Maroc – Nouzha Skalli : « La loi sur les violences faites aux femmes n’est pas à la hauteur »
Après cinq ans d’atermoiements, la loi promise par l’islamiste Bassima Hakkaoui a été adoptée par le Parlement ce mercredi 14 février. Mais elle subit d’ores et déjà les foudres des féministes.
Ancienne ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité dans le gouvernement de Abbas El Fassi (2007-2012), Nouzha Skalli est une figure du mouvement féministe marocain. Légalisation de l’avortement, lutte contre le travail des mineurs, harcèlement sexuel… elle a été de toutes les batailles, toujours d’une incroyable ténacité.
Pour Jeune Afrique, l’ancienne ministre du Parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche) commente la loi sur la violence à l’égard des femmes adoptée mercredi 14 février. Le texte, promis par la ministre Bassima Hakkaoui du Parti justice et développement (PJD, islamiste) depuis 2012, criminalise pour la première fois certains actes considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement. Mais c’est loin d’être une loi historique, juge Nouzha Skalli, qui considère qu’il comporte de nombreuses failles. Elle affirme même que le texte est même en deça de la loi tunisienne adoptée en juillet 2017.
Jeune Afrique : Quelle lecture faites-vous de la loi sur la violence à l’égard des femmes adoptée par le Parlement ?
Nouzha Sqalli : Il faut savoir que cette loi est le principal objectif du mouvement féministe depuis l’adoption du Code de la famille [la Moudawana] en 2004. Depuis cette date, en tant que féministes, nous avons émis une longue liste de revendications pour pousser à la mise en place d’un nouvel arsenal spécifique à la violence faite aux femmes, qui est un fléau dans notre société.
Mais la loi qui a été adoptée hier [mercredi] nous a énormément déçus. Elle ne fait que modifier quelques articles du Code pénal et ne peut pas être considérée comme une avancée en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Pourtant, le texte incrimine pour la première fois le harcèlement sexuel. Il durcit les sanctions dans certains actes de violences et il instaure des mécanismes de prise en charge des victimes…
Évidemment, il contient des choses positives. Mais ce n’est sûrement pas une révolution. On aurait aimé que cette loi fasse l’objet d’un consensus, comme l’a été le Code de la famille, et que les observations des associations féministes soient prises en compte.
Nous sommes à un moment où les droits des femmes connaissent une stagnation, voire une régression. Le mariage des mineurs est en augmentation malgré les restrictions imposées par le Code de la famille. La loi votée hier ne prend pas en compte les définitions internationales en matière de violences à l’égard des femmes. Le viol conjugal n’est, par exemple, pas puni.
De même, les actes de violence sont définis comme étant tous les actes basés sur la ségrégation liée au sexe et causant un préjudice. Alors que la définition internationale parle également des actes « susceptibles de causer un préjudice ». La nuance est importante. Dans le premier cas, il faut prouver le préjudice subi, ce qui n’est pas tout le temps évident. En introduisant le terme « susceptibles », on permet au juge d’avoir un champ plus large pour son appréciation.
Contrairement à la loi marocaine, la loi tunisienne est plus moderniste et plus cohérente
Comment jugez-vous la loi marocaine par rapport à celle tunisienne adoptée l’année dernière ?
Nous avons comparé les deux moutures lors d’une rencontre avec nos consœurs tunisiennes. Résultat : le texte marocain est nettement inférieur à celui tunisien. D’abord, la loi tunisienne est une loi spécifique aux violences faites aux femmes et non une réforme du Code pénal.
Ensuite, l’approche tunisienne est nettement plus moderniste et plus cohérente. Alors que celle marocaine est fait d’articles disparates qui ne concernent pas uniquement les femmes mais aussi, d’après ce que j’ai lu, la violence à l’égard des ascendants, des descendants…
D’une façon générale, le texte adopté hier par le Parlement n’est pas à la hauteur de nos aspirations. En plus, il ne donne le droit aux associations de se porter partie civile qu’après l’acceptation de la victime. Que fait-on si cette dernière est dans le coma ou subit des pressions de son entourage ?
Pourtant, la ministre en charge de cette réforme dit que cette loi est le résultat d’une large consultation de la société civile…
Vous mettez le doigt sur un vrai problème au Maroc. La Constitution prévoit une approche participative dans l’élaboration des textes de loi. On demande aux gens de dire ce qu’ils veulent mais, au final, on fait ce qu’on veut. Il y a eu effectivement des concertations, mais nos demandes n’ont pas été prises en compte. Il y a quelques semaines, plusieurs associations féministes ont demandé le retrait de ce texte de loi pour en élucider les ambiguités.
Il faut réformer le Code pénal dans sa globalité, car il est obsolète
En quoi ce texte est-il ambigu ?
Cette loi ne modifie que quelques articles du Code pénal, alors que celui-ci reste fondamentalement basé sur des concepts obsolètes. À tire d’exemple, le viol est encore considéré comme une atteinte à la pudeur, alors que le droit international le définit comme une atteinte à l’intégrité physique des femmes.
Le Code pénal – qui date de l’époque de l’indépendance – pénalise toujours les relations hors mariage. Nous demandons à ce qu’il soit revu dans sa globalité pour être en adéquation avec la Constitution de 2011. Mais notre combat se heurte à la perception conservatrice du parti au pouvoir – Parti justice et développement (PJD)- particulièrement en matière des droits de femmes.
J’en prends comme exemple la question de l’avortement. Il y a deux ans et demi, le roi avait donné ses instructions pour l’autoriser dans les cas extrêmes (viol, inceste…). On attend toujours.
En résumé, que demandez-vous ?
Les réformes contenues dans cette loi restent cosmétiques. Nous demandons une réforme globale du Code pénal et la mise en place d’une loi spécifique sur la violence faite aux femmes. Rien n’empêche qu’elle soit intégrée dans le Code pénal mais sous forme d’un chapitre distinct et cohérent inspiré des normes internationales.
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