Dominique Vidal : « L’antisionisme n’est pas un délit »

Le journaliste et historien français répond ici à Francis Kalifat, président du Crif, qui demandait en novembre que la « définition qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme soit transposée dans l’arsenal législatif français ».

Une Palestinienne s’emporte face à des policiers israéliens, à Jérusalem le 22 décembre 2017. © Mahmoud Illean/AP/SIPA

Une Palestinienne s’emporte face à des policiers israéliens, à Jérusalem le 22 décembre 2017. © Mahmoud Illean/AP/SIPA

dominique vidal
  • Dominique Vidal

    Journaliste et historien, auteur d’« Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron » (Libertalia)

Publié le 8 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

Tribune. Dans le silence des grands médias français se produit un tournant historique au Proche-Orient : les dirigeants d’Israël tentent de passer de la colonisation à l’annexion pure et simple du reste de la Palestine. Une première loi, votée en février 2017, ouvre la voie à cette politique d’annexion. Une autre, adoptée fin décembre, rend quasi impossible le passage d’une partie de Jérusalem sous souveraineté palestinienne, mais permet d’exclure les quartiers arabes situés à l’extérieur du mur. Une autre législation en préparation prévoit enfin le rattachement à Jérusalem des cinq blocs de colonies situés à l’est.

Principal promoteur de cette radicalisation, le ministre de l’Éducation Naftali Bennett, leader du Foyer juif, ne fait pas mystère de ses intentions : il veut enterrer les deux États au profit d’un seul, où les Palestiniens annexés ne pourraient pas voter – bref, un État d’apartheid. Et le comité central du Likoud s’est rallié à cette ligne.

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Pour la mettre en œuvre, les leaders israéliens profitent d’une « fenêtre d’opportunité » : à la Maison-Blanche, un président israélophile qui vient de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël ; à Riyad, un prince héritier décidé à s’allier avec Tel-Aviv et Washington contre l’Iran ; à Ramallah et à Gaza, un mouvement national encore divisé ; et, de la Syrie à l’Irak en passant par le Yémen, un chaos régional tel qu’il marginalise la question palestinienne.

Chantage à l’antisémitisme

Ces provocations, qui foulent aux pieds le droit international, ne sont pas de nature à réduire l’isolement d’Israël. L’État de Palestine, lui, est déjà entré à l’Unesco (en 2011), puis à l’ONU (2012) et même à la Cour pénale internationale (2015). L’Assemblée générale des Nations unies vient de voter en faveur de l’autodétermination des Palestiniens par 176 voix contre 7. D’où la manœuvre cousue de fil blanc de la droite israélienne et de ses amis français : interdire toute contestation.

Certes, le chantage à l’antisémitisme ne date pas d’aujourd’hui. Depuis le début des années 2000, avec sa flambée de racisme antiarabe et plus encore antijuif, certains instrumentalisent les violences pour tenter de faire taire quiconque critique la politique d’Israël. On ne compte plus les conférences perturbées par les nervis de l’extrême droite juive, les journalistes diffamés par les sites ultrasionistes, les intellectuels traînés – vainement – devant les tribunaux par des associations communautaires.

La campagne BDS, prise pour cible

Ces dernières années, cette offensive a pris pour cible la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). Aucune loi française ne l’interdisant, ses opposants s’appuient sur une circulaire ministérielle et sur un arrêt de la Cour de cassation que la Cour européenne des droits de l’homme pourrait retoquer. La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ne cesse en effet de répéter que l’Union européenne défend la liberté d’expression, « y compris BDS ».

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Et voilà que ces censeurs veulent interdire… l’antisionisme ! Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Francis Kalifat demande que la « définition qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme soit transposée dans l’arsenal législatif français ».

Cette exigence s’appuie, hélas, sur une phrase prononcée par le président de la République lors du 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv. « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme », avait-il déclaré, le 16 juillet dernier, devant le Premier ministre israélien, invité pour la première fois.

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Un délit d’opinion ?

Cet amalgame a de quoi choquer : qu’y a-t‑il de commun entre l’antisémitisme, délit sanctionné par la loi comme tous les racismes, et l’antisionisme, une opinion que chacun est libre de défendre ou de contester ? A-t‑on jamais vu les communistes prôner l’interdiction de l’anticommunisme, les gaullistes celle de l’antigaullisme, les néolibéraux celle de l’altermondialisme ? On imagine mal le président de la République, le Premier ministre, le gouvernement et le Parlement se risquant à recréer un délit d’opinion.

Une telle démarche contredirait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel ne pourrait que la censurer. Raison de plus pour défendre sereinement le droit international, qu’Israël, comme tous les États du monde, doit enfin respecter.

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