RDC : Kabila ou la stratégie du félin
C’est LA question qui agite le Tout-Kinshasa. Joseph Kabila quittera-t-il le pouvoir en 2016 ? De Paris à Washington, on scrute le moindre signe, mais le chef de l’État ne paraît pas décidé à mettre fin au suspense.
Il est loin le temps – c’était le 9 octobre 2012, juste avant le sommet de la Francophonie à Kinshasa – où François Hollande disait : "La situation en République démocratique du Congo est tout à fait inacceptable, sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition." Fini la période des poignées de main glaciales. Ce 21 mai, à l’Élysée, le président français a accueilli son homologue congolais à bras ouverts. Que se sont-ils dit dans leur tête-à-tête, avant la réunion élargie aux ministres et conseillers ? "Hollande a rappelé son attachement à la stabilité des institutions congolaises et à la défense des droits humains, souffle un diplomate français. Et, dans sa réponse, Kabila a éludé le sujet." Est-ce à cause de ses intérêts économiques en RD Congo ? Aujourd’hui, la France fait profil bas et laisse aux États-Unis le soin de dire son fait à Joseph Kabila.
"Dans la vie, il faut savoir partir"
Le 4 mai à Kinshasa, à la sortie d’une audience au Palais de la nation, au bord du majestueux fleuve Congo, John Kerry a été direct. "Je crois que [le président Kabila] a clairement en tête le fait que les États-Unis sont intimement convaincus que le processus constitutionnel doit être respecté", a lancé le secrétaire d’État américain. "Nous ne voulons pas que M. Kabila change la Constitution ou fasse un troisième mandat", a ajouté Russell Feingold, l’émissaire spécial de Barack Obama pour les Grands Lacs. Pourquoi les Américains sont-ils moins pressants à l’égard d’autres présidents, comme le Rwandais Paul Kagamé ? "Joseph Kabila n’a pas fait un bon travail. Il faut qu’il parte, estime l’ancien sous-secrétaire d’État américain Herman Cohen. Paul Kagamé, lui, a très bien géré son économie. Pour les États-Unis, quand un président africain fait de la bonne gouvernance, il est un peu excusé pour le manque de démocratie dans son pays" (Voice of America, le 1er mai).
Y a-t-il un effet Kerry à Kinshasa ? Personne ne peut le nier. Depuis la capture de Patrice Lumumba par les hommes du colonel Mobutu, en décembre 1960, tous les Congolais connaissent le poids des États-Unis sur le cours de leur histoire. Et Joseph Kabila est le premier à savoir combien les Américains ont été décisifs lors de l’arrivée au pouvoir de son père, en mai 1997. Aussi ne peut-il ignorer aujourd’hui cette mise en garde de Barak Obama. Ses partisans non plus. "Dans le camp Kabila, les jusqu’au-boutistes commencent à douter, confie Franck Mwe di Malila, conseiller du président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo. Ils n’ont plus les mêmes certitudes qu’hier. Ils prennent conscience qu’il est de plus en plus difficile de changer l’article 220 de la Constitution [qui interdit de modifier le nombre et la durée des mandats du chef de l’État]. Du coup, ils cherchent d’autres stratagèmes."
Le problème est d’autant plus sérieux que la majorité présidentielle est divisée. D’un côté, Évariste Boshab, le secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) – le parti au pouvoir -, prône ouvertement une révision de la Constitution afin que Joseph Kabila puisse se représenter en 2016. De l’autre, Lambert Mendé, le porte-parole du gouvernement, assure que le chef de l’État partira en 2016. Et Olivier Kamitatu, le président de l’Alliance pour le renouveau du Congo (ARC) – un parti de la majorité présidentielle -, déclare : "Au Congo, comme ailleurs en Afrique, on ne divise pas un pays pour le destin d’un seul homme." Au centre du jeu, Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, affirme que Joseph Kabila respectera la Constitution sans dire à quelle date il partira, ce qui laisse la porte ouverte à une éventuelle prolongation de mandat. Quant à Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, il a tweeté récemment – sans dire à qui il pensait – : "Dans la vie, il faut savoir partir"…
Tous les députés, sénateurs et gouverneurs de son camp convoqués
Le 20 mars dernier, pour essayer de remettre de l’ordre dans ses troupes, Joseph Kabila a convoqué à son quartier général tous les députés, sénateurs et gouverneurs de son camp. Son QG, c’est une immense ferme à Kingakati, à 80 km à l’est de la capitale. C’est là qu’il s’adonne à la moto tout-terrain. Pas de micros, pas de caméras. Plusieurs centaines de personnes ont été invitées à se délester de leurs appareils électroniques et à s’asseoir sous une immense tente. Et le président leur a dit en substance : "Pas de débats stériles sur 2016. Nous en sommes encore loin. L’heure est au travail." À ceux qui lui prêtent l’intention, en 2016, de laisser la présidence à l’un de ses fidèles pour mieux revenir en 2021 – comme le Russe Vladimir Poutine en 2008 -, il a répondu : "Je n’ai pas de dauphin, et je n’en connais pas." Et sur la question des institutions, il a eu ce mot : "En 1965, quand Mobutu a fait un coup d’État, il y avait une Constitution, et ça n’a rien changé."
"En fait, sur 2016, sa décision n’est pas prise", estime l’un de ses principaux opposants, Vital Kamerhe, qui a été son directeur de campagne en 2006 et qui le connaît bien. "S’il dit "je reste", il provoquera des réactions de colère dans la population, analyse le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC). S’il dit "je pars", il prendra le risque d’être renversé par ses généraux. À mon avis, il ne se prononcera pas avant juin ou juillet 2016." Du côté de la majorité, l’un des chefs de parti pense lui aussi que l’homme ne va pas se dévoiler tout de suite : "Je crois qu’il est dans une démarche de réflexion pour rester. Mais il avance comme un chat. Il va scruter ce qui se passe ailleurs, notamment au Burkina Faso et au Burundi [où la Constitution interdit aussi à Blaise Compaoré et à Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat]. Bref, il cherche à gagner du temps."
"Le président congolais se dévoile assez peu, mais j’ai l’impression que son calendrier électoral va déraper", lâche une source française. Pour reporter la présidentielle de 2016 à une date ultérieure, Joseph Kabila peut en effet invoquer le fait que le fichier électoral établi pour les élections de 2006 est aujourd’hui très dégradé et qu’il faut prendre le temps de faire un recensement général de la population. Aux yeux des Occidentaux, un report de la présidentielle serait-il moins grave qu’une révision de la Constitution ? "Ce sera aux Congolais de juger, répond le diplomate. S’ils y trouvent leur compte avec des listes électorales fiables, on verra dans quelle mesure et dans quelle durée ce report sera acceptable." Le président congolais sait donc qu’il peut jouer la carte du report à condition de convaincre une partie de son opposition. Pour l’opposant Martin Fayulu, coordonnateur des Forces acquises au changement (FAC), "la stratégie du pouvoir est aujourd’hui d’affaiblir l’opposition congolaise pour faire retomber la pression internationale".
Joseph Kabila et François Hollande se font face le 21 mai à Paris. © Éric Feferberg/AFP
La voie référendaire : suicidaire ?
Du côté de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi, le pouvoir ne peut attendre aucune concession. "Monsieur Kabila n’a pas été élu en 2011, il doit s’en aller", martèle son secrétaire général, Bruno Mavungu. Aux yeux de l’UNC de Vital Kamerhe, 2016 reste la date butoir pour le locataire du Palais de la nation. En revanche, du côté de l’Union des forces de changement (UFC) de Léon Kengo wa Dondo, Joseph Kabila peut trouver une oreille attentive. "La voie référendaire pour changer la Constitution me semble suicidaire, déclare le conseiller Franck Mwe di Malila. Mais si, après identification, le Congo se dote d’un fichier et d’une administration électorale fiables, beaucoup seront bienveillants à l’égard d’un dépassement du calendrier électoral."
Y a-t-il une vie après le pouvoir ? Sans doute Joseph Kabila se pose-t-il la question. "S’il a le courage de partir, nous lui offrirons toutes les garanties de sécurité", affirme Bruno Mavungu, de l’UDPS. "En Afrique centrale, à part Pierre Buyoya et Goukouni Oueddeï, je ne connais pas beaucoup d’anciens présidents qui peuvent circuler librement dans leur pays, souligne Vital Kamerhe. En instaurant un statut d’ancien chef d’État, le Congo pourrait inverser la tendance."
Le clan des Katangais
Dans la galaxie Kabila, les Katangais jouent un rôle essentiel. C’est le cas de Richard Muyej Mangez. Ministre de l’Intérieur, il s’est beaucoup investi ces derniers mois dans le dialogue avec les groupes katangais hostiles au pouvoir. On cite aussi Alexandre Luba Ntambo, titulaire du portefeuille de la Défense ; Séraphin Ngwej, ambassadeur itinérant ; et Mwando Nsimba, premier vice-président de l’Assemblée nationale et leader de l’Union nationale des démocrates fédéralistes (Unadef), dont les avis sont très écoutés par le chef de l’État. Il faut aussi compter avec Gustave Beya Siku, avocat et directeur du cabinet présidentiel, avec le général Dieudonné Banze, le chef de la Garde républicaine chargée de la protection de Kabila, ou encore avec Kalev Mutond, l’administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Sans oublier le député Célestin Mbuyu, président de l’Association des Luba du Katanga à Kinshasa, et Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, premier contributeur du parti présidentiel… Une liste à laquelle il convient d’ajouter Théodore Mugalu, ancien ambassadeur en Tanzanie devenu chef de la maison civile de Kabila. L’influence de ce pasteur évangélique est à la fois politique et spirituelle. Tshitenge Lubabu M.K. à Kinshasa
Suite à la publication de cet article dans Jeune Afrique n°2785, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mendé Omalanga, nous a répondu.
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