Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo forever ?
Même bâillonné loin d’Abidjan, l’ancien président ivoirien n’a toujours pas quitté l’actualité politique ivoirienne. Sa situation judiciaire n’évolue guère, mais on célèbre son anniversaire, on lui dédie des poèmes, on crée une association en son honneur, on le regarde sur grand écran…
(Mis à jour le 12 juin à 18h12)
Entre deux nouvelles, on préfère toujours entendre la plus mauvaise en premier. Il en est de même pour les anniversaires. En avril dernier, on commémorait la troisième année de privation de liberté de Laurent Gbagbo. Ce samedi, ce sont les 69 printemps du "Christ de Mama" que son parti célébrait. Bien sûr, le gâteau devait avoir un goût amer, le presque septuagénaire n’étant pas là pour souffler les bougies. Mais cela n’empêcha pas le président du Front populaire ivoirien (FPI) de formuler une "pensée affective, de solidarité et de reconnaissance" à l’égard de son martyr mentor. Combatif, Pascal Affi N’Guessan présenta même cette célébration comme un jour de réengagement autour des valeurs de liberté et de dignité africaine qu’incarne le président ivoirien déchu.
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Pas de mea culpa, donc, dans les rangs des plus gbagboïstes des gbagboïstes. Au contraire, c’est de la ferveur, voire de l’optimisme qui suinte du FPI. Une ferveur galvanisée par un poème écrit par Joseph Kokou Koffigoh, l’ancien Premier ministre togolais. Un optimisme suscité par l’évocation d’une possible libération de Gbagbo. Chimère ? Il est vrai qu’un vent de décrispation semble souffler sur les dossiers judiciaires pendus au nez des partisans de l’ancien régime. La semaine dernière, ce sont 50 prisonniers de la crise postélectorale qui étaient mis en liberté provisoire. Les dossiers de 100 détenus supplémentaires seraient "en cours". Et ce processus d’apaisement serait "dynamique" selon le garde des sceaux, Gnénéma Coulibaly.
Du fond de sa cellule de la prison de Scheveningen, Laurent Gbagbo sait donc pouvoir compter sur des "fans clubs" toujours actifs. Et même de nouveaux groupes de soutien. Ce 31 mai, c’est en France qu’était officialisée l’association "Gbagbo and friends" dédiée à l’ancien président ivoirien. Casting sans surprise : on y retrouve la première épouse et mère de Michel Gbagbo, Jacqueline Chamois, l’universitaire ivoirien Raphaël Dagbo, l’universitaire français Albert Bourgi ou encore Guy Labertit, l’ancien "Monsieur Afrique" du Parti socialiste français. Objectif de ce regroupement au pays de François Hollande ? Militer pour la réhabilitation de l’ex-chef d’État ivoirien et agir "en faveur du multipartisme en Côte d’Ivoire". Cette dernière frange de la profession de foi suggère que la lagune Ebrié évoluerait dans une ambiance de parti unique. Et c’est justement l’ère du parti unique – celle des années 80 – qui révéla le politicien Gbagbo.
Quand les aficionados enfoncent le clou du discours victimaire, l’audiovisuel questionne le parcours de l’ancien opposant historique de Félix Houphouët-Boigny. Le documentaire "Laurent Gbagbo : despote ou anti-néocolonialiste" revisite les années de règne de l’ancien président ivoirien etâ¨continue son tour des capitales. Le réalisateur d’origine camerounaise Saïd Mbombo Penda le projette cette semaine à Yaoundé, affirmant que son œuvre y a été interdite pendant des mois. C’est que le sous-titre "Le verbe et le sang" augure d’une polémique sous-jacente. Le régime ivoirien actuel avait eu moins de frilosité que les autorités camerounaises, autorisant l’avant-première du film à Abidjan-Plateau, dès décembre dernier.
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Assurément, ce documentaire n’est pas une hagiographie, certains de ses intervenants dépeignant l’ancien chef de l’État ivoirien comme un "génie de la manipulation prêt à confisquer le pouvoir par tous les moyens". Et si une réputation se (re)construit éventuellement sur des écrans, une probité, elle, se démontre bien dans les prétoires. Or, jusqu’à preuve du contraire, l’évocation d’une éventuelle libération de Laurent Gbagbo relève de la méthode Coué. Bien sûr, les juges de la Chambre préliminaire 1 de la Cour pénale internationale semblaient gênés aux entournures, en juin 2013, lorsqu’ils demandaient à la procureure Fatou Bensouda des preuves additionnelles. Pourtant rien ne prédit ni un non-lieu, ni une libération provisoire pour ce prisonnier soupçonné de crimes contre l’humanité. L’enflammé Pascal Affi N’Guessan restera-t-il fidèle à promesse : "nous allons crier jusqu’à ce que Gbagbo soit libéré" ?
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Damien Glez
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