Bandar Mohamed Hajjar : « La finance islamique a besoin d’un cadre propice à son développement »

Bandar Mohamed Hajjar, le président du groupe de la Banque islamique de développement (BID), défend depuis des années la finance islamique, basée sur le partage des pertes et des profits. Cet ancien ministre saoudien du Hadj revient pour Jeune Afrique sur le lent développement de ce modèle en Afrique.

Bandar Mohamed Hajjar (au centre), aux côtés du ministre marocain des Finances Mohamed Boussaid (à gauche), lors de la rencontre annuelle des institutions financières arabes, à Rabat, le 18 avril 2017. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Bandar Mohamed Hajjar (au centre), aux côtés du ministre marocain des Finances Mohamed Boussaid (à gauche), lors de la rencontre annuelle des institutions financières arabes, à Rabat, le 18 avril 2017. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

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Publié le 13 février 2018 Lecture : 7 minutes.

Depuis le 1er octobre 2016, Bandar Mohamed Hajjar est le président du groupe de la Banque islamique de développement (BID). Originaire d’Arabie saoudite, il a étudié l’économie à Riyad puis à l’Université d’Indiana, aux États-Unis, avant d’obtenir son doctorat à l’université de Loughborough, au Royaume-Uni, grâce à une thèse dans laquelle il défendait déjà la finance islamique.

L’économiste, qui a également été ministre du Hadj puis ministre de la Culture et de la Communication en Arabie Saoudite, a accordé un entretien à Jeune Afrique pour parler de finance islamique.

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Jeune Afrique : Depuis votre arrivée à la tête de la BID en octobre 2016, vous impulsez une nouvelle stratégie d’intervention dans vos différents États membres. Quels en sont les axes principaux

Bandar Mohamed Hajjar : Peu après ma prise de fonction, j’ai établi une feuille de route traduite dans un programme quinquennal. Son premier point est la décentralisation. Aujourd’hui, seuls 6 % de nos collaborateurs sont à l’extérieur de la Banque, dans les régions, 94 % évoluant au niveau central. Je souhaite renverser cette tendance pour que nous soyons plus proches de nos 57 pays membres, et pour mieux servir le milliard et demi de fidèles musulmans.

Deuxième composante de mon programme, l’extension et le renforcement des partenariats, car la banque ne peut satisfaire à elle seule les besoins de ses pays membres. D’où l’importance de développer un réseau de partenaires que nous appelons le Réseau de développeurs. Nous irons au-delà des partenaires classiques (gouvernements, secteur privé…), pour cibler les universités, les fondations, les ONG, etc.

L’assistance de la BID ne se limite pas seulement au financement

Troisième composante, la chaîne de valeurs. Nous voulons des programmes plus inclusifs pour nos projets et maximiser leur impact de développement. En outre, nous allons intégrer les sciences, les technologies et l’innovation dans toutes nos opérations parce que nous avons la conviction qu’elles sont des outils essentiels pour accélérer le développement. Les sources de la croissance ne sont plus uniquement le capital, le travail et les ressources naturelles, mais aussi l’innovation, surtout dans les pays développés.

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Quel est le volume global du portefeuille d’intervention de la BID en Afrique ?

Depuis le démarrage de ses activités en 1975, la Banque a globalement financé des projets pour un montant de plus de 130 milliards de dollars, dont 30 %, soit plus de 40 milliards de dollars, ont été alloués au continent africain. Toutefois, l’assistance de la BID ne se limite pas seulement au financement, elle assiste également les États africains en matière de renforcement de capacités, de formations, de coopérations techniques entre les pays, etc.

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Nous avons plusieurs expériences réussies de ce type, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ou de la formation professionnelle. Le déficit demeure énorme mais nous devons trouver les ressources nécessaires.   

Quelles sont les régions prioritaires d’intervention de la BID ?

Les pays les moins développés, dont malheureusement la plupart se trouvent encore sur le continent africain.

À l’instar de votre groupe, d’autres institutions financières comme la BAD ou la Banque mondiale interviennent également sur le continent. Quelle est votre singularité ?  

La BID est une institution classée triple A et dispose de ce fait d’une grande capacité de mobilisation de ressources considérables auprès du secteur privé au profit de ses membres. C’est l’une de nos forces. Autres singularités, notre mode de financement islamique basé sur le partage des pertes et des profits, mais également l’importance que nous accordons au renforcement des capacités de nos membres.

Nous essayons de nouer un partenariat solide avec la BCEAO

On note aujourd’hui un certain rapprochement entre la BID et la BAD en matière d’agriculture. Par exemple, votre institution intervient, via l’IFTC, dans le financement de la commercialisation de l’arachide au Sénégal. Pourquoi ce rapprochement ?  

J’ai rencontré le président de la BAD, Akinwumi Adesina, et proposé trois axes de coopération avec cette institution panafricaine. Il y a d’abord l’agriculture, sur laquelle repose 80 %, ce qui en dit assez sur l’importance d’aider les États africains à moderniser leur agriculture et ainsi assurer leur sécurité alimentaire.

Il y a ensuite l’énergie, pour laquelle la demande est énorme et l’offre toujours déficitaire, raison pour laquelle il faudra développer des projets pour stimuler ce secteur. Enfin, il faudra trouver des mécanismes innovants pour soutenir les PME africaines qui constituent près de 95 % des entreprises du secteur privé.

Nous allons étendre le partenariat que nous avons avec la BAD à tous les bailleurs de fonds et acteurs du développement sur le continent

Nous allons étendre le partenariat que nous avons avec la BAD à tous les bailleurs de fonds et acteurs du développement sur le continent, tels que la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), les universités, etc.

En matière de financement de PME, la BID s’est également alliée à la BCEAO. Où en êtes-vous dans ce projet?

Nous essayons de nouer un partenariat solide avec cette Banque centrale, en proposant des programmes de formation en finance islamique et en ouvrant des lignes de financement au profit de certaines banques locales de la zone UEMOA qui pourront, à leur tour, prêter aux PME.

Par exemple, des établissements comme la Compagnie bancaire d’Afrique de l’Ouest (CBAO), au Sénégal (filiale locale du Marocain Attijari Wafa Bank), Coris Bank au Burkina Faso, la Banque de l’habitat du Mali (BDM), etc.

Quel est votre regard sur l’état de la finance islamique en Afrique ? On en parle depuis longtemps, mais son développement reste relativement lent…

Cette lenteur pourrait s’expliquer par le manque de sensibilisation, de communication et d’information sur ce secteur. En termes de volumes, de nombre d’utilisateurs ou de diversité des modes de financement, on assiste à une grande progression depuis dix ans.

>>> A LIRE – Qu’est-ce que la finance islamique

En outre, nous comptons dérouler une campagne de sensibilisation prioritairement en Afrique, avec des conférences, des ateliers de formation, mais aussi à travers les nouveaux médias sociaux afin de mieux communiquer sur ce type de financement, essentiellement basé sur le partage des risques, qui a montré durant la crise financière internationale de 2008 sa capacité de résistance.

Il me semble essentiel de pouvoir disposer d’une possibilité d’interprétation ouverte et à même de prendre en compte le passé, le présent et l’avenir

La conformité à la charia est parfois gérée de manière centralisée, comme au Maroc, et parfois au niveau des banques commerciales. Existe-t-il une ou plusieurs finances islamiques ?

La finance islamique est fondée sur l’équité dans les transactions commerciales. Et comme dans n’importe quel aspect de la vie (la famille, les questions juridiques, etc.), il existe différentes écoles juridiques. Cette diversité d’idées offre donc une souplesse dans la gestion, et c’est tant mieux. Car il ne faut pas avoir des cadres très rigides, surtout au regard des changements rapides que nous vivons. Il me semble essentiel de pouvoir disposer d’une possibilité d’interprétation ouverte et à même de prendre en compte le passé, le présent et l’avenir.

Si l’on considère, par exemple, les différents modes de financement islamique comme le Mourabaha [contrat de vente au prix de revient majoré d’une marge bénéficiaire connue et convenue entre l’acheteur et le vendeur], Moucharaka [association entre deux parties (ou plus) dans le capital d’une entreprise, projet ou opération moyennant une répartition des résultats (pertes ou profits) dans des proportions convenues] ou le Moudharaba [partenariat d’investissement où la banque joue le rôle de l’investisseur], on s’aperçoit de l’existence de plusieurs décisions juridiques sur un cas bien déterminé. Il faut donc que chaque pays prenne ce qui lui semble être le plus utile et l’adapte en fonction des situations.  

Le rythme des émissions de sukuks [équivalents islamiques des obligations] dans la zone UEMOA, pilotées par la Société islamique de développement du secteur privé (SID), est encore relativement lent. Seuls le Sénégal, la Côte d’ivoire et le Togo en ont, jusqu’ici, bénéficié [depuis cet entretien, le Mali s’est ajouté à cette liste, voir ci-dessous]. Idem pour la création de banques commerciales et d’institutions de microfinance charia-compatibles. Pourquoi une telle lenteur?

Il y a des pays, en Afrique et ailleurs, qui ne sont pas encore prêts car leur cadre réglementaire ne favorise pas le développement de banques islamiques ou l’émission de Sukuks. La finance islamique a besoin d’un cadre réglementaire propice à son développement, ce qui passe par la Banque centrale du pays concerné.

La BID a ainsi fourni à la BCEAO et à la Banque centrale nigériane une assistance technique pour la création de ce cadre : nous avons financé la formation de cadres de la BCEAO en finance islamique, organisé des conférences… C’est un travail de longue haleine que nous sommes déterminés à poursuivre.

Le Mali lance son premier sukuk

Le Mali a lancé le 2 février sa première opération d’appel public à l’épargne dénommée « Sukuk État du Mali 6,25 % 2018-2025 », afin de mobiliser un montant de 150 milliards de FCFA (229 millions d’euros) sur le marché financier de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). La période de souscription s’étend jusqu’au 16 février.

Les ressources collectées serviront à financer des projets de développement économique et social, notamment un programme d’environ 4 900 logements sociaux à Ntabacoro, dans le cercle de Kati, à 15 km de Bamako, dont plus de 1 250 nouvelles constructions à réaliser. La Société islamique pour le développement du secteur privé (SID) des États membres du groupe de la Banque islamique de développement (BID) est l’arrangeur principal de l’opération. Les Sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI), Coris Bourse (Burkina), Everest Finance (Sénégal), SGI Bénin, SGI Mali et Sirius capital (Côte d’Ivoire), en sont les chefs de file.

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