À Esmeraldas, les Afro-Équatoriens face au scandale de la corruption pétrolière
Esmeraldas est l’une des deux villes les plus peuplées d’afro-descendants en Équateur, en Amérique du Sud. Si son port est l’un des principaux du pays, son économie reste avant tout liée aux raffineries de pétrole. L’or noir qui a changé le visage de la ville et de ses 180 000 habitants, désormais connue dans tout le pays.
Dès l’entrée d’Esmeraldas, sur la côte nord de l’Équateur, des statues « afros », dites « Palenque », accueillent fièrement le visiteur comme pour lui signifier qu’il entre dans une ville peu ordinaire. Vêtues d’habits traditionnels colorés, elles racontent en effet le subtil mélange des cultures amérindiennes et afro-descendantes qui a lieu depuis des siècles dans cette ville située à quelques heures de la frontière avec la Colombie. Le métissage y est tellement répandu que personne ne craint de revendiquer ses origines ou d’assumer dignement sa couleur de peau.
Une réalité visible sur les plages de la ville, dites « Las Palmas », au bout de l’avenue principale. En ce samedi ensoleillé et chaud, les habitants se sont donné rendez-vous pour un tournoi de football. La mer, éloignée par la marée basse, offre un terrain de jeu immense. Sur des kilomètres, des dizaines d’Afro-Équatoriens profitent du soleil en famille. Les étrangers ou personnes à la peau blanche sont rares.
Vous voyez ! On est tous métissés. Il n’y a pas d’histoire de « Blanc ou Noir ». Le racisme ne se sent pas
Ramon Patorce Ceballo Ortis, casquette visée sur la tête, chemise ouverte et haut-parleur rouge entre les mains, d’où sort de la salsa porto-ricaine, s’enterre dans le sable tel un enfant. Ce pêcheur afro-descendant de 65 ans profite de son week-end de repos.
« Vous voyez ! On est tous métissés. Il n’y a pas d’histoire de “Blanc ou Noir”. Toutes les familles ont d’ailleurs des mélanges. J’ai la peau noire, ma sœur a la peau blanche. Mon père est afro-équatorien et ma mère est une indo-équatorienne à la peau blanche. Du coup, le racisme ne se sent pas. »
Nos raffineries de pétrole font que tout le pays connaît Esmeraldas
Il ajoute que pour affirmer être Esmeraldenos, un habitant de la ville, il faut avoir au moins cinq générations natives d’Esmeraldas, comme lui. « On est vraiment fiers de nos origines. En plus, on est reconnus grâce à des célébrités comme le footballeur de Manchester United, Luis Antonio Valencia Mosquera. Il est Afro. Puis, nos raffineries de pétrole font que tout le pays connaît Esmeraldas », ajoute-t-il avec fierté.
Grandeur et misère d’une ville pétrolière
En effet, Esmeraldas possède le port et les sites de raffinerie les plus importants du pays. Si ces derniers produisent 110 000 barils de pétrole par jour, la ville, elle, ne profite pas encore de toutes les retombées du secteur. Le front de mer en témoigne : très étendu, sans une réelle place principale, celui-ci contraste complètement avec le centre ville.
Les avenues sont larges et les commerces épars. Certaines façades sont délabrées, d’autres sentent encore la peinture fraîche. La pollution a marqué les murs, tout comme les déchets laissés sur les trottoirs irréguliers.
Sur les plages, c’est l’inverse : propres, avec des poubelles pour faire le tri sélectif. Les voix piétonnes sont pavées ou dessinées avec des planches. Des petites baraques en bois servent de boutiques, restaurants ou écoles de sport. Et au milieu de ce décor branlant trône un immense immeuble aux allures de cargo : celui de la compagnie pétrolière Flopec.
La majorité des raffineries seront fermées durant 15 jours, ce qui va coûter 1,2 million de dollars par jour
Les richesses pétrolières génèrent bien des tensions. En mars prochain, la majorité des raffineries vont ainsi être fermées pour de nouveaux travaux de rénovation. Durant 15 jours, il n’y aura plus d’activités dans la ville, ce qui va coûter 1,2 million de dollars par jour à la communauté. Un manque à gagner qui agace autant les habitants que les militants, car des travaux ont déjà été faits sous le mandat de l’ancien président du pays, pour 2 200 millions de dollars.
Un lanceur d’alarme poursuivi en justice
Mais la grogne n’est pas près de s’arrêter. Le 19 janvier dernier, le journaliste et activiste politique Fernando Villavicencio a ainsi attaqué en justice le gouvernement pour des faits de corruption dans la gestion des raffineries de pétrole. Il affirme que les contrats signés avec la compagnie PetroChina cachent des malversations sur des comptes bancaires illicites et sont à l’origine d’un énorme manque à gagner pour le pays.
Le journaliste a d’ailleurs fourni un document de 4 000 pages au chef du Parlement équatorien, avec des noms de responsables et des numéros de comptes bancaires qui auraient servi pour les transferts d’argent. « Le cas Odebrecht en Équateur [en 2017, le groupe brésilien a été accusé d’être au cœur d’un vaste système de corruption visant à obtenir des contrats publics dans le secteur du BTP partout en Amérique latine, NDLR] est un jeu d’enfant à côté de cette affaire », déclarait Fernando Villavicencio.
Les bateaux ayant quitté le port d’Esmeraldas pour la Chine et la Thaïlande, sont arrivés avec une différence de prix de 4 dollars par baril
Pour avoir rendu publiques des documents confidentiels, Fernando Villavicencio est désormais poursuivi par la justice et une ordonnance de détention préventive le visant a été signée. L’homme, qui a dû quitter le pays durant une période vers le Pérou, a affirmé à son retour devant la justice que « les bateaux, qui ont quitté le port d’Esmeraldas avec des barils de pétrole pour la Chine et la Thaïlande, sont arrivés à destination avec une différence de prix de 4 dollars par baril ».
Selon les médias équatoriens, depuis 2009, l’Équateur aurait reçu 18 millions de dollars de la part d’opérateurs chinois et thaïlandais, en échange de la promesse de la livraison de 1 204 millions de barils de pétrole jusqu’à 2024. Un scandale qui pourrait donc avoisiner les 4,8 milliards de dollars.
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