Akrame Benallal : une histoire de goût

Le jeune chef charismatique et surdoué a su imposer l’inventivité et la finesse d’une cuisine résolument moderne. En attestent ses deux étoiles au Michelin, obtenues au début de 2014.

Akrame Benallal dans son restaurant de la rue Lauriston. © Vincent Fournier pour J.A.

Akrame Benallal dans son restaurant de la rue Lauriston. © Vincent Fournier pour J.A.

Julien_Clemencot

Publié le 8 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

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Trente-trois ans, regard noir intense, brillant d’énergie. Son restaurant parisien, situé rue Lauriston, à deux pas de l’Étoile, est une adresse. Installé tout près des cuisines, Akrame Benallal dirige les opérations, assis, la faute à une méchante entorse à la cheville. Un oeil sur la préparation des plats, un autre sur la salle, et le va-et-vient des livraisons de produits frais qui se succèdent. "Mon médecin m’a demandé de mettre la pédale douce mais, j’avoue, j’ai du mal !" bouillonne-t-il. Autour de lui, la petite ruche s’active en silence. Distingué "Grand de demain" par Gault&Millau en 2011, alors qu’il officie à l’hôtel parisien Konfidentiel, il ouvre la même année Akrame et décroche dans la foulée sa première étoile. Aujourd’hui, il en compte deux au guide Michelin.

Mais pour espérer savourer l’un des trois menus proposés par ce prince de la gastronomie, il faut patienter en moyenne deux mois et compter sur une fourchette de 45 à 100 euros (hors boissons).

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Pas de carte mais des porpositions au jour le jour

Intuitive, inventive, la cuisine d’Akrame Benallal surprend autant qu’elle transporte : pigeon de Mesquer accompagné de tuiles au café torréfié et dattes, langoustine saisie sur un coulis de persil aéré d’ail et de gingembre confit… Une créativité culinaire que le jeune chef annote et exprime au fil de ses carnets Moleskine, gorgés de projets de recettes, assaisonnés d’une kyrielle de croquis. Chez Akrame, pas de carte, mais plutôt des propositions faites au jour le jour en fonction des produits et de l’humeur du chef. Il faut dire que l’homme a été à bonne école. Il a appris aux côtés de Ferran Adrià, pape catalan de la cuisine moléculaire, d’Alain Solivérès et de Pierre Gagnaire, son mentor qui, à ses yeux, reste LA référence. "Pour avancer, la curiosité est essentielle", souligne Akrame. Son dernier choc culinaire ? Un dîner au Cheval Blanc à Courchevel, où "le chef Yannick Alléno propose une vraie signature !" salive Akrame.

Un brin embarrassé quand on lui demande de définir son art, Akrame n’en revendique pas moins un don. "Donnez les mêmes ingrédients à deux personnes et vous obtiendrez des résultats très différents. Ce talent, ma mère me l’a transmis. Elle excelle dans le mélange des influences française, espagnole et turque que l’on retrouve en Algérie. Mon arrière-grand-mère, qui nourrissait les pauvres du village avec trois fois rien, avait aussi cette réputation d’excellente cuisinière", raconte Akrame.

Le chef revient aussi sur l’importance de la persévérance qui le caractérise. "Chez Gagnaire, je restais l’après-midi pour travailler les pâtes salées et sucrées, les glaces, les terrines. J’ai toujours été un fou de cuisine. Je connaissais tous les chefs trois-étoiles par coeur. J’avais leurs posters dans ma chambre !" Désormais plusieurs sont devenus des amis.

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Homard, chocolat blanc et feuille de navet marinée. © Stéphane Biteau

Faillite de son premier restaurant à Tours en 2010

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Son moteur ? Le plaisir. Le stress ? Akram assure ne pas le connaître. "Je n’ai pas oublié d’où je viens", raconte-t-il. Né en France, il a grandi en Algérie. À Oran, sa mère l’élève seule jusqu’à ses 14 ans à la suite du départ de son père. Un abandon qui a forgé son caractère. Tout comme la faillite de son premier restaurant à Tours en 2010. "L’établissement était mal géré. Quand j’ai repris les rênes, le passif était trop lourd pour éviter le dépôt de bilan. Mais j’ai beaucoup appris, notamment sur ma capacité à rebondir", se souvient-il.

Aujourd’hui, ce boulimique de travail, grand fan de Formule 1, savoure son succès. En plus d’Akrame, et toujours rue Lauriston, il gère un bar à fromage et un bistrot à viande. Un autre va bientôt ouvrir rive gauche. Sans compter son association avec un investisseur financier pour reproduire le concept d’Akrame à Hong Kong.

À s’étendre ainsi, ne risque-t-il pas d’écorner son image de chef étoilé ? "Quand vous faites bon, vous ne risquez rien. Le secret, c’est de bien savoir s’entourer", assure le jeune chef qui se réfère à l’entrepreneur britannique Richard Branson. Quant au recul sur la gestion de ses affaires, il peut compter sur le regard attentif de son épouse. "Je ne suis pas focalisé sur les questions d’argent. Plutôt que de me plaindre de payer trop d’impôts, je préfère concentrer mon énergie à l’essor de mes projets." Les comptes ? "Je les ferai dans sept ans", rétorque-t-il quand on lui demande si sa réussite a fait de lui un homme riche. Pour l’heure, Akrame se concentre sur sa dernière lubie : organiser un petit voyage de quelques jours entre chefs, histoire de faire découvrir l’Algérie à ses "pères", Pierre Gagnaire et Alain Ducasse. Un premier pas avant l’ouverture d’un restaurant dans son pays natal ? "J’y réfléchis", confie-t-il dans un sourire qui en dit long.

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