Tunisie : les jeunes médecins protestent devant le ministère de la Santé

Une marche nationale a été organisée ce lundi par l’Organisation Tunisienne des Jeunes Médecins (OJTM), depuis la faculté de médecine de Tunis jusqu’au ministère de la Santé. Près de 3 000 manifestants ont pressé le gouvernement à faire évoluer leur statut, attendu depuis 2012.

Ras-le-bol des professionnels médicaux tunisiens, qui choisissent souvent de s’exiler pour mieux exercer. © Michel Euler/AP/SIPA

Ras-le-bol des professionnels médicaux tunisiens, qui choisissent souvent de s’exiler pour mieux exercer. © Michel Euler/AP/SIPA

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Publié le 20 février 2018 Lecture : 5 minutes.

« Sept ans, six ministres et rien n’a changé », c’est ce que dénonce le mouvement 76 des médecins internes et résidents en Tunisie. Initié depuis le début du mois de février, ce mouvement de grève se prolonge dans les hôpitaux, où seul le service minimum est assuré depuis le 6 février.

Ce lundi 19 février, une marche nationale a également été organisée par l’OJTM à Tunis, depuis la faculté de médecine jusqu’au ministère de la Santé. Près de 3 000 manifestants sont venus faire entendre leurs revendications.

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Un statut juridique qui se fait attendre

Si la protestation se fait de plus en plus entendre ces derniers jours, ces étudiants en médecine tentent en réalité depuis 2012 d’interpeller les autorités. À cette date, un dialogue avait débuté et les étudiants avaient porté au ministère une proposition de statut juridique relatif aux médecins internes et résidents.

Certains étudiants sont surexploités et enchaînent parfois plus de 70 heures de travail

Jusqu’alors, le travail des internes et des résidents était encadré par une loi de 1975, qui ne donne aucune précision au niveau des tâches attribuées, des objectifs de la formation ou encore des horaires. Des flous juridiques qui entraînent parfois la surexploitation de ces étudiants, qui enchaînent parfois plus de 70 heures de travail. Cette loi n’accorde pas non plus à ces médecins de droit à la sécurité sociale.

Ce statut juridique proposé par les étudiants en 2012 est en discussion avec le ministère de tutelle depuis toutes ces années. Son but serait de pallier à tous ces manquements en proposant, par exemple, un « repos de sécurité » dans leurs planning de travail.

« Absence de continuité de l’État »

Le texte semble aujourd’hui être mis entre parenthèses. En effet, si celui-ci a été finalisé en mai 2017 et transféré vers le tribunal administratif, ainsi qu’à la présidence du gouvernement, qui a retourné au ministère ses annotations, le ministère de la Santé tarde pourtant à signer la version finale qui permettrait sa mise en application. Une situation qui a poussé les médecins internes et résidents dans les rues.

Une partie du corps médical n’a pas intérêt à ce que ce statut juridique revalorisé soit accordé aux internes et aux résidents

Au-delà de cette lenteur, Mariem Rayhane Ben Soltan, porte-parole de l’OJTM, dénonce une réticence des aînés : « Une partie du corps médical n’a pas intérêt à ce que ce statut juridique revalorisé soit accordé aux internes et aux résidents. Préciser les fonctions des étudiants reviendraient à limiter les tâches que certains de nos aînés délèguent aux jeunes médecins. Un système de délégation qui leur laisse plus de temps pour assurer en parallèle une activité personnelle privée plus profitable financièrement. »

Après plusieurs annulations, une réunion entre les membres de l’OJTM et le ministre de la Santé, Imed Hammami, a enfin eu lieu ce samedi 17 février. Durant cette réunion, celui-ci a délivré un accord de principe sur la signature du statut, mais tant que la signature n’est pas effective, l’organisation ne compte pas ralentir le mouvement.

Nous n’arrivons plus à faire confiance aux autorités

La porte-parole pointe également un problème de continuité de l’État : « Au bout de six ministres passés par cette même problématique avec un minimum de trois accords de principe par chaque cabinet, nous n’arrivons plus à faire confiance aux autorités. »

Des revendications multiples

Autre point de discorde : la réforme des études de médecine que le gouvernement a commencé à mettre graduellement en place depuis 2014. Cette réforme ne permettra aux étudiants d’être diplômés qu’à la fin de leur spécialité, soit après neuf ou onze années d’études. Une situation qui ferait exception parmi les universités de médecine dans le monde et qui réduirait considérablement la mobilité des étudiants.

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« Vous imaginez que pendant pratiquement une dizaine d’années, pour demander un visa, un étudiant en médecine ne pourra présenter que le diplôme du baccalauréat en guise de dernier diplôme obtenu. Avec cette réforme nous ne pourrons plus prétendre à des stages de perfectionnement que ce soit à l’étranger ou en Tunisie, ou encore à des masters et à des formations post-universitaires », explique Mariem.

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Traduction de la pancarte sur le tweet : « Notre gouvernement nous humilie, quand l’Europe nous supplie de venir y travailler. Peuple comprend nous, c’est notre pays qui a le plus besoin de nous. »

Les protestataires demandent également l’égalité devant le service national. En effet, à la fin de leur cursus, les médecins sont appelés à travailler pendant une année dans les zones internes, une mesure qui remplace le service militaire pour les médecins. Sauf qu’ils ne bénéficient pas des mêmes critères d’exemption que le reste de leurs concitoyens, comme en cas de grossesse par exemple.

Les salaires des médecins internes et des résidents étrangers s’élèvent uniquement à 340 dinars par mois

Ils appellent également à une revalorisation de leurs salaires durant le service national, qui s’élève actuellement à 750 dinars. Le gouvernement s’était d’ailleurs engagé dans ce sens en février 2017, avec une augmentation de 700 dinars au total. Une promesse qui n’a toujours pas été mise en place.

Une autre demande porte sur l’égalité de salaires entre Tunisiens et étrangers. Les salaires des médecins internes et des résidents étrangers s’élèvent uniquement à 340 dinars par mois (moins que le Smic tunisien), contre 900 dinars pour les internes tunisiens et entre 1 000 et 1 100 dinars pour les résidents.

Ras-le-bol des médecins maghrébins

Le cas des médecins tunisiens n’est pas isolé dans la région : en Algérie, un mouvement de protestation des médecins résidents se poursuit depuis le 14 novembre dernier. Les médecins demandent notamment l’abrogation du « service civil », une réforme de leur formation, la révision du statut de résident et de pouvoir bénéficier, comme les autres Algériens, des dispenses de service militaire après 30 ans.

Cette situation est à l’origine d’un véritable exode des médecins en Tunisie : le président du Conseil de l’Ordre de médecins, Mounir Makni, a dévoilé en se référant au nombre de certificats délivrés par le Conseil aux médecins expatriés, document sans lequel ils ne pourront pas exercer dans les pays d’accueil, que près de la moitié des nouveaux inscrits à l’Ordre en 2017 ont quitté la Tunisie. Sur 1 000 nouvelles inscriptions, 485 certificats ont été accordés.

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