Francophonie en « guerre culturelle » : la liberté de s’émanciper de la culture française

Face à l’ébullition de la scène intellectuelle francophone ces dernières semaines, notamment après les prises de position d’Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi et Achille Mbembe, l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga défend une francophonie ouverte, qui s’émancipe du cadre hexagonal restreint.

Un mur de livres. © Kerttu/CC/Pixabay

Un mur de livres. © Kerttu/CC/Pixabay

Scholastique Mukasonga

Publié le 1 mars 2018 Lecture : 2 minutes.

Tribune. On ne cesse de me le répéter : « Vous êtes d’origine rwandaise et vous écrivez en français ; vous êtes donc une écrivaine francophone. » Sans doute, je ne peux nier que je me rattache à cette tribu métissée. Mais il y a bien des manières d’être francophone. Il y a ceux qui en France parlent le français de France.

La littérature africaine serait-elle une littérature néocoloniale?

Mais il existe de nombreuses variétés de français : depuis le français standard de la télévision jusqu’à celui des banlieues en proie à des mutations. Il y a le français des cousins, des Belges wallons et bruxellois, des Québécois, des Suisses romans, français qui détermine les contours de leur identité.

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Et puis il y a ces francophones bilingues ou trilingues, dont je suis, que les hasards de l’Histoire, et notamment de la colonisation, ont amenés à parler le français et à l’écrire. Et souvent à l’écrire avant de le parler. Le français serait donc une de ces langues véhiculaires africaines au même titre que l’anglais, le swahili ou l’arabe, instrument de communication, de culture.

Un cadre étroit

De culture, justement. Car la francophonie reste pour beaucoup liée à une certaine forme de culture française. La francophonie, ce serait d’abord la littérature francophone, celle d’écrivains dont le français n’est pas la langue maternelle et qui, pour la plupart, sont natifs des ex-colonies françaises. Ils trouveraient une place, un peu à part, dans l’imposant édifice de la littérature française, quelques pages dans les manuels d’histoire de la littérature ou dans La Littérature française pour les nuls.

La littérature francophone africaine ainsi envisagée serait donc une littérature néocoloniale, au mieux postcoloniale. Une vision des choses bien dépassée. Par sa diversité, sa diffusion, son audience, la littérature francophone africaine s’insère non dans le cadre étroit de la littérature française, mais dans cette vaste littérature africaine, qu’elle soit de langue française, anglaise, portugaise, ou, comme je l’espère, dans ces langues qu’on appelait autrefois avec mépris « vernaculaires », dans le cadre d’une littérature africaine dont on découvre avec fierté la richesse.

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Le français aurait, dit-on, en 2050 plus de 700 millions de locuteurs, dont 85 % en Afrique. Je ne peux que m’en réjouir : il est certain que le français ainsi répandu et pratiqué se sera émancipé de la culture française. Parler français en Afrique, ce n’est pas se conformer au moule culturel français, ce n’est pas adhérer plus ou moins consciemment à une stratégie politique élaborée par l’Élysée, ce n’est pas se faire le porte-voix des dictateurs africains.

C’est, je crois, au contraire, s’ouvrir au grand large, à tous les vents qui soufflent sur le monde.

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