Inde : l’inquiétant monsieur Modi
Nationaliste hindou intransigeant, le nouveau Premier ministre, Narendra Modi, devrait donner du fil à retordre à la Chine et au Pakistan, ses grands rivaux régionaux. Avec l’aide des États-Unis ? Pas si sûr.
"Quand les États-Unis sont allés chercher Ben Laden, ils n’ont pas fait de conférence de presse avant !" Lancée en pleine campagne électorale, la boutade de Narendra Modi n’avait pas fait rire les Pakistanais. Mais alors, pas du tout. Chaudhry Nisar Ali Khan, le ministre de l’Intérieur, l’avait même trouvée "provocante" et de nature à "déstabiliser la région". À l’époque, le candidat nationaliste hindou établissait un parallèle entre le chef d’Al-Qaïda et Dawood Ibrahim, un terroriste soupçonné d’être impliqué dans les attentats de 2008 à Bombay, que l’Inde soupçonne son voisin de protéger…
À présent que Modi a pris les commandes de l’Inde, les interrogations se multiplient. Quelle attitude ce nationaliste pur jus va-t-il adopter ? Le pragmatisme l’emportera-t-il sur les provocations ? Auteur d’une biographie à succès du nouveau chef du gouvernement, Nilanjan Mukhopadhyay le reconnaît : "On peut effectivement redouter que, en cas d’attaque terroriste de grande ampleur, Modi ne se montre pas aussi impassible que Manmohan Singh, son prédécesseur." Un avis partagé par Pal Sidhu, un expert en relations internationales : "Dans un tel cas de figure, la ligne défendue par Modi sera sans doute plus proche de celle de l’ancien Premier ministre Atal Bihari Vajpayee, membre lui aussi du Bharatiya Janata Party (BJP)", estime-t-il. En décembre 2011, après une attaque contre le Parlement, ce dernier avait décrété la mobilisation de l’armée indienne. "Modi n’est pas nécessairement un va-t-en-guerre, mais il aura besoin de faire preuve de fermeté en cas d’attaque", estime notre expert.
Le contentieux frontalier dans l’Himalaya perdure
Cette intransigeance devrait également prévaloir à l’égard de la Chine, même si l’ampleur des échanges commerciaux entre les deux pays constituera sans doute un facteur d’apaisement. Le contentieux frontalier dans l’Himalaya, en effet, perdure. En février, lors d’un déplacement dans l’État frontalier d’Arunachal Pradesh – que les Chinois appellent le "Tibet du Sud" -, Modi avait publiquement invité Pékin à rompre avec sa politique "expansionniste". "Le BJP ayant toujours adopté sur la question une attitude "dure", il y a des chances pour que Modi fasse de même", estime l’universitaire chinois Hu Zhiyong, de l’Institute of International Relations, à Shanghai. Apportera-t-il néanmoins à cette politique de fermeté une touche personnelle ? Ce n’est pas exclu. "Il est respecté en Chine, où il a été reçu à quatre reprises avec les honneurs d’ordinaire réservés aux chefs d’État", relève Gilles Verniers, chercheur à New Delhi. Il est vrai que les Chinois investissent beaucoup au Gujarat… Un think tank proche du gouvernement chinois est allé jusqu’à le qualifier de "Nixon indien". Ce capital de sympathie lui sera sans doute très utile pour renforcer les relations économiques entre les deux pays et redresser une balance commerciale nettement en défaveur de l’Inde (35 milliards de dollars de déficit, soit 25,54 milliards d’euros).
Pour contrer la traditionnelle alliance sino-pakistanaise, Modi tentera-t-il de renforcer les liens de son pays avec les États-Unis ? Ce n’est pas assuré, même si, là encore, les considérations économiques devraient l’y inciter. "Il nourrit un vrai ressentiment à l’égard de ce pays, qui, en 2002, lui a retiré son visa après les émeutes au Gujarat [il avait été accusé d’avoir fermé les yeux sur les exactions contre les musulmans]. L’administration Obama devra faire le premier pas, car lui ne le fera pas", analyse la journaliste Varsha Nairain. De fait, une invitation à se rendre aux États-Unis lui a été adressée le 20 mai.
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