Ce jour-là : le 15 février 2008, Idriss Déby Itno décrète l’état d’urgence après la bataille de N’Djamena
Début février 2008, le régime d’Idriss Déby Itno a cru sa dernière heure arrivée. Une tentative de renversement orchestrée par le Commandement militaire unifié (CMU) mène à l’instauration de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire tchadien durant un mois. Dix ans après les faits, Jeune Afrique revient sur ses conséquences.
Dans le courant de l’année 2007, des tentatives de réconciliation sont engagées entre le président Idriss Déby Itno et les partis politiques d’opposition. Ils sont majoritairement composés de l’Union des forces pour le développement et la démocratie (UFDD), de l’UFDD-Fondamentale avec à sa tête Acheikh Ibn-Oumar et Abdelwahid Aboud Mackaye, et du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), mené par Timane Erdimi.
L’accord du 13 août 2007, censé favoriser la démocratisation du pays, puis les accords de Syrte du 25 octobre 2007 n’auront pas d’écho. Mahamat Nouri, chef de file de l’UFDD, prend alors la décision de tenter une offensive contre le gouvernement en novembre 2007. En vain. L’Armée nationale tchadienne (ANT) gagne la bataille d’Abou Goulem.
Affaiblie mais déterminée, l’UFDD est rejointe par le RFC et l’UFDD-Fondamentale, qui forment alors le Commandement militaire unifié (CMU). Ensemble, ils lancent un assaut sur N’Djaména fin janvier 2008.
Insurrection contre le président
Afrique - n°2457 on Scribd" href="https://www.scribd.com/document/371433375/Couverture-Jeune-Afrique-n-2457#from_embed">Couverture – Jeune Afrique – n°2457 by jeuneafrique on Scribd
Insurrection contre le président
Face à la situation critique, la France propose au président tchadien d’être évacué, ce qu’il refuse
Le 30 janvier, le président Déby annule sa visite au sommet de l’Union africaine (UA) afin de préparer ses troupes à l’offensive imminente. Le lendemain, les rebelles traversent le Soudan voisin et marche vers la capitale. Au niveau de Massaguet, ils croisent l’ANT. Les combats sont féroces, et révèle une armée tchadienne chancelante. Le chef de l’état-major Daoud Soumaïn est tué.
Confiants, Nouri et Erdimi déclarent au Quai d’Orsay, inquiet pour ses ressortissants, que « non seulement nous ne toucherons à aucun cheveu français, mais nous vous demandons de sécuriser pour nous la présidence et la Banque centrale, le temps que nous arrivions ».
Les rebelles entrent dans la capitale le 2 février à bord de nombreux pick-up. À leur passage, certains Ndjaménais applaudissent. Le palais présidentiel est le théâtre d’affrontements virulents entre forces gouvernementales et rebelles, jusqu’à ce que les insurgés se replient pour la nuit au palais du 15-Janvier. Face à la situation critique, la France propose au président tchadien d’être évacué, ce qu’il refuse.
Appui décisif de l’armée française
La leçon de cette bataille, c’est que les pick-up ne peuvent rien contre un char d’assaut
Le Tchad et la France ont établi un accord de coopération militaire en 1976 : de ce fait, la France fournit des armes, de la logistique et du renseignement au début de la bataille. Elle n’est pas censée intervenir.
Le 2 février, l’UA dénonce une tentative de renversement de régime par la force. C’est le déclic que la France attendait, elle convoque le jour suivant une réunion en urgence du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle n’aboutit pas à un feu vert explicite, mais le texte qui en découle est suffisamment ambigu pour permettre des actions.
Paris se dit alors prête à combattre, à la condition d’une invitation expresse du président Déby à le faire. Ce qu’il ne fait pas officiellement, mais demande discrètement.
La France aide donc indirectement le Tchad, via la Libye de Mouammar Kadhafi. Dans le même temps, les rebelles concentrent leur force sur l’avenue Mobutu, avec pour objectif la radio et la Présidence.
Désormais mieux équipé, le président tchadien repousse l’attaque le 4 février et sauve son gouvernement. Diminués, l’aéroport – sous contrôle français – devient un enjeu stratégique pour les rebelles.
C’est l’exception française à la non-ingérence officielle : les soldats de l’opération « Épervier » ouvrent le feu à l’aéroport en réponse à l’offensive des insurgés. En début d’après-midi, les rebelles décrochent. Mahamat Nouri déclare que « la leçon de cette bataille, c’est que les pick-up ne peuvent rien contre un char d’assaut ».
Enquête – Jeune Afrique – n°2457 by jeuneafrique on Scribd
État d’urgence
Si la bataille se solde par une victoire gouvernementale, le tribut est lourd : plus de 400 morts pro-gouvernementaux et 900 blessés, tandis que les rebelles déplorent environ 500 morts. Les contestataires sont désormais retranchés au sud-est du pays.
Afin de consolider son pouvoir chèrement repris, le président Déby décrète le 14 février la mise en vigueur de l’état d’urgence dès le lendemain pour quinze jours. Il est valable à partir de minuit le 15 février, et un « couvre-feu […] s’étend de zéro (00) à six (6) heures du matin »
Les mesures exceptionnelles engagées par l’état d’urgence permettent également de donner « pouvoir aux Gouverneurs des régions de prendre par arrêté des mesures réglementant la circulation des personnes ou des véhicules […] ; le contrôle de la presse publique et privée et des publications de toute nature, ainsi que celui des émissions radiophoniques. »
L’état d’urgence est finalement levé le 16 mars 2008, après avoir été prorogé de quinze jours le 29 février par l’Assemblée nationale.
Tchad – Décret présidentiel (14 février 2008) by jeuneafrique on Scribd
Disparitions suspectes
L’enlèvement le 3 février de trois chefs de l’opposition, symboles de l’accord du 13 août, est vivement décrié. D’autant plus que l’on suppose fortement l’implication de la garde présidentielle.
Lol Mahamat Choua est retrouvé vivant le 14 février suivant, tandis que Ngarlejy Yorongar réapparaît le 1ᵉʳ mars. Ibni Oumar Mahamat Saleh, demeure introuvable à ce jour.
>>> À LIRE – À Paris, l’opposition tchadienne se souvient de « Ibni »
Une enquête est réclamée, notamment par Nicolas Sarkozy président français en exercice, et Louis Michel, commissaire européen au Développement, à la suite de leur déplacement à N’Djaména fin février 2008. Voulue indépendante et internationale, elle est finalement dirigée par Nassour Ouaïdou, ancien Premier ministre et membre de la majorité.
La tentative de renversement a laissé des traces. Les mois suivants l’insurrection, Idriss Déby Itno vit retranché dans la capitale. Les stigmates se voient également dans N’Djaména, où est creusée une tranchée de plus de 40 km autour de la ville, formellement justifiée par la nécessité d’écouler les eaux de pluie de la mégalopole.
Les arbres centenaires bordant l’avenue Charles-de-Gaulle, principale rue commerçante, sont coupés afin d’éviter que des rebelles puissent les utiliser comme cachette. Devant la Présidence, des blocs de béton armé remplis de sable sont censés protéger les soldats chargés de la garder.
De nombreuses exactions…
Plus de 2 000 concessions sont pillées ou détruites, malgré les actes de propriété
Les pillages suite aux événements entraînent une opération de « reconquête » de la part de l’armée durant l’état d’urgence. Non sans dérives. Les propriétaires ne pouvant justifier la présence d’objets dans leur maison se voient confisquer leurs biens faute de factures, pourtant peu monnaie courante au Tchad.
Plus de 2 000 concessions sont pillées ou détruites, malgré les actes de propriété. C’est une des conséquences directes du soutien d’une certaine partie de la population aux rebelles. La destruction des maisons était signifiée d’une croix rouge ou noire.
Si les autorités se défendent en mentionnant des biens appartenant à l’État ou à la municipalité, elles évoquent également la réalisation future d’infrastructures publiques bénéficiant à la population. Elles assurent également que les personnes délogées ayant une propriété légale ont eu accès à de nouveaux logements ou à de l’argent en compensation.
Un climat de peur est instauré sur la ville à la suite de la bataille. Des milliers de Tchadiens ayant fui la bataille au Cameroun rentrent pour découvrir la situation.
…sur fond de conflits ethniques
Le conflit se fait également ethnique, les maisons visées appartenant majoritairement à des Gorans, la même que Nouri, le chef de file de l’UFDD. Si les abus qui ont suivi l’insurrection les ont majoritairement touché, les violences se sont également propagées à l’ensemble de la ville, y compris aux quartiers zaghawas, l’ethnie dont est issue Idriss Déby Itno. Les exactions commises par l’armée régulière et les « toros-boros » (des rebelles soudanais du Darfour qui combattent aux côtés des forces régulières) sont dénoncées.
>>> À LIRE – Tchad : heurts ethniques meurtriers à N’Djamena
Si les autorités ont timidement incité à venir témoigner pour dénoncer ces abus, très peu de Ndjaménais le font en pratique. Mais, si les signes ne sont pas évidents, le président Déby semble par la suite vouloir apaiser les tensions. Deux mois après les événements, il nomme un nouveau Premier ministre, Youssouf Saleh Abbas, chargé de former un gouvernement d’ouverture. Un geste qui est alors vu comme un signe de bonne foi envers la communauté internationale, qui a soutenu le président tchadien après l’insurrection malgré les dérives de l’état d’urgence.
Un soutien de la communauté internationale qui, depuis – à l’exception de rares épisodes de crispations diplomatiques – ne s’est pas démenti. Idriss Déby Itno, maillon fort du dispositif antijihadiste mis en place au Sahel par la France et les États-Unis, sait jouer de cette position centrale sur la carte diplomatique du continent tout en employant parfois à l’égard de l’occident un langage ferme et critique.
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