Algérie : bras de fer entre la ministre de l’Éducation et les enseignants grévistes
Face à la poursuite de la grève illimitée des enseignants depuis plus deux semaines, la ministre de l’Éducation Nouria Benghabrit a accepté de rencontrer un ancien militant du Front Islamique du salut (FIS), l’imam Ali Aya, et l’avocat Nadjib Bitam, souhaitant intervenir en tant que médiateurs dans cette affaire.
Pendant plus de deux heures, ce mardi 13 février, la ministre de l’Éducation nationale Nouria Benghabrit a reçu l’imam Cheikh Ali Aya et l’avocat Nadjib Bitam. Au cours de cette rencontre, la ministre est revenue sur les origines du mouvement gréviste des enseignants et sur les tentatives de dialogue initiées par le ministère.
Les deux hommes disent vouloir trouver une issue à la grève illimitée qui a débuté le 30 janvier dernier à l’appel du Cnapeste, le Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l’éducation.
Les revendications du syndicat portent sur l’amélioration des conditions de travail des enseignants, sur tous les plans.
L’imam Cheikh Ali Aya, une personnalité controversée
De nombreux observateurs n’ont pas vu d’un bon œil la rencontre entre la ministre et l’imam de la Grande mosquée d’Alger. Ceux-ci voient dans cette immixtion du religieux dans des affaires d’ordre politique et social le signe d’une nouvelle gestion des affaires publiques en Algérie.
L’imam est en fait l’un des cadres fondateurs du FIS dissous, parti à l’origine du déclenchement de la guerre civile en Algérie dans les années 90
Kamel Daoud, intellectuel algérien, a commenté cette rencontre sur la page Facebook de Kabylie Times : « Petit pas pour cet homme [l’imam Cheikh Ali Aya, ndlr], grand pas pour la talibanisation du pays et le Califat algérien », a-t-il ainsi déploré.
L’imam est en fait l’un des cadres fondateurs du FIS dissous, parti à l’origine du déclenchement de la guerre civile en Algérie dans les années 1990. Il s’est toutefois opposé à la résolution armée du conflit et a lui-même fui les maquis des GIA pendant la décennie noire.
Cependant, au moment de la première guerre du Golfe, en 1991, il s’était déclaré favorable à l’envoi de soldats algériens pour soutenir les « forces coalisées » (Égypte, Arabie saoudite et pays du Golfe…) commandées par les États-Unis dans leur guerre contre l’Irak, qui avait à l’époque envahi le Koweït.
Plus récemment, le cheikh, qui est régulièrement invité sur les plateaux de la chaîne de télévision Ennahar, a pris l’habitude de lancer des fatwas en direct sur plusieurs sujets, comme le voile, ou encore sur les agressions sexuelles, accusant même les femmes d’en être les responsables. Il a également invité les femmes désirant se marier à lancer des appels sur les réseaux sociaux afin de se trouver un compagnon.
Je ne pouvais que recevoir ces respectables personnes exactement comme je l’ai fait avec l’ensemble de ceux qui ont demandé à me rencontrer
En décembre 2017, il s’est fait remarquer lors d’une conférence où il s’est offusqué, dès le début de l’intervention de l’islamologue réformiste Saïd Djebelkhir, de l’emploi du terme « patrimoine islamique » en parlant du Coran.
Le cheikh s’est alors mis dans une colère noire et a hurlé pendant de longues minutes : « Le Coran n’est pas un patrimoine, le Coran est la parole de Dieu ! ». « Je crains que le bon Dieu, ne fasse trembler la terre sous nos pieds pour ces paroles. Je crains que Dieu nous maudisse pour cette conférence », avait-il ainsi rétorqué.
Une situation dans l’impasse
Questionnée sur la raison de cette rencontre, Nouria Benghabrit a déclaré mercredi 14 février sur le site algérien TSA : « Je ne pouvais que recevoir ces respectables personnes exactement comme je l’ai fait avec l’ensemble de ceux qui ont demandé à me rencontrer ».
Plus de 500 enseignants ont été radiés de la fonction publique
La ministre a également affirmé qu’elle refusait de rencontrer les membres du Cnapeste tant qu’ils poursuivraient la grève. Un refus qui ne semble pas freiner le syndicat, qui appelle désormais à une médiation du président de la République.
Pourtant, face à la persévérance du mouvement de grève, le ministère de l’Éducation n’y est pas allé de main morte : cette semaine, dans la wilaya de Blida, qui était déjà en grève depuis le 26 novembre, bien avant l’appel national, plus de 500 enseignants ont été radiés de la fonction publique. Le spectre de l’année blanche plane d’ailleurs sur certains gouvernorats du pays, où la grève s’éternise depuis trois mois.
La ministre de l’Éducation a également déclaré que le syndicat « était dans une posture hors-la-loi », étant donné que la grève a été déclaré illégale par le juge le 30 janvier dernier. Avant d’affirmer qu’il « n’y a pas de retour en arrière » pour les enseignants radiés et que « pour les autres enseignants en grève, certains ont reçu aujourd’hui la deuxième mise en demeure. Après la seconde mise en demeure, c’est la radiation qui les attend à partir de dimanche. »
Au total, 16 000 enseignants sur les 460 000 risquent d’être radiés, selon les autorités.
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