L’Afrique, le continent le plus risqué du monde pour les investisseurs ?
S’il est un continent que les néophytes ont du mal à déchiffrer, c’est bien l’Afrique. Et il est facile de comprendre pourquoi.
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Amaury De Féligonde
Ancien de McKinsey et de l’AFD, associé d’Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique.
Publié le 7 mars 2018 Lecture : 4 minutes.
En 2000, il était « sans espoir » (une de The Economist), sombrant dans le chaos en Sierra Leone, laminé par la famine en Éthiopie, ensanglanté par le terrorisme en Algérie. Une décennie plus tard, il était devenu, magie du verbe afro-optimiste, émergent (toujours en une de The Economist), et les « lions africains » (plus de 7 % de croissance annuelle) devaient prendre le chemin des « tigres » asiatiques.
Et voilà qu’en 2016 le doute s’installait à nouveau lorsque la croissance continentale repassait sous la barre des 2 %, sous l’effet de la menace terroriste (notamment au Sahel), de la baisse du cours des matières premières et de l’absence de gouvernance d’un certain nombre d’États comme l’Afrique du Sud, engluée dans une succession de scandales politico-économiques. Dans ces conditions, que penser du continent ?
L’émergence d’une classe moyenne à relativiser
L’Afrique semble bien être le continent le plus risqué du monde. Une quinzaine de pays sont « déconseillés » par le Quai d’Orsay. Et nombre de sociétés occidentales refusent d’envoyer leurs employés au Nigeria, au Soudan, voire au Tchad. Sur les 50 pays les plus mal classés par le « Doing Business » 2017, 34 sont en Afrique. La belle histoire de l’émergence des classes moyennes, nouveau moteur de la consommation, est elle aussi à relativiser. Leurs 300 millions de membres seraient trois à quatre fois moins nombreux si l’on prenait des critères plus réalistes. Avec 2 ou 3 dollars par jour pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, fait-on vraiment partie de la classe moyenne ?
C’est en mettant les mains dans la boue que l’on trouve l’or et le diamant
Pour beaucoup d’investisseurs, l’Afrique reste un casse-tête : trop de pays, trop de langues, trop d’ethnies différentes. Trop de problèmes politiques. Bref, trop risquée ! D’où l’arrêt des opérations africaines du mégafonds KKR, la volonté de la banque Standard Chartered (présente sur le continent depuis 1925) de réduire la voilure, ou la révision drastique des plans continentaux des sociétés pharmaceutiques Sanofi ou GSK.
Mais c’est justement parce que le continent demeure risqué qu’investisseurs et entrepreneurs avertis y réalisent de bonnes affaires. Comme le disent les Anglo-Saxons, « no pain, no gain » (« on n’a rien sans rien »). Ou comme l’énonce un proverbe africain : « C’est en mettant les mains dans la boue que l’on trouve l’or et le diamant. » Orange y réalise par exemple plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec un taux de marge supérieur à celui affiché en Europe. Quels que soient leur secteur (Dangote dans le ciment, Orange dans la téléphonie) et leur zone géographique (Ethiopian Airlines dans la Corne de l’Afrique ou Saham au Maroc), ces groupes ont précisément bénéficié d’un environnement difficile qui a amoindri la concurrence, leur permettant d’imposer leur marque, de peser sur les prix et de réaliser des marges avantageuses.
Le couple risque-rendement
Le secret de la réussite sur le continent réside essentiellement dans la pleine maîtrise du couple risque-rendement, à travers le respect des « règles d’airain de l’investisseur » :
1. « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. » Mettre en œuvre une stratégie multi-pays, à l’image de Wendel, qui a investi chez le marocain Saham (une vingtaine de pays africains) et le nigérian IHS (tours télécoms dans cinq pays africains). Ou du minotier américain Seaboard, qui, en achetant les moulins de Mimran, vient d’ajouter le Sénégal et la Côte d’Ivoire à son portefeuille d’une trentaine de filiales africaines.
2. « Le business, c’est de l’amour. » Les investisseurs doivent se faire accepter localement, afin d’obtenir ce que les Anglo-Saxons nomment une « social licence to operate ». Le groupe Eranove, qui gère notamment les services publics d’eau et d’électricité en Côte d’Ivoire, expliquait ainsi avoir traversé les années de crise politique aiguë sans trop de dommages matériels, sa politique sociale et sa vaste base de salariés locaux ayant protégé ses actifs (agences, véhicules, équipements de production) de la vindicte populaire. Un thème particulièrement important pour les investisseurs des secteurs minier et pétrolier ou des infrastructures.
3. « Adopter une discipline de fer. » Dans un milieu souvent déstructuré (qualité et probité de l’Administration, etc.), les sociétés doivent mettre en place des systèmes d’information et de reporting solides, des procédures KYC (know your customer) robustes et maîtriser les flux financiers et les partenaires pour éviter les risques de corruption. Sifca, l’une des entreprises leaders de Côte d’Ivoire, qui gère des paiements pour des dizaines de milliers d’agriculteurs ivoiriens, ghanéens et nigérians, a su mettre en place ces processus rigoureux.
La perception du risque, plus élevée que le risque réel
4. « Prendre une double assurance-vie », en faisant assurer ou financer ses nouveaux projets par des institutions de développement (Banque mondiale, Banque africaine de développement, bailleurs bilatéraux, etc.) pour pallier le risque politique, et en choisissant des partenaires locaux (publics ou privés) pour gérer les subtilités propres au pays. Olam a ainsi fait entrer AFC (Africa Finance Corporation) au capital de la zone économique spéciale de Nkok, qu’il détient en joint-venture avec l’État du Gabon.
5. « J’y suis, j’y reste » : investir sur le long terme et ne pas être dans une logique opportuniste de retour immédiat : c’est ce qu’a compris le fonds d’infrastructure Meridiam, très actif en Afrique depuis cinq ans sur des opérations de taille intermédiaire et avec un horizon d’investissement supérieur à dix ans.
Pour les investisseurs avertis, et comme le montrent nombre de sociétés florissantes, la perception du risque africain semble beaucoup plus élevée que le risque réel. Comme le dit le proverbe luluwa : « le mauvais danseur attribue ses maladresses au joueur de tam-tam »…
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