Lettres de Kinshasa #3 : « Mboka eza bien te »
Une Congolaise retourne à Kinshasa après trois ans d’absence. Insécurité, difficultés du quotidien, retrouvailles avec ses proches… Elle raconte son séjour à une amie restée à Paris. Si ses déceptions font naître un brin de révolte, elle reste fascinée par la persévérance des jeunes Kinois. Voici le troisième volet de son récit épistolaire.
Chère Joséphine,
Ici, il y a une phrase qui revient souvent, depuis des années : « Mboka eza bien te ». Cela veut dire « le pays va mal » ou « il y a insécurité dans le pays ». Et visiblement, elle reste d’actualité.
Le pays va mal, à cause de la situation politique. Tu la connais. La Constitution prévoyait une présidentielle en novembre 2016. Elle n’a pas eu lieu. Elle est aujourd’hui reportée au 23 décembre 2018…
Les discussions sous l’égide de l’Église catholique pour tenter de rassembler opposition et majorité présidentielle n’ont pas abouti. Quelques jours seulement après la signature de l’accord finalement trouvé en décembre 2016 entre pouvoir et opposition, les élections ont été remises aux calendes grecques.
Entre légalité et légitimité, l’histoire de politique congolaise semble se répéter. Entre 1991 et 1997, Mobutu était resté au pouvoir pendant six ans au-delà de l’expiration des sept ans de son mandat… Avec l’alternance politique de 2006, puis les élections de 2011, le peuple congolais s’est cru admis dans le club des pays démocratiques. C’était visiblement trop beau pour être vrai !
>>> A LIRE – Lettres de Kinshasa #1 : « Kin ya bana kin ! »
Les nombreux dialogues politiques organisés dans le pays sont souvent vus comme de simples moyens de sceller des « deals » entre partis. Les opposants d’hier se laissent séduire par les postes ministériels.
« Ils aboutissent à une co-gestion entre opposition et pouvoir, ce qui donne plus de légitimité au président », note le Professeur Célestin Kabuya-Lumuna dans son dernier livre Réflexions sur la démocratie congolaise et ses principaux défis.
Et aujourd’hui, le pouvoir s’emploie à interdire tout attroupement, au point que, sur les réseaux sociaux, certains s’inquiètent – en riant jaune – de voir les familles nombreuses interdites de se déplacer ensemble dans la rue ! La moindre manifestation est réprimée. Et ce climat d’insécurité pèse sur la ville, contrôles des véhicules par-ci, manifestations non autorisée par-là…
Dépréciation catastrophique
Conséquence, dans le porte-monnaie d’un Kinois, on trouve souvent des dollars américains aux côtés des francs congolais
Le pays va mal à cause de sa monnaie, aussi. Selon les cambistes rencontrés sur la Place Victoire, l’affichage des taux du jour est interdit. Les jeunes gens installés devant leurs petites tables branlantes, liasses de billets en main, souffle donc désormais le taux du dollars aux passants. Et la dépréciation de la monnaie nationale est catastrophique.
>>> A LIRE – Lettres de Kinshasa #2 : « Bana Kin bazo luka vie ! »
Quand j’ai quitté Kinshasa il y a trois ans, le franc congolais restait roi. 10 USD valaient 9 000 FC, soit environ 8 euros. En gros, c’était bien plus qu’un déjeuner de midi dans un restaurant où tout Congolais lambda irait manger. Aujourd’hui 10 USD s’échange à environ 15 000 FC, parfois même 15 500. Conséquence directe, dans le porte-monnaie d’un Kinois, on trouve souvent des dollars américains aux côtés des francs congolais.
Une habitude que j’ai prise, et qui m’a valu une mésaventure, un après-midi.
Taxi ! Taxi ! A Kinshasa, quand on entend ce cri, cela signifie que le passager s’engage à payer la course seul. D’habitude, les taxis se prennent en commun et la destination se définit rapidement, par gestes… Dans pareille situation, le prix se discute avant de partir. Mais ce midi, le chauffeur qui m’a prise en charge sur la Place Royale, à Gombe, semble passer outre cette règle tacite, et démarre en trombe. Le temps de tourner dix minutes dans la petite Toyota rouge pour trouver ma destination, le chauffeur dit qu’il va falloir payer 7 500 FC… Près de dix dollars ! En bonne kinoise, j’essaie de marchander. Au bout du compte, il insiste : 6 500 FC, c’est son dernier prix. Sauf que quand je mets la main sur mon portefeuille, je ne me rend compte que, sur moi, je n’ai alors que des billets verts. Aucun franc congolais…
Je tente :
– C’est combien le taux du jour ?
Le chauffeur me regarde, éclate de rire.
– Oza piégé soeur na nga, awa taux ezalaka lisusu te (« Tu viens de tomber dans un piège, il n’y a pas de taux exact ici en ce moment »). Ce sera 10 dollars (soit 14 000 FC).
Pourquoi un tel différentiel ? C’est simple : « Lorsque l’on veut changer les dollars, on perd énormément. La situation est vraiment difficile. »
Pouvoir d’achat en berne
Le pays va mal, aussi, dans les allées du marché central. A la veille de la rentrée des classes, alors qu’habituellement les familles s’y précipitent, il n’y avait presque personne sur la grande avenue du Commerce goudronnée au centre ville de Kinshasa. Les magasins sont ouverts, les vendeurs à la sauvette déballent leurs marchandises. C’est la période où ils en profitent habituellement pour faire de bonnes affaires. Mais cette année, « il y a moins d’engouement », se plaint l’un d’eux.
Car le pays va mal, aussi, dans les salles de classe. Kinshasa s’est même transformée en capitale des grèves en cette rentrée scolaire 2017. Le collectif des syndicats de l’administration publique a lancé le mouvement en appelant à la grève des fonctionnaires sur toute l’étendue de la RDC à partir de juillet pour réclamer des augmentations de salaire. Désormais, frustrés, on les voit traîner dans les cours des administrations et agences publique.
Les enseignants se sont eux aussi joints à la grève. Principal objet de leur colère : la loi-cadre de l’enseignement promulguée par Joseph Kabila en 2014. « Il s’agit essentiellement de promesses non tenues, telles que le réajustement des salaires au niveau de l’Enseignement secondaire », explique Jean-Bosco Puna, secrétaire général du Syndicat des enseignants des écoles conventionnées catholiques (SYNECAT).
Et là encore, c’est la dépréciation de la monnaie face à un dollar omniprésent dans les échanges du quotidien qui est au cœur du problème. « Nous avons obtenu une augmentation de 25 000 FC par mois, mais le salaire minimum pour les enseignants du secondaire dans le public reste à 150 000 FC ». Trop peu pour faire face, surtout quant une partie des échanges doivent se faire en dollars.
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