Algérie : Rabah Saâdane dénonce la « vision à court terme » du foot algérien

Kheireddine Zetchi, le président de la fédération Algérienne de Football (FAF) a demandé à Rabah Saâdane (72 ans) de prendre les commandes de la Direction Technique Nationale (DTN) en octobre dernier. Celui qui avait qualifié les Fennecs pour les Coupes du Monde 1986 et 2010 a accepté la mission de contribuer à la relance du football algérien.

Rabah Saadane en 2010, en Afrique du Sud. © Martin Mejia/AP/SIPA

Rabah Saadane en 2010, en Afrique du Sud. © Martin Mejia/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 13 février 2018 Lecture : 5 minutes.

Pas assez d’attention portée à la formation, un foot amateur laissé à l’abandon, des salaires trop élevés des joueurs et dirigeants qui plombent les comptes et empêchent d’investir là où il faut… Le nouveau directeur technique national algérien livre un constat sans concession des freins qui ont empêché le football algérien d’atteindre le niveau auquel il peut prétendre. Rabah Saâdane explique le plan d’action qu’il compte mettre en oeuvre pour renverser la tendance.

Vous aviez pris du recul depuis votre départ de la sélection, après la Coupe du Monde 2010. La proposition de Kheireddine Zetchi de vous nommer Directeur technique national avait tout d’un cadeau empoisonné…

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(Rires) Je continuais de suivre de près l’actualité du football algérien. J’ai bien sûr un peu réfléchi avant d’accepter, car j’étais bien conscient de l’énormité du chantier. Mais M. Zetchi a une vision à long terme. Il accorde notamment une vraie importance à la politique de formation des jeunes. Il a été le président de Paradou, un club formateur qui a une bonne réputation en Algérie. Il m’a assuré, quand il m’a proposé le poste, qu’il souhaitait faire bouger les choses et y consacrer des moyens.

L’Algérie a-t-elle trop négligé la formation des jeunes joueurs, mais aussi celle des éducateurs ?

Oui. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il y avait un système qui fonctionnait bien. Les équipes de Division 1 étaient largement soutenues par des entreprises d’État, le fonctionnement était professionnel, structuré, et cela était aussi le cas pour la sélection nationale.

Le foot amateur, celui des jeunes, étaient aussi bien organisés. Et les résultats étaient là : deux participations à la Coupe du Mondes (1982 et 1986), une victoire lors la CAN 1990.

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Malheureusement, tout ce qui avait été mis en place s’est peu à peu effondré. L’Algérie a vécu une période très douloureuse avec les années noires, et cela a impacté le football. Et depuis, il n’y a pas eu de volonté de relancer vraiment la politique de formation, pourtant essentielle pour le football d’un pays.

Si rien n’est fait à la base, on ne peut pas bâtir à long terme. Si la France, l’Espagne, mais aussi des pays africains comme la Tunisie, le Ghana ou le Nigeria ont des résultats, c’est grâce à leur politique de formation.

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Comment expliquez-vous ce désintérêt progressif ?

Parce qu’il y a une vision à court terme. Le football algérien s’est installé dans ces habitudes, sans vraie volonté d’en sortir. Les années noires ont fait beaucoup de mal, c’est vrai. Aujourd’hui, on veut des résultats immédiats. Prenez les clubs professionnels : tout l’argent est consacré à l’équipe A. On va chercher des joueurs dans des pays africains, à qui on offre de très gros salaires. On va chercher des entraîneurs étrangers, souvent européens, à qui on offre aussi de bons salaires.

Comme il y a aussi des joueurs algériens qui sont bien payés, la masse salariale explose, et il n’y a plus d’argent pour le reste, et donc les jeunes. Le fait qu’il y ait eu une rupture progressive des relations de travail entre le ministère des Sports et la Fédération (alors présidée par Mohamed Raouraoua, ndlr), n’a rien arrangé.

Le football algérien n’a-t-il pas surtout vécu à travers la sélection nationale, renforcée par les binationaux ?

Que les choses soient claires : c’est une très bonne chose que l’Algérie puisse compter sur des joueurs nés en France et qui ont profité de la formation française. Ils ont rendu de grands services et nous avons besoin d’eux, maintenant et à l’avenir.

Pendant des années, on a trop négligé le football local. Or, l’Algérie est un vrai pays de football, avec des jeunes et un énorme potentiel. La formation des jeunes, mais aussi des entraîneurs, a été négligée depuis au moins 10 ans. Il y avait une direction technique nationale (DTN), mais sans moyens. En 2009, alors que j’étais sélectionneur, j’avais souhaité reprendre en mains la DTN, ce qu’on m’avait refusé.

La réalité est là : l’Algérie est rarement sur les compétitions continentales de jeunes, les CAN U  17 ou U 20. C’est dommage. Mais c’est le reflet de la situation au pays : les compétitions de jeunes, quand elles existent, ne sont pas assez bien organisées. Car les budgets alloués sont beaucoup trop faibles.

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Quelles seront les priorités de la DTN ?

Il faut mettre en place un travail de fond. Pour cela, il faut une DTN forte, bien structurée, avec des moyens. Zetchi le sait et il veut mettre les moyens nécessaires. Il faut commencer par la base : et pour cela, il faut une bonne politique de détection dans les wilayas (préfectures). Cela passera par la mise en place de directions techniques dans les wilayas, afin d’effectuer un travail en profondeur dans les régions.

La coordination entre ces relais locaux et régionaux et la DTN sera permanente. Il faut travailler au niveau local, régional et national. Faire augmenter le nombre de licenciés. Beaucoup de jeunes ne savent pas trop où aller pour jouer au foot. Zetchi souhaite également la création de quatre grands centres de formations selon les zones géographiques. On y formera les joueurs, mais aussi des entraîneurs. Il faut également que les clubs mettent davantage de moyens pour la formation. Nous allons également développer le futsal, le beach-soccer et le football féminin. Et comme je vous le disais, nos sélections nationales de jeunes doivent avoir des objectifs sur la durée. Nous avons ainsi décidé de créer une sélection nationale des moins de 15 ans. La DTN va prendre en charge l’organisation des championnats nationaux de jeunes.

L’avenir du football algérien est-il en train de se jouer actuellement ?

Il faut penser au futur. L’Algérie dispose d’un important réservoir de joueurs, mais il est mal exploité. La France, dans les années 1970, a compris qu’une politique de formation structurée allait lui permettre d’en récolter les fruits plus tard. C’est ce qui s’est passé, et d’autres pays l’ont fait. L’Algérie en a les moyens humains. Il y a de l’argent. Il y a des structures, qu’il faudra dans certains cas rénover. Il y a des moyens et la volonté du président de la FAF. Cela prendra du temps, bien sûr.

Les joueurs locaux évoluant en sélection nationale sont rares, car trop peu ont le niveau international. Peut-on imaginer un jour qu’ils soient, comme en Tunisie ou au Maroc, plus nombreux ?

Plus nos joueurs locaux seront bons, plus cela profitera à notre football, aux clubs et aux sélections. Si des locaux peuvent faire de la concurrence aux binationaux, parce qu’ils sont d’un bon niveau, tout le monde en profitera. On ne peut pas se passer des binationaux, c’est une évidence. Mais avec eux et avec des locaux plus forts, l’Algérie en sortira gagnante. Nous avons pris beaucoup de retard. Le travail est immense, tout cela va prendre du temps. Tout le monde doit comprendre que nous ne pouvions plus continuer ainsi…

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