Aide au développement : la France affirme placer l’Afrique en tête de sa nouvelle stratégie
Favoriser les aides bilatérales, augmenter les dons, réserver une part importante des fonds au Sahel… La feuille de route du gouvernement français concernant l’aide publique au développement accorde plus de place à l’Afrique. Une nouvelle stratégie qui ne fait pas l’unanimité auprès des ONG.
Le président français Emmanuel Macron l’a martelé le 8 février dernier : il compte amener l’aide française au développement à 0,55 % du revenu nation brut (RNB) d’ici à 2022. En 2016, cette aide s’élevait à 0,38 % du PIB. « Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a fait de cette ambition un dossier prioritaire », indique une source diplomatique, alors que le Quai d’Orsay et les administrations concernées s’apprêtent alors à annoncer le lancement de divers projets.
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Le 8 février, le Premier ministre français Édouard Philippe avait réuni le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid). Le but : « fixer les priorités thématiques et géographiques ainsi que leur traduction budgétaire », selon le document résumant les conclusions de cette réunion. Au-delà des efforts financiers, Paris assure vouloir changer de paradigme.
Axes prioritaires : l’éducation et le changement climatique
Concernant la promesse d’amener les financements consacrés à l’aide publique au développement à 0,55 % du RNB d’ici 2022, le gouvernement envisage une augmentation graduelle : 0,44 % en 2018 et 2019, puis 0,47 % en 2020, 0,51 % en 2021 et 0,55 % en 2022. Un effort apprécié par les acteurs associatifs, pressés de voir la France remplir l’objectif auquel elle s’était historiquement engagée : arriver à 0,7 % du RNB.
Mais les administrations françaises comptent aussi, à les en croire, changer d’approche, en plus d’augmenter les moyens dédiés. Pour Paris, il s’agit de définir des axes prioritaires. Parmi ces derniers, l’éducation arrive en tête, selon notre source, suivie par la question du changement climatique.
Enfin, et les fonctionnaires français insistent : l’action française se veut désormais guidée par le souci de favoriser l’égalité entre les genres. Les projets et les programmes de l’Agence française pour le développement (AFD) seront ainsi encadrés par des objectifs précis.
L’Afrique au centre
Paris semble également vouloir remettre l’Afrique au centre de ses préoccupations en matière d’aide au développement. Le premier point du relevé de conclusions souligne ainsi : « Mieux concentrer notre action […] avec une attention particulière sur la relation avec l’Afrique ». Dans le viseur, notamment : le Sahel.
Une partie significative des montants sera consacrée au Sahel
Selon les fonctionnaires français, le développement est aussi perçu comme une digue pouvant contenir le terrorisme. La France compte notamment agir via l’Alliance pour le Sahel, lancée durant l’été 2017 et qui réunit la France, l’Allemagne, mais aussi des institutions comme la Banque africaine de développement et la Banque mondiale. Un accompagnement économique du G5 Sahel sera ainsi créé.
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Paris entend doubler les montants alloués à ce qu’il nomme la « facilité d’atténuation des vulnérabilités », pour qu’ils atteignent 200 millions d’euros par an d’ici 2020. « Une partie significative [de ces montants, ndlr] sera consacrée au Sahel », précise ainsi le document du Cicid.
Aujourd’hui, contrairement à une idée reçue, parmi les dix premiers récipiendaires, il n’y a qu’un pays d’Afrique subsaharienne
Pour mettre en place cette nouvelle philosophie, la France compte donc changer légèrement ses outils. Paris compte notamment rehausser la part de dons dans l’aide française au développement, par rapport à celle des prêts. Un moyen de se concentrer sur le continent africain.
« Aujourd’hui, contrairement à une idée reçue, parmi les dix premiers récipiendaires, il n’y a qu’un pays d’Afrique subsaharienne [le Mali, ndlr] », indique notre source. En effet, le taux d’endettement de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ne leur permet pas de recevoir de prêts. « Rééquilibrer la part de chaque formule et augmenter celle des dons va nous permettre de réétablir des thématiques et des ‘géographies’ prioritaires », poursuit-il.
La volonté présidentielle semble donc de vouloir reprendre davantage la main sur l’aide au développement. Et en effet, dans les années à venir, la répartition entre les aides bilatérales et multilatérales va elle aussi connaître un rééquilibrage, en faveur de ce premier.
« Le multilatéral a occupé une place très importante ces dernières années et nous voulons rééquilibrer un peu », souligne notre source. Les deux-tiers de la hausse du budget pour l’aide au développement prévue d’ici à 2022 seront ainsi consacrées au bilatéral.
L’aide humanitaire française devrait grimper à 500 millions d’euros
Enfin, autre point important : l’humanitaire est censé sortir gagnant des nouvelles orientations parisiennes, alors qu’aujourd’hui, les aides humanitaires françaises sont considérées comme très basses.
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À l’horizon 2022, l’aide humanitaire française devrait ainsi grimper à 500 millions d’euros : encore un moyen de cibler le continent africain et d’agir rapidement au Sahel en articulant reconstruction et antiterrorisme.
Un bilan « mitigé » pour certaines ONG
« Jean-Yves Le Drian a rencontré des représentants d’ONG », précise notre source diplomatique. Ces dernières sont-elles pour autant satisfaites des conclusions du Cicid ? « Les ONG françaises membres de Coordination SUD en tirent un bilan pour le moins mitigé », répond la structure qui regroupe quelques 160 ONG hexagonales actives dans la solidarité internationale.
La première augmentation du budget, en 2020, intervient trop tard selon des ONG
Du côté des ONG Action Santé Mondiale, Care France, One, Oxfam France et Printemps Solidaire, on tient à « saluer la publication d’une trajectoire budgétaire pour l’aide au développement ». Une source associative explique : « Nous avons une feuille de route qui permet d’émettre des critiques et qui permettra de faire un bilan. C’est plus qu’une promesse et c’est une bonne chose. »
Reste que les deux communiqués associatifs pointent du doigt la première augmentation du budget, qui n’intervient qu’en 2020. Trop tard, selon elles.
D’autres critiques sont émises. Coordination Sud déplore notamment « l’intégration des enjeux de régulation de la migration irrégulière dans la politique d’aide au développement ». En effet, dès les premiers paragraphes, le document d’une dizaine de pages du Cicid annonce : « Elle [l’aide publique au développement, ndlr] doit permettre de […] travailler sur les causes profondes des migrations irrégulières, d’accompagner les migrations régulières… »
Et le document précise plus bas : « La France proposera aux pays éligibles à l’aide publique au développement son aide pour élaborer et renforcer des politiques migratoires adaptées à leur situation et accompagner leur mise en oeuvre. Dans cette perspective, elle leur proposera en particulier son appui pour mettre en place des outils et des procédures de contrôle et de sécurisation de leurs frontières… »
La France reste peu présente dans de nombreux grands fonds importants
Une source associative relève aussi : « Les ONG ne comprennent pas non plus cette volonté d’insister sur le bilatéral. Beaucoup de pays parviennent à se montrer leaders en matière d’aide au développement en passant par le multilatéral. Au final, la France reste peu présente dans de nombreux grands fonds importants… »
Et de répéter que les ONG tiennent à ce que l’aide bilatérale ne soit pas tenue à des exigences sécuritaires ou migratoires.
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