Répression en RDC : retour sur la mort tragique de Rossy Mukendi

La troisième marche du Comité laïc de coordination contre le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila a pris une tournure tragique, dimanche 25 février, dans la paroisse Saint-Benoît, où un homme de 35 ans a été tué par la police.

Des policiers interpellent un manifestant, le 25 février 2018 devant la cathédrale Notre-Dame à Kinshasa. © REUTERS/Goran Tomasevic

Des policiers interpellent un manifestant, le 25 février 2018 devant la cathédrale Notre-Dame à Kinshasa. © REUTERS/Goran Tomasevic

Publié le 28 février 2018 Lecture : 4 minutes.

Ce dimanche matin, plusieurs dizaines de fidèles s’apprêtent à défiler pacifiquement aux abords de la paroisse Saint-Benoît, dans la commune de Lemba. Vers 10h, les forces de sécurité font irruption devant la grille de la bâtisse. Des tirs de gaz lacrymogène fusent aussitôt dans la foule, qui fuit pour se mettre à l’abri. La scène – visible sur une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux – dure une poignée de secondes.

Sur le sol, un jeune homme hurle de douleur et implore de l’aide, en tendant le bras au ciel. Rossy Mukendi Tshimanga vient d’être fauché par au moins une balle, qui l’a atteint sur le flanc de la poitrine. 

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Après l’avoir traîné à l’abri, on lui appose un chiffon pour stopper vainement l’hémorragie. Son frère et quelques badauds improvisent une civière pour le transporter dans un centre de santé. Ils ne veulent pas le confier aux « soins » des forces de l’ordre.

« Sur le trajet, il ne cessait de prier »

Mais le centre de santé est vide, ce dimanche matin. Et rebelote dans un deuxième, puis dans un troisième centre. Le désespoir commence à gagner le groupe, lorsqu’apparaît enfin une voiture. « J’ai supplié en pleurant son propriétaire de nous aider, mois et trois autres amis, explique le frère de Rossy Mukendi. Il a finalement accepté. »

Après quelques hésitations, décision est prise d’emmener Rossy à l’hôpital Saint-Joseph, à quelques kilomètres de la paroisse Saint-Benoît. « Sur le trajet, il ne cessait de prier, raconte Arsène Tshimanga. À un moment donné, il m’a imploré de prendre soin de ses deux enfants. Ce sont les derniers mots que j’ai entendu de mon frère. »

Arrivés à Saint-Joseph, un médecin lui confirme la mort de Rossy Mukendi. Il avait 35 ans. Une image prise par John Wessels, un photographe de l’AFP, montre son corps sans vie gisant sur un carrelage tacheté de sang à la morgue de l’hôpital.

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La version de la police mise à mal

La mort de Rossy Mukendi suscite l’indignation de l’opinion publique. D’autant plus qu’après la violence de la répression des deux dernières marches (une quinzaine de morts selon l’Église, deux selon les autorités), la police congolaise s’était donnée pour objectif de faire « zéro mort ».

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Pour désamorcer les critiques, le commissariat provincial de Kinshasa a diffusé lundi un communiqué qui relate l’arrestation d’un brigadier soupçonné d’avoir « tiré des balles en caoutchouc à moins de 20 mètres sur Mukendi Kadima Rossi ». Le policier en question aurait agi ainsi en « voulant défendre son commandant d’unité, en la personne du ComSupAdjt (sic) Lokeso Koso Carine devant une foule hostile qui les agressait ». 

Je suis catégorique sur le fait que les impacts ont été causés par une ou deux balles réelles, et non en caoutchouc

Le même jour, sur les ondes de Radio Okapi, le colonel Pierrot Muanamputu, porte-parole de la police, qualifie le jeune homme de « fauteur de troubles ».

Des photos montrent le tireur présumé, pieds nus et assis à même le sol, face à un parterre d’officiers assis dans des chaises en plastique – on reconnaît notamment Sylvano Kasongo, le chef de la police à Kinshasa. À droite du policier mis en cause est disposée l’arme qui aurait servi à tuer Rossy Mukendi et son chargeur rempli de balles en caoutchouc.

Mais Rossy Mukendi a-t-il vraiment succombé à des tirs de balles en caoutchouc ? La version de la police est sérieusement mise à mal par les constatations du docteur-directeur François Kajingulu, de l’hôpital Saint-Joseph. Interrogé par Jeune Afrique, celui-ci indique « avoir procédé à l’inspection visuelle du cadavre, qui présente deux orifices ». « Je suis catégorique sur le fait que les impacts ont été causés par une ou deux balles réelles, et non en caoutchouc », déclare-t-il.

Autre interrogation : le brigadier arrêté a-t-il réellement tiré pour protéger sa supérieure d’une foule hostile ? Bien que sujettes à caution, les images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des fidèles pacifiques et non armés, à l’image des manifestants des 31 décembre et 21 janvier.

Des témoins, interrogés par Jeune Afrique, livrent également des versions contradictoires sur l’origine des tirs, l’un affirmant que c’est le supérieur lui-même qui a tiré sur Rossy Mukendi, l’autre déclarant que le brigadier a agi sur ordre direct de sa hiérarchie.

Le virus de la politique

« Aujourd’hui, j’éprouve un profond sentiment de désarroi, déclare le frère de Rossy Mukendi, qui affirme recevoir des menaces et vivre caché depuis dimanche. Mon pays a tué un père de deux enfants, rigoureux et passionné, qui avait à cœur de redorer l’image de la RDC tant sur le plan scientifique, sportif et politique. »

Membre du parti Scod de l’opposant Jean-Claude Muyambo, Rossy Mukendi s’était éloigné de la politique au début des années 2000 pour se consacrer à ses études universitaires – il devient assistant au département relations internationales à l’Université pédagogique nationale de Kinshasa.

À la même époque, il remporte une médaille d’or en arts martiaux lors d’une édition des Jeux africains au Cameroun et est sacré à trois reprises champion en RDC de jujitsu. Mais le virus de la politique le rattrape en septembre 2016, lorsqu’il crée le « Collectif 2016 » qui se donne pour mission de contribuer à l’organisation de l’élection présidentielle et appelle au départ du président Joseph Kabila.

Son engagement lui vaudra d’avoir maille à partir avec les autorités congolaises. En avril et en mai 2017, il est arrêté à deux reprises et emprisonné pendant près d’un mois dans les geôles du renseignement militaire. « On avait l’ambition de vraiment changer les choses, explique Arsène Tshimanga, également membre du Collectif 2016. Rossy disait souvent qu’il ne s’était pas engagé par haine, mais par conviction et patriotisme pour son pays. » 

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