de commerce électronique et de protection des données personnelles. Grâce à ce cadre commun, l’UA espérait également promouvoir un meilleur positionnement géopolitique de l’Afrique sur la scène internationale du cyberespace.
Dans une impasse politique ?
Mais la convention est loin d’être un succès. Les pays membres se sont montrés réticents à l’idée d’organiser un cadre commun, à l’échelle continentale, qui concerne leur cyberespace, privilégiant ainsi souveraineté et indépendance en la matière. Seulement neuf États membres ont signé la convention. Par conséquent, c’est une vraie impasse politique qui se profile quant à la création d’une gouvernance commune du cyberespace africain. Et, plus que jamais, il est temps de demander à l’organisation panafricaine un nouvel agenda sur un dossier éminemment important.
Alors que les niveaux de développement en matière de cybersécurité varient considérablement d’un pays à l’autre, il est capital de commencer par l’harmonisation des politiques et l’application d’une vision commune au sujet du cyberespace africain. Tout effort individuel est certainement voué à l’échec. Et même si l’harmonisation des cyberpolitiques est techniquement ardue, instaurer une compatibilité législative concernant des risques comme la cybercriminalité peut donner des résultats très prometteurs.
Une approche participative nécessaire
Ainsi, l’UA se doit de convaincre les dirigeants politiques des bénéfices socio-économiques d’une telle démarche, et ce jusqu’au plus haut sommet de l’État. Néanmoins, la sécurisation du cyberespace par les États ne doit jamais aller à l’encontre du respect de la vie privée et des droits individuels. Les gouvernements africains ont l’obligation de protéger leurs sociétés respectives contre les risques inhérents au cyberespace sans les léser dans leurs activités en ligne. Une approche participative impliquant gouvernement, secteur privé et société civile est nécessaire pour maintenir la confiance et la certitude de l’équilibre fragile entre sécurité et vie privée.
C’est dans cet état d’esprit que l’UA, les communautés économiques régionales et l’ensemble des États membres doivent conjointement trouver la voie pragmatique par laquelle l’Afrique saura bâtir un cyberespace résilient, harmonieux et sécurisé. Sans quoi les promesses de la révolution numérique ne seront jamais tenues.
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