Art contemporain : la foire 1:54 s’installe sur le continent africain
Après Londres et New York, la foire d’art contemporain africain prend ses quartiers à Marrakech, ces 24 et 25 février. De quoi provoquer une ébullition vivifiante, entre conscientisation et transgression à travers l’art, au sein de la ville ocre marocaine.
La fondatrice de la foire 1:54, Touria El Glaoui, l’appelait de ses vœux tout comme les artistes africains qu’elle ne cesse de défendre. C’est désormais chose faite. Le samedi 24 et dimanche 25 février, la manifestation, qu’elle a créée en 2013 à Londres, exportée à New York en 2015, prend ses quartiers à la somptueuse Mamounia de Marrakech, au Maroc. En guise de curateur, Omar Berrada, directeur de la bibliothèque et résidence d’artistes Dar al-Ma’mûn. Sans oublier la participation d’autres institutions de la ville – de la Fondation Montresso à la Galerie Comptoir des Mines en passant par le musée Yves Saint Laurent.
« J’avais pensé à plusieurs autres endroits en Afrique mais Marrakech est une destination incroyable, une plateforme culturelle forte d’une histoire riche. Et pour porter un tel événement sur le long terme, nécessitant des subventions, il fallait faire le choix d’une ville attirante et facile d’accès », indique la fondatrice qui, assurément, connaît chaque recoin de la ville ocre. « Il y a désormais une forte envie et un besoin que les choses se déroulent désormais en Afrique ».
Ce sont 17 galeries internationales qui ont répondu présentes. Ainsi, 60 artistes venus de 25 pays différents sont mis à l’honneur au grand salon de la Mamounia. Parmi eux, certains font le pari de revisiter croyances et traditions populaires africaines. Et cela, à travers deux dimensions : la transgression mais aussi une certaine forme de conscientisation vis-à-vis des normes qui ont cours sur le continent africain et ailleurs.
L’écologie en question chez Abdoulaye Konaté
Les tapisseries en bazin riche, ce tissu d’apparat d’exception, du plasticien Malien Abdoulaye Konaté en sont une éloquente illustration. « Ici, je mets en avant le rapport entre la lune et les plantes », indique-t-il à propos de son œuvre « Bleu de lune et l’arbre ». Cet astre ne joue-t-il pas un rôle prépondérant sur la flore mais aussi sur nous, êtres humains ?
« Je m’inspire des connaissances africaines vis-à-vis de l’environnement. Les médecins traditionnels cueillent les feuilles ou récoltent l’écorce de telle plante ou tel arbre au cours d’un jour ou d’un horaire bien précis. Je fais un clin d’œil aux connaissances de nos vieux parents et cherche à attirer l’attention des gens sur l’importance du respect de l’environnement en Afrique. »
Réinvestir l’imaginaire
Le peintre et plasticien Tunisien Slimen El Kamel s’attache, lui, à mettre à mal les modes d’expressions populaires – du conte à la série télévisée – pour mieux amener le spectateur à explorer sa propre imagination. Son medium : sérigraphie et dessins réalisés à partir de stylos acryliques sur d’immenses toiles.
Il crée ainsi des espaces picturaux démultipliés, déconstruits, avec mises en abîme et histoires enchevêtrées. L’artiste pioche dans ce que l’on retrouve, le plus souvent, sur petit et grand écrans – de la séance de fitness du matin à la télévision, au policier prêt à faire feu dans une scène d’une série policière.
« Je reprends tout ce qui est enregistré et emmagasiné dans la mémoire personnelle et collective. Je veux faire ressortir toutes ces images, faire le chemin inverse du travail d’un photographe. Au lieu d’aller voir ailleurs, je propose d’aller voir en soi », dit-il à propos de son tableau Wolves.
Je veux que les gens apprennent à investir le temps autrement. Moi, j’ai choisi de me saisir d’un stylo acrylique !
Se réapproprier et actualiser l’imaginaire, donc. Vaste programme dans un monde où les écrans abondent, admet-il. « Je veux que les gens apprennent à investir le temps autrement. Moi, j’ai choisi de me saisir d’un stylo acrylique ! ».
Genres et sexualité
Côté transgression, l’Américain Kyle Meyer, qui a vécu trois ans au Swaziland au début des années 2010, propose un travail d’orfèvre où le wax tient lieu de principale matière. Sur les tirages photos de jeunes hommes homosexuels swazis qui arborent des turbans à partir de flamboyants tissus wax – en provenance du Zimbabwe et du Mozambique, l’artiste s’attelle à intégrer le même tissu à travers la photo.
Une technique de tissage qui lui prend une semaine et demi à deux semaines de travail pour, à la fois, masquer et lever le voile sur la féminité de ses modèles masculins, soit interroger la question du genre.
Comment la sexualité peut-elle être réprimée par une culture ? Comment une culture, en l’occurrence représentée ici à travers le tissu wax, dissimule l’identité sexuelle d’un groupe ? C’est là tout le propos de ce jeune photographe-plasticien qui, à travers l’exploration de l’hyper-masculinité au Swaziland, entend délivrer un message universel en tant qu’artiste gay. « Je veux que mon travail lance le débat au-delà des frontières de ce pays », clame-t-il.
Et que dire du Béninois Prince Toffa, cet ancien champion d’haltérophilie, créateurs de robes en canettes ou sacs plastiques qu’il porte lui-même ? Mettre à mal l’image de l’homme africain viril qui défile dans des robes pour assumer sa part de féminité dans un corps à la stature imposante…
Au sein de la foire 1:54, ce sont certaines de ses créations plastiques réalisées à partir de canettes qu’il perfore et dont il coud les morceaux recueillis, qui tapissent les murs. Les couleurs foisonnent.
Luxe et pop culture
Mais vis-à-vis du parti pris transgressif, Hassan Hajjaj remporte la palme. L’artiste marocain de 52 ans, également mis à l’honneur à la galerie Le Comptoir des Mines, casse les codes avec brio. Un coussin griffé Louis Vuitton accroché à une vieille caisse vide Coca-Cola attire l’œil. Mais mieux encore, c’est l’une de ses photographies, Marmouche, en date de 2012, qui laisse pantois.
Hassan Hajjaj est un peu le Warhol marocain
Sur cette dernière, une femme en djellaba s’affirme dans une position un brin maniérée, voire provocante, à travers un regard de défi, une guitare gnawa à la main. Vous avez dit féminisme ? En guise de cadre, des boîtes de tomates en conserve bon marché. « Il est un peu le Warhol marocain », juge le galeriste Toby Clarke. « Il aime le mélange entre la pop culture et le luxe, photographier de jeunes artistes, les habiller, mettre en scène la puissance des femmes, l’art vivant, la mode, etc. »
Au sein de cette première africaine pour la foire 1:54, qui devrait connaître une deuxième édition, ces œuvres bouillonnantes saisissent et interrogent. Mais le public ultra-privilégié de cette foire, très au fait du monde de l’art contemporain au Maroc comme à l’international, ne saurait en être trop ébranlé.
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