Égypte : Sissi, combien de voix ?
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 27 mai 2014 Lecture : 4 minutes.
C’est le mercredi 28 ou le jeudi 29 mai que nous devrions avoir confirmation de l’événement et commencer à en mesurer l’importance. L’annonce viendra du Caire et concernera en premier lieu, mais pas seulement, l’Égypte, grande puissance du monde arabe, la troisième en Afrique par la population et le revenu national.
Nous devrions apprendre ce jour-là que les 86 millions d’Égyptiens, plus précisément les quelque 53 millions d’entre eux qui forment le corps électoral, ont plébiscité Abdel Fattah al-Sissi, 59 ans, pour en faire le nouveau président de la République arabe d’Égypte.
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Cet ancien chef de l’armée, promu maréchal en janvier dernier, succède au général Hosni Moubarak, qui a occupé le poste pendant trente ans avant d’en être délogé en février 2011 par la rue et le "Printemps arabe".
Sissi succède plus directement à l’islamiste Mohamed Morsi, élu, lui, en 2012. Mais s’étant révélé "incompétent, arrogant et maladroit", il a été destitué le 3 juillet 2013, au bout d’un an, par… Sissi, qui, ce faisant, affirme avoir répondu à "la demande du peuple"…
Moubarak et Morsi sont tous les deux en prison, sans perspective de libération.
Si elle se confirme, comme tout le monde le pense, et si l’ex-maréchal Sissi – il a démissionné de l’armée pour se porter candidat – parvient à faire oublier qu’il a chassé un président élu, son accession à la magistrature suprême par une forme de plébiscite bouleversera la donne en Égypte.
Ce pays, dont Sissi serait le Bonaparte, annoncera ainsi qu’il sort des tumultes de la révolution pour se stabiliser et ouvrir un nouveau chapitre de son histoire.
L’Égypte sera alors de retour. Dès le mois de juin, elle reprendra sa place et son rôle, ce qui affectera les équilibres internes en Afrique et dans le monde arabe, ainsi que les relations de ces deux ensembles avec l’Occident.
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À ce stade, il me paraît nécessaire de rappeler que, si l’islamiste Mohamed Morsi a été l’élu d’un scrutin pluraliste, où il a obtenu, au second tour, un nombre de voix plus élevé que son concurrent, il n’a recueilli que 13 millions de suffrages (51,73 % des votants).
La moitié des inscrits n’ayant pas voté, se sont portées sur son nom les voix d’un quart seulement du corps électoral, et moins d’un Égyptien sur six s’est prononcé en sa faveur.
Il a donc été "démocratiquement élu", mais de justesse, et l’on ne peut certainement pas dire qu’il a été bien élu.
À titre de comparaison, la nouvelle Constitution soumise aux Égyptiens par le gouvernement qui lui a succédé a recueilli, elle, 20 millions de voix.
Combien de suffrages se porteront dès le premier tour sur Sissi ? Le chiffre sera connu, je pense, dès le mercredi 28 mai ou le jeudi 29.
Le niveau auquel il se situera nous dira où en est l’Égypte et quel est l’état d’esprit de sa population.
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Menacé de mort par les islamistes et assuré d’être élu, Sissi, qui est au demeurant un homme peu loquace, n’a pas fait campagne et s’est en définitive peu exprimé.
Si, malgré cela, il recueille plus de 20 millions de voix, ou, mieux encore, si se portent sur son nom deux fois plus de voix que n’en a eu Mohamed Morsi en 2012, soit la moitié du corps électoral, cela signifiera que, vaccinés, les Égyptiens ont "viré leur cuti".
Ils auront montré qu’ils sont en colère contre "les Frères musulmans", leur ont retiré leur confiance et refusent de se réconcilier avec eux.
Ils ne veulent plus d’eux au pouvoir, même en tant que force politique minoritaire.
Cela sera d’autant plus vrai qu’aux voix qui se seront portées sur Sissi il faudra ajouter celles recueillies par son unique concurrent, Hamdine Sabahi : il a approuvé la destitution de Morsi et il rejette les islamistes encore plus fermement que Sissi.
En moins de deux ans se seront évaporées les 13 millions de voix obtenues en 2012 par le candidat des islamistes. Dans leur grande majorité, les Égyptiens auront donc basculé dans l’anti-islamisme.
>> Lire aussi : présidentielle égyptienne : Nasser contre … Nasser
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Si l’élection de Sissi à la présidence de la République d’Égypte prend l’allure d’un plébiscite, les conséquences seront terribles pour les autres islamistes du monde arabe, voire pour l’islamisme en général.
L’échec politique de l’islamisme égyptien a provoqué son rejet et a déclenché contre lui la répression ; la répression l’a ramené à la violence.
Avant même de postuler à la présidence, Abdel Fattah al-Sissi, qui est un musulman pratiquant et pieux, en était arrivé à une conclusion extrême : la confrérie des "Frères musulmans" doit disparaître en tant qu’association religieuse et comme formation politique ; ceux de ses membres ou sympathisants qui ont opté pour le terrorisme et la violence seront éradiqués.
Un éventuel plébiscite lui donne le mandat explicite pour mettre en oeuvre ce qu’il a annoncé : on le verra se placer et placer son pays au premier rang de ceux qui mènent une guerre sans merci contre l’islamisme politique et son avatar : le terrorisme islamiste.
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Dans les tout prochains mois, l’Égypte de Sissi verra levée la mesure de suspension prise à son encontre le 5 juillet dernier par l’Union africaine ; son retour au sein de cette union y consolidera le camp des anti-islamistes.
Ce camp se trouvera renforcé en Tunisie comme en Libye. Et plus encore au sud du Sahara, où l’islamisme tend à se radicaliser et à verser dans la violence.
Que feront des puissances comme la France et les États-Unis qui, en 2011, ont été tentées d’ériger les islamistes en partenaires et les considèrent toujours comme des interlocuteurs ?
Du rétropédalage pour rallier à leur cause l’Égypte de Sissi, qui leur apparaîtra comme ayant fait sa révolution et corrigé ses erreurs, une avant-garde en somme dirigée par un musulman anti-islamiste.
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Mis sur la défensive, les islamistes des pays arabes garderont pour soutiens les wahhabites d’Arabie saoudite pour ce qui est des salafistes et les néo-wahhabites du Qatar pour ce qui est de la mouvance des "Frères musulmans".
Et, en Turquie, leur demeurera acquis le soutien du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan : chaque jour qui passe le rend moins démocrate et plus islamiste…
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