Christine Daure Serfaty : une femme de coeur s’est éteinte
L’écrivaine et ancienne résistante Christine Daure Serfaty s’est éteinte à Paris, à l’âge de 88 ans. Femme de coeur et de courage, une grande partie de son oeuvre et de son existence a été liée au Maroc.
"C’est grâce à Christine que mon frère Aziz est sorti de Tazmamart. Une femme exceptionnelle, juste et dotée d’une grande générosité de cœur". L’artiste marocain Mahi Binbine est encore affecté par le décès de celle qui a longuement défendu les victimes des années de plomb au Maroc : Christine Daure Serfaty, vient de s’éteindre à Paris à l’âge de 88 ans. Son corps sera inhumé le 5 juin dans la commune de Juanzé dans le Département de l’Aube, là où fut enterré son père Pierre Daure, ancien résistant sous Vichy.
Christine Daure Serfaty n’était pas uniquement la veuve de Abraham Serfaty, le célèbre opposant de Hassan II qui fit un retour historique au Maroc en 1999 après des années d’exil. Cette dame est elle-aussi une figure du Maroc, pays qu’elle a porté dans son cœur, au point d’y consacrer la quasi-totalité de ses livres. "Le Maroc m’obsédait. À part un livre sur la Mauritanie, tous les autres que j’ai écrit parlent du Maroc (…). Ce pays m’a immédiatement séduite, dès le jour où j’ai mis les pieds à Tanger, en 1962", racontait-elle à l’hebdomadaire la Vieeco en 2008.
La bonté en héritage
Cette femme aux yeux bleus perçants, où se mêlent malice et mélancolie, profondément protestante, attachée à la morale et à l’honnêteté, était très sensible aux injustices dans le royaume chérifien. Sous le pseudonyme de Claude Ariam, elle publia en 1986 à Rencontres avec le Maroc (ed. La découverte) qui allait servir de base pour le brûlot de Gilles Perrault Notre ami le Roi, paru en 1990 (coll. Au Vif du Sujet, Gallimard), et qui porta un coup dur au règne de Hassan II avec ses révélations sur Ben Barka, Oufkir et Tazmamart. Christine Daure Serfaty dira longtemps après à la presse que les prisonniers politiques de Kénitra étaient les premiers à le lire et que, depuis son exil parisien, elle leur avait envoyé un exemplaire, camouflé sous une fausse jaquette.
En 1992, elle commet Tazmamart, une prison de la mort (Stock), le premier livre écrit sur ce bagne de la mort, alors inconnu des Marocains, sur la base du témoignage de deux jeunes étudiants qui sont venus lui raconter les horreurs que subissait leur frère détenu dans cette prison. Ce fut le choc de sa vie, un endroit sans lumière où l’on mourrait à petits feu. C’était l’époque où les médias français commençaient à titiller le régime Marocain sur les bagnes de la torture, et à chaque fois Hassan II, par son large sourire, son calme à toute épreuve et ses paroles mielleuses, niait leur existence. Mais, sous la pression des organisations des droits de l’homme, ce dossier était irrémédiablement sur le chemin de la résolution… Des prisonniers célèbres comme Bourequat, Marzouki, Binebine furent libérés mais les Marocains ne découvriront réellement l’horreur de Tazmamart que longtemps après, lorsque ces personnes-là décidèrent de relater leur expérience dans des livres.
Contrairement à ce qu’on pense, Abraham Serfaty n’était pas détenu à Tazmamart, mais à Kénitra avec un passage par Derb Moulay Chérif de Casablanca. Ancien leader de l’organisation d’extrême gauche Ila Al Amam, il a rencontré Christine comme dans une scène de film. C’était au début des années 70, où pourchassé pour ses activités politiques clandestines, il trouva refuge chez cette jeune enseignante de français qui accepta de l’héberger. Pourquoi Christine a-t-elle risqué sa vie en cachant un opposant ? Personne ne le sait. Elle dira après à un militant que son père, résistant sous Vichy, était lui aussi en cavalcade dans la nature et qu’il doit sa survie à une âme bienfaisante qui lui a ouvert la porte. Sinon, il aurait disparu…
"Bienvenue dans votre pays !"
Malgré cela, Abraham sera capturé et emprisonné et elle, expulsée du Maroc. Au milieu des années 80, Jean Daniel, patron du Nouvel obs, serial interviewer de Hassan II, plaida en sa faveur auprès du monarque, lui demandant d’accepter son mariage avec Abraham Serfaty. Hassan II avait déjà reçu une lettre d’intermédiation dans ce sens de la part de Danielle Mitterand dont il n’a pas apprécié le ton sec. Et à laquelle il répliqua que "le jour où on lui écrira une lettre d’une manière correcte, il donnerait son feu vert". Jean Daniel, connu pour intervenir ponctuellement en faveur des détenus politiques au Maroc, rebondit sur cette déclaration. Il obtient la promesse de Hassan II et enclenche la machine diplomatique avec l’ambassadeur du Maroc à Paris et le conseiller du Roi Ahmed Réda Guedira. Christine Serfaty put ainsi se marier avec son amoureux en 1986, alors qu’il était toujours prisonnier.
Abraham fut libéré en 1991, mais tout de suite expulsé par Driss Basri du Maroc vers la France, sous prétexte qu’il était "brésilien". Hassan II ne voulait pas de cet opposant au Maroc de son vivant. Mais il lui fallait le prétexte pour l’expulser. Ce prétexte, c’est un grand homme politique de la gauche marocaine, qui va le lui donner. Lors d’un voyage en bateau vers Tripoli, cet homme de gauche glissa à Hassan II que Serfaty avait la nationalité brésilienne. Arrêté, jugé et emprisonné durant 17 ans en tant que Marocain, Abraham fut donc expulsé vers la France en tant que Brésilien !
Lui et sa femme Christine ne pourront revenir au Maroc qu’à la mort de Hassan II en 1999. Un retour historique où ils furent accueillis par l’entourage de Mohammed VI : Fouad Ali El Himma, Rochdi Chraibi et Hassan Aourid. Ce dernier prononcera la phrase célèbre : "Bienvenue dans votre pays !". Le couple habita à Mohammedia, ensuite à Marrakech. Affaibli par la maladie, Abraham décède en novembre 2010.
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Nadia Lamlili
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