Sauvez Africultures !
Africultures, qui travaille depuis 20 ans à « promouvoir la connaissance et la compréhension des cultures contemporaines africaines » risque aujourd’hui de disparaître.
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Nicolas Michel
Romancier et journaliste, il est responsable des pages consacrées à la culture et auteur d’une dizaine de romans et albums illustrés.
Publié le 19 février 2018 Lecture : 3 minutes.
Tribune. Africultures, c’est le dialogue, la rencontre, le partage, la fraternité, l’échange, la réflexion, l’engagement. Africultures, c’est la pluralité en action, la créolité en marche. Et pourtant, aujourd’hui, cette association à but non lucratif, qui a pour mission de « promouvoir la connaissance et la compréhension des cultures contemporaines africaines en favorisant le dialogue et la réflexion sur les expressions culturelles et socioculturelles, originales ou immigrées, des acteurs de ces cultures en France, en Afrique et de par le monde », est gravement menacée.
Baisse des subventions – réorientées vers les organismes de lutte contre la radicalisation religieuse – et fin des contrats aidés mettent en danger son équilibre économique, au point de compromettre sa survie.
Une aventure commencée il y a vingt ans
Rappel : Africultures, ce fut d’abord, à la fin des années 1990, une revue imprimée de haute tenue consacrée aux expressions artistiques africaines, quelles qu’elles soient. Africultures, aujourd’hui, c’est toujours cela et c’est plus que cela. La démarche d’origine a été étendue et modernisée à travers la création d’un site web, africultures.com, rassemblant plusieurs milliers d’articles et composant une imposante base de données, accessible gratuitement.
Chaque semaine, une newsletter envoyée à 180 000 personnes donne l’agenda culturel complet des événements touchant aux cultures africaines « et à l’interculturalité en France et dans le reste du monde ».
Africultures est un récit et une mémoire de la littérature africaine depuis les années 1990
Ce n’est pas tout : le bimestriel Afriscope étend cette démarche en version papier, tirée à 50 000 exemplaires et diffusée dans quelque 170 lieux, gratuitement.
Et, pour répondre aux besoins des formateurs et bénévoles en alphabétisation dans les foyers de travailleurs immigrés, la rédaction d’Africultures propose en outre, depuis 2010, un carnet en français facile de 8 pages, comprenant notamment des exercices et des tests de compréhension. La rédaction ? Six salariés, contre 17 en 2014. Un collectif qui se bat plus pour un bien commun que pour ses salaires, au demeurant tout à fait modestes.
Mobilisation des intellectuels
Menacée de disparition, l’association a lancé le 6 février la campagne « Africultures est en péril, soutenez-nous ». La mobilisation des intellectuels a été immédiate : Maryse Condé, Alain Mabanckou, Dany Laferrière, Jean-Luc Raharimanana, Achille Mbembe, Karim Miské, Alice Diop, Pascal Blanchard et bien d’autres ont affiché leur soutien.
Africultures est un média d’utilité publique, car il permet de nourrir les débats de nos sociétés
Pour Raharimanana : « Plus qu’une revue, Africultures est un récit et une mémoire de la littérature africaine depuis les années 1990, une formidable aventure de critiques, d’écrivains et d’artistes. Des personnes qui ont grandi ensemble, qui ont élaboré chacun dans leurs domaines une approche, sinon une pensée de la littérature et de l’art. Une prise de conscience en tout cas de la nécessité d’un espace d’expression, où l’on ne serait pas assujetti aux grilles de lecture de la littérature franco-française, un espace de débat parfois passionné, des échanges avec l’autre, des informations sur ce qui pouvait se passer d’un bout à l’autre du continent, car les artistes y ont leurs entrées, la possibilité de poser au vu de tous leurs parcours et leurs œuvres. »
« Je lui dois beaucoup »
Quant à Gaël Faye, Prix Goncourt des lycéens l’année dernière, il écrit : « Africultures est un média d’utilité publique, et je pèse mes mots, car il permet de nourrir les débats de nos sociétés et de tisser des liens de culture et de pensées entre l’Afrique et l’Europe et l’Afrique et ses diasporas. Il est un œil alerte et curieux sur le monde contemporain et une source d’archives et de mémoires de nos histoires multiples. Je lui dois beaucoup car il a été essentiel dans ma construction intellectuelle et artistique. »
« Je lui dois beaucoup… » Cette phrase, nombreux sont les créateurs qui pourraient la prononcer tant l’association s’est battue, jour après jour, pour les placer sur le devant de la scène. Et si, aujourd’hui, la France s’éveille lentement à des cultures trop longtemps marginalisées, c’est grâce à ce travail en profondeur, mené sans relâche et sans grands moyens.
Alors il ne s’agit plus seulement de signer un bout de papier et de l’assortir de belles paroles. Auteurs célèbres, chercheurs salariés d’universités américaines, fondations consacrées aux arts, militants médiatiques, cinéastes réputés, acteurs et réalisateurs, intellectuels engagés, maisons d’édition, vous avez des moyens et vous avez une dette. Il est l’heure de l’honorer.
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