Bénin : comment renouer le dialogue ?

Depuis décembre 2013, le pays vit au rythme des sit-in et des grèves. En mars, le gouvernement a lâché du lest en matière salariale. Mais les esprits ne se sont pas tous calmés.

Cotonou, le 25 mars. Point de départ des manifestations : un concours présumé truqué. © Valentin Salako

Cotonou, le 25 mars. Point de départ des manifestations : un concours présumé truqué. © Valentin Salako

Publié le 5 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

Il fulmine encore et parle de "trahison". Laurent Métognon, secrétaire général de Fesyntra-Finances, l’un des six principaux syndicats du Bénin, en veut toujours à ses collègues des autres centrales (CSA-Bénin, Cosi-Bénin, CGTB et CSPIB) d’avoir suspendu leur participation à la grève générale de la mi-avril. "Nous restons soumis à notre base militante, qui veut que la grève continue, et n’avons pas changé de camp, contrairement aux autres, pour faire le jeu du gouvernement", explique-t-il. à la Bourse du travail de Cotonou, tracts toujours à portée de main, il aime à rappeler énergiquement la chronologie – la sienne – de cette grève que son syndicat ainsi que la CSTB (le plus important syndicat du pays) maintiennent depuis près de cinq mois.

De semaine en semaine, le mouvement se durcit

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Tout a commencé fin décembre 2013. Pour dénoncer des "fraudes" dans l’organisation d’un concours de recrutement au ministère des Finances et réclamer "plus de libertés", les syndicats décident d’organiser une marche. Celle-ci, autorisée par la mairie de Cotonou mais interdite par la préfecture, a tout de même lieu le 27 décembre. Elle sera réprimée par la police, faisant une dizaine de blessés, selon les syndicats. Début janvier, ils appellent à la grève générale. Et seront entendus… Enseignement, santé, justice, ministère des Finances… Quasiment toutes les administrations débrayent pour ne travailler que deux jours ou trois jours de la semaine. Et si les revendications de la marche étaient relativement limitées, celles de la grève générale s’élargissent : limogeage du préfet et du commissaire de police de Cotonou, annulation du concours polémique, revalorisation du salaire des enseignants et du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), renforcement des libertés publiques, etc. "La grève a même échappé à ses initiateurs", souligne Kassa Mampo Gilbert, secrétaire général adjoint du syndicat CSTB.

De semaine en semaine, le mouvement se durcit. Bien qu’infructueuses, les rencontres entre délégations gouvernementales et syndicales se succèdent. Les sit-in, meetings, "moratoires" et "motions" rythment la vie quotidienne des Béninois. "Notre pays a connu de nombreux épisodes de grève, mais celui-ci est inédit et témoigne d’un profond malaise social, explique un praticien hospitalier gréviste qui préfère garder l’anonymat. Nous nous sommes joints au mouvement, pour des questions de rémunération et parce que nous manquons de matériel pour travailler."

Dès qu’une brèche est colmatée, ils en ouvrent une autre

Le 12 mars, près de deux mois plus tard, le président béninois Thomas Boni Yayi présente ses excuses pour la manifestation du 27 décembre. Le gouvernement accepte aussi de relever le smig de 31 000 F CFA (47 euros) à 40 000 FCFA et de payer les retenues sur salaire faites aux enseignants grévistes. Le 25 mars, les syndicats organisent une nouvelle marche pour marquer les trois mois de leur mouvement. Le lendemain, le gouvernement annule ledit concours et estime par l’intermédiaire de Martial Sounton, son ministre du Travail et de la Fonction publique, chargé du dialogue social, avoir fait "suffisamment d’efforts". Pas assez, au goût des syndicats, qui réclament toujours la tête du préfet et du commissaire de police. "Nous sommes en plein jeu du chat et de la souris, tempête un cadre ministériel. Dès qu’une brèche est colmatée, ils en ouvrent une autre."

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"Nous poursuivons le mouvement (…) et continuerons sous différentes formes"

De son côté, l’opposition accuse le pouvoir de "laisser pourrir la situation". "C’est une grève qui a tout de politique, mais qui n’est pas et ne peut pas être manipulée par des politiciens", déclare Orden Alladatin, secrétaire général du parti d’opposition Alternative citoyenne.

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Mais les élèves, les étudiants et leurs parents surtout, craignent une année blanche. Un spectre que finit par rompre le front syndical le 16 avril, avec la suspension de la grève par quatre centrales. Ces dernières invoquant "l’intérêt supérieur de la nation". Un mois plus tard, les deux organisations récalcitrantes consentent à ce que leurs adhérents enseignants reprennent également le travail. "Mais nous poursuivons le mouvement dans les autres secteurs et continuerons sous différentes formes", prévient Laurent Métognon. Quelques jours plus tard, les magistrats sont sur le devant de la scène, à leur tour.

De quoi inaugurer une seconde moitié de l’année 2014 aussi cauchemardesque socialement que la première ? "Surtout pas !" lance Christian, trentenaire et entrepreneur, qui se plaint déjà d’avoir vu lui échapper de gros contrats "faute d’avoir pu faire authentifier à temps des documents par le tribunal, en grève depuis des semaines". Il est difficile de prévoir les conséquences politiques de ces contestations lors des prochaines échéances électorales – législatives (2015) et municipales. Les conséquences économiques, quant à elles, n’ont pas été officiellement chiffrées. Mais elles sont déjà bien réelles.

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